Hokhma: la part du méthodisme dans l'émergence du ministère pastoral féminin

Sebastien Fath, chercheur au Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité (EPHE, CNRS), signe un article sur «la prédication féminine en protestantisme évangélique» (Hokhma N°74 2000). L'auteur relève les contradictions internes au mouvement évangélique: traditionnellement il a été à la pointe de l'émancipation féminine, en préconisant pour les femmes le droit au ministère pastoral, avant que certaines de ses composantes ne reviennent sur ces avancées. Sebastien Fath rend compte de l'apport du méthodisme historique à ce débat; EEMNI vous en livre des extraits significatifs:

«Avec Wesley, Whitefield et Jonathan Edwards,un Grand Réveil bouleverse l'Angleterre et plus encore les colonies américaines, et plusieurs femmes participent en première ligne à ce mouvement de renouveau chrétien. John Wesley (1703-1791), à l'origine du méthodisme, les encouragea explicitement, quoiqu'il situe leur intervention dans le cadre d'un «extra ordinary call» (appel extraordinaire, non commun). Madeleine BlocherSaillens rapporte notamment l'exemple de Mary Porteus, prédicateur à Norwich, ou Sara Mallett dont l'oeuvre est. bien accueillie du peuple, qui reçoivent le soutien de John Wesley. Les conversions, souligne David W. Bebbington, principal spécialiste anglais des protestants évangéliques, touchent alors en plus large proportion les femmes que les hommes. Le modèle d'Eglise de maison, que l'on retrouve dans ce «Great Awakening» («Grand Réveil») comme lors d'épisodes plus précoces du « non-conformisme» protestant, leur donna une fois de plus un cadre idéal pour s'exprimer, diriger les moments de prière, voire exhorter les assistants. Même si, en 1803, les wesleyens essaient de canaliser cette prise de parole féminine en interdisant explicitement la prédication des femmes, la pratique n'en continue pas moins dans certains groupes (les Primitive Methodists). En parallèle au réveil méthodiste dont l'influence, au XVIIIe et au XIXe siècle, renouvela profondément le protestantisme, le réveil piétiste, plus continental, plus germanique (au départ), constitua aussi, pour les femmes, un espace d'expression privilégié. Son développement, au XVII-XVIIIe siècle autour de Spener et Francke, coïncida avec le Réveil transcontinental impulsé par Wesley et Whitefield, et joua comme lui un rôle culturel de premier plan dans l'émancipation des femmes. Le piétisme favorisa un peu moins directement la prédication féminine que le méthodisme, mais les femmes trouvèrent dans l'essor de modèles de piété familiale et associative un climat favorable à leur intervention par la prière ou l'exhortation courte. Des conventicules piétistes, proches des Eglises de maison propres à la Réforme radicale,«la femme fut la grande bénéficiaire», d'après E.-G. Léonard. Dans ces cercles empreints d'écoute et de chaleur affective, leur voix pouvait se faire entendre. Avec le piétisme européen se développent plusieurs figures de femmes inspiratrices et théologiennes, comme Anna Schurmann ou Eleonore Petersen. Tout en restant relativement marginale jusqu'au XIXe siècle, la prise de parole féminine fut ainsi promue par les crises successives du protestantisme au fil des persécutions (Cévennes), des révolutions (Cromwell) et des« réveils » (piétisme, méthodisme...), des femmes se sont dressées pour parler au nom de Dieu dans l'histoire troublée de leurs contemporains. Cette filiation, au moins typologique, que l'on peut établir entre la Réforme radicale et les manifestations «non-confor mistes» ultérieures du protestantisme, débouche au XIXe siècle, sur un débat accru autour de la prédication des femmes.

......

Le réveil méthodiste comporte lui aussi une dimension féminine militante importante, quoiqu'un peu moins généralisée qu'au sein du salutisme : ainsi, en Angleterre, après Lady Huntingdon (1707-1791) qui donna un soutien efficace au mouvement méthodiste et protégea les prédicateurs, Lady Maxwell contribua beaucoup à l'introduire en Ecosse. Par élans successifs, le revivalisme «wesleyen» contribua à multiplier les effectifs des prédicatrices, au point que vers 1850, elles deviennent «communes», selon Bebbington.

........

Quant à la prédication, il faut attendre le XXe siècle. .... Au total, ... les mouvements de réveil ont contribué à« favoriser une certaine promotion féminine ». Même si les rôles traditionnels de la femme restent fortement majorés au sein du mouvement revivaliste, même si certains groupes évangéliques se montrent très conservateurs à l'égard des femmes, leur refusant même de prier publiquement (assemblées de frères), des ouvertures se font donc jour en Europe et en France au XIXe siècle.»


Au sein du méthodisme mondial s'est développé tout un mouvement pour l'égalité des femmes dans l'Eglise et dans la société. Dans les Principes Sociaux; les méthodistes ont cherché à déterminer de façon crédible et fidèle le rôle respectif des hommes et des femmes: «Fondés sur les Saintes Ecritures, nous témoignons que les hommes et les femmes ont la même valeur aux yeux de Dieu. (2.5.5.7).... Les hommes et les femmes ayant la même valeur et les mêmes droits dans tous les domaines de la vie commune, il est important de tout mettre en uvre pour supprimer les différentes formes de répartition des rôles spécifiques aux sexes - tant pour les postes bénévoles que pour les postes rémunérés - existant encore dans la famille, l'Eglise et la société». ... (2.5.6.7) Aussi n'est-il pas étonnant de constater sur ces bases que l'EEM reconnaît pour légitime depuis l'après-guerre le ministère pastoral féminin. L'UEEM compte à ce jour deux femmes pasteures en activité.


<29.01.01 
>Source: HOKHMA et EEMNI