AEF: Pourquoi faudrait-il modifier la loi de 1905 selon l’Alliance Evangélique Française?

A propos de l’anniversaire de la loi 1905

Constat contrasté…

• La situation est contrastée. Certains tiennent un discours rassurant. Que ce soit Nicolas Sarkozy qui affirme à l’Express (1er novembre 2004) « ceux qui croient sont aussi respectables que tous les autres », « la démarche de foi, c’est une démarche d’espérance » « religions et République sont complémentaires » « la religion c’est la vie ». Ou, Jacques Chirac, dans sa lettre adressée à la Fédération Protestante à l’occasion de son centième anniversaire qui donne « l’assurance aux protestants de France, dans leurs diverses composantes, qu’ils peuvent vivre et pratiquer leur foi paisiblement, à l’abri et dans le respect des lois de la République ». Ou alors, Dominique de Villepin déclarant veiller « à ce que la liberté de culte et d’expression soit garantie dans notre pays, dans le respect de l’ordre public et de la loi» (BIP – novembre 2005).

• Pourtant, ici ou là, des communautés protestantes sont de plus en plus confrontées à des mesures qui ont pour conséquences de limiter leur action. On peut évoquer les rapports parlementaires assimilant les Eglises évangéliques à des sectes, les difficultés que rencontrent certaines Eglises avec l’administration fiscale, le cas de ces communautés africaines (CEEAF) qui, en région parisienne, font l’objet, dans leur recherche d’un lieu de culte, d’une opposition quasi systématique (refus d’entretien, préemption des mairies sur les bâtiments convoités, blocage divers). On peut évoquer aussi les refus de plus en plus nombreux, sous couvert de la laïcité, de location de salles, les refus de permis de construire (à cause d’un nombre de places de parking insuffisant ou d’une croix sur le bâtiment), agréments fiscaux non renouvelés, refus de la part de caisses d’allocations familiales de rembourser les bons-vacances… Interdictions de plus en plus fréquentes pour les Groupes Bibliques Universitaires et les Clubs Bibliques Lycéens d’organiser des rencontres à l’Université, au Collège ou au Lycée, alors qu’ils l’ont fait pendant des décennies.

• Ces exemples démontrent que nous sommes en présence d’un problème qui dépasse le strict cadre juridique et questionne notre société quant à la place qu’elle accorde au religieux. C’est d’ailleurs ce que le philosophe Régis Debray (Le Monde 26 novembre 2005 – Malaise dans la civilisation, suite – Rubrique Débats page 27) affirme : « Si Freud revenait en ce début du XXIème siècle, il découvrirait une société réduite à des rêves consuméristes, sans utopie, ni projet. L’absence de sacré, aujourd’hui comme hier, est dévastatrice… Le problème… n’est pas le trop, mais le pas assez de religions ».

• Nous ne prétendons pas l’exhaustivité. Nous nous bornerons, dans un premier temps, à quelques considérations à propos de la laïcité puis, nous ferons quelques remarques par rapport à la loi de 1905, avant de nous risquer à un bref commentaire.


Quelques considérations à propos de la laïcité


La laïcité en France se présente sous la forme d’un compromis façonné au fil des ans et instaurant un modus vivendi entre l’Etat et les religions. La loi fut d’abord une succession de modalités négociées et d’évolutions opportunes. C’est d’abord une décision politique qui se traduit en termes juridiques et s’inscrit sur fond de sécularisation et déchristianisation.

Le lien entre laïcité et liberté religieuse n’est pas toujours souligné. Pourtant, ces deux notions sont liées, puisque la laïcité, quelquefois, peut entraîner des discriminations.


Trois remarques juridiques et historiques

(Etudes – novembre 2005 – page 475 et suivantes)

1 Selon Roger Errera, conseiller d’Etat honoraire, « la laïcité de l’Etat est un principe constitutionnel parmi d’autres, de même valeur : la liberté de conscience, la liberté religieuse, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les libertés d’expression, d’associations et d’enseignement, l’interdiction de toutes discriminations religieuses. Aucun n’est absolu. Ils doivent être conciliés entre eux, avec d’autres exigences, par exemple l’ordre public ».

2 On ne peut lire le Droit français sans établir un lien avec le Droit international. L’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, alinéa 1, stipule que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » Le deuxième alinéa affirme que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection d’autrui ».

Autrement dit, selon notre auteur, « entre la liberté de conscience et la liberté des cultes, il existe tout un espace social public dont cette liberté a besoin pour s’exprimer ».

3 Au cours de l’histoire, l’affirmation de la séparation des Eglises et de l’Etat et celle de la laïcité, se sont le plus souvent accompagnées de l’affirmation parallèle de la liberté religieuse et de ses implications concrètes. Ainsi en va-t-il, il faut le souligner, du texte même de la loi de 1905. L’article 1er prend bien soin d’affirmer le rôle de l’Etat qui est d’assurer la liberté de conscience et garantir le libre exercice des cultes. En 1946, en Préambule de la Constitution, est affirmée l’interdiction de toute discrimination dans le travail et dans l’emploi au motif des croyances (cf. Préambule de la Constitution de 1946). En 1958, l’article 1er de la Constitution réaffirme le respect, par la République, de toutes les croyances. Ce principe sera repris par le Code de l’Education, toujours en vigueur aujourd’hui (article L.141-2). La Constitution de 1958 semble choisir la neutralité : l’Etat est « subjectivement neutre parce qu’il a exclue les religions de son sein et il est objectivement neutre parce qu’il est impartial avec elles » (Jeanne-Hélène Kaltenbach – La laïcité en Europe. Colloque des Associations Familiales Protestante – 16 septembre 2005).

Ces éléments conduisent à affirmer le lien entre laïcité et liberté religieuse. Déjà, en 1946, Robert Schumann, affirmait que « l’Etat a le devoir, alors que la Nation est composée de personnes qui n’ont pas les mêmes croyances, de permettre à chacun des citoyens de vivre conformément aux exigences de sa conscience. Il en résulte que la doctrine… de l’impartialité de l’Etat à l’égard des croyances de tous les membres de la Communauté Nationale… ne sauraient se concevoir comme une contrainte restrictive ». L’Etat n’est réellement laïque qu’à partir du moment où il proclame et protège la liberté religieuse. C’est bien ce qu’affirme le Conseil d’Etat quand il stipule que «le principe de laïcité implique, nécessairement, le respect de toutes les croyances ».

Autrement dit, et toujours selon Roger Errera, « on peut définir la laïcité de l’Etat comme l’alliance de la neutralité des services publics, de la liberté de conscience, de la liberté religieuse et de l’interdiction de toute discrimination religieuse ».


Pourquoi faudrait-il modifier la loi de 1905 ?


Cette demande émane essentiellement de la Fédération Protestante de France. L’Eglise catholique et le judaïsme ne la soutiennent pas, arguant du fait que la loi en l’état les satisfait pleinement. Pour les raisons que nous allons exposer, la FPF, qui parle plutôt d’un toilettage, en précisant d’emblée que ce ne serait pas la première fois et, qu’en aucune façon, il ne s’agit de toucher aux principes fondamentaux, demande une seule modification concernant l’article 19 où il est proposé de changer « exclusivement cultuel » en « principalement cultuel ».

1ère difficulté pratique La loi de 1901 sur les associations et la loi de 1905 sur les associations cultuelles sont interdépendantes. Quand le législateur modifie la loi de 1901, cette modification s’applique aux associations cultuelles, alors qu’une disposition essentielle de la loi 1905 prétend ne pas intervenir dans le mode de gouvernement interne des Eglises !

2ème difficulté L’article 19 de la loi définit l’objet des associations cultuelles « exclusivement cultuelles ». De fait, elles développent des activités culturelles et sociales, conséquence, expression, de leur foi. Pourquoi la loi ne le reconnaîtrait pas ?

3ème difficulté L’article 2 indique que « la République ne reconnaît, ni ne salarie, ni ne subventionne, aucun culte ». Alors que des communautés protestantes évangéliques font tous leurs efforts pour s’assumer financièrement, elles se trouvent confrontées à des difficultés croissantes de la part des municipalités, mais à l’évidence, il en va de façon différente vis-à-vis de l’islam.

4ème difficulté Que penser de la volonté de l’Etat de s’ingérer dans la formation des imams ? N’est-ce pas aux cultes, quels qu’ils soient, de prendre en charge – à tous les points de vue – la formation de leurs responsables. Faut-il voir derrière cette démarche une tentative des politiques de remettre en cause la liberté des cultes ?

5ème difficulté Sous couvert de la loi 1905, au nom de la laïcité, on constate, de plus en plus, des tentatives de cantonner le religieux, sous toutes ses formes, dans la sphère du privé.

6ème difficulté Une des dérives observée et qui fait suite au point précédent, c’est la difficulté rencontrée par certains quand ils se déclarent en association 1905. La loi est pourtant claire : elle demande une simple déclaration associative et des statuts où l’objet exclusivement cultuel est nettement affirmé. A partir de là, dans la mesure où la loi est respectée, qui peut leur contester le droit d’exister et de bénéficier des avantages de la loi de 1905 et de ses compléments puisque la loi elle-même exclue des compétences de l’Etat la question religieuse ?

Mais il faut aussi rendre compte de la thèse soutenue par Michel Onfray, ne serait-ce qu’à cause du succès que rencontre en librairies son dernier ouvrage, Traité d’athéologie, Grasset 2005 (près de 200 000 exemplaires vendus à ce jour). Il note que « désormais, sous prétexte de laïcité, tous les discours se valent…Or, tous les discours ne se valent pas ; (…) on ne doit tolérer la neutralité ». L’auteur se prononce en faveur d’une « laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental et l’islam qui le combat. Ni la Bible, ni le Coran…». Cette invitation à faire de « l’Etat le propagateur d’une doctrine officielle » conduit René Raymond à dire « qu’on n’est pas loin de la campagne dite des « sans Dieu » au temps de l’Union soviétique ».

Il existe donc bel et bien un risque de totalitarisme, dans la mesure où l’Etat totalitaire, selon l’expression de Bernard Henri Levy dans la Barbarie à visage humain, est celui qui « laïcise la religion » et met en place non « un Etat sans religion…» mais « la religion de l’Etat ».


Commentaires


Au cours des siècles, les protestants et les protestants évangéliques ont lutté pour défendre la liberté de conscience et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Faut-il rappeler qu’au XVIIème siècle, le baptiste Roger Williams fonde l’Etat du Rhode Island et le Quaker William Penn celui de Pennsylvanie. Ils sont les premiers dans l’histoire humaine à créer un Etat conçu sur le respect de la liberté politique et religieuse de chaque citoyen. Ces mêmes principes sont repris par les lois françaises de 1789, 1801–1808 (Concordat et articles organiques) et 1905 (loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat). Après des siècles de domination catholique, elles garantissent aux minorités religieuses le droit de vivre librement leur foi. Nous sommes au bénéfice de ces lois.

Cependant, aujourd’hui, la situation évolue sensiblement. Nous sommes en présence d’une laïcité militante qui tend à instrumentaliser la loi et cherche à accréditer l’idée selon laquelle les citoyens qui exprimeraient publiquement leur foi, feraient courir un risque pour la liberté et pour la République. Certains la qualifient de « laïcité de combat ». Dans les faits, elle se traduit par un refus de plus en plus marqué de toute forme d’expression religieuse.

• Ainsi, à Nogent-sur-Marne, demande-t-on aux futurs époux de se présenter à la Mairie, pour la célébration de leur mariage, sans « aucun signe d’appartenance religieuse, philosophique, syndical ou politique ostentatoire ».

• A Bobigny, on interdit l’accès au salon d’honneur de la Mairie, à des femmes voilées qui viennent fêter leur naturalisation.

• La presse s’est fait l’écho de la démarche, pour le moins étonnante, du maire de Montreuil interrompant, le 6 février 2005, le culte dans quatre communautés protestantes différentes.

• Et que dire de cet aumônier catholique en soutane, dans le Var, empêché d’entrer dans l’établissement scolaire qu’il dessert ; de ce maire de l’Est de la France interdisant la tenue de réunion d’évangélisation, alors que toutes les autorisations ont été données et la salle des fêtes dûment réservée, contrat à l’appui signé ?

• Faut-il encore parler de cet élu de l’Isère, suggérant aux responsables du Diaconat protestant, au moment de renouveler une subvention de supprimer l’adjectif ?

• Que penser de l’interdiction faite à l’ensemble des Communautés chrétiennes de Dijon, de manifester pacifiquement, sous forme d’une procession, leur foi commune ?

• Et que signifie ce refus, dans le sud de la France, d’accorder une salle municipale à un groupe de musulmans qui veulent célébrer la rupture du jeûne, sous prétexte qu’ils risquent de prier… ?

• Et comment interpréter, la demande d’ôter la crèche traditionnelle qui orne le hall de la mairie en Avignon, au moment de Noël ?


En guise de conclusion provisoire


Les quelques exemples, cités plus haut, témoignent des glissements toujours possibles et des limites mêmes de la loi. Comme le souligne Christophe Sinclair (CNRS - Centre Société Droit et Religion en Europe), dans bien des pays, le XXème siècle a vu la laïcité dériver vers un laïcisme totalitaire. La France a échappé, fort heureusement, à cette dérive. Cela ne veut pas dire pour autant que la situation soit simple. Nous sommes effectivement face à un paradoxe difficile à résoudre. L’Etat est incompétent en matière religieuse (c’est ce que me semble dire la loi de 1905 quand elle affirme ne reconnaître, ni ne subventionner aucun culte) et, pourtant, il n’a de cesse d’interférer en la matière puisqu’il prétend fixer les limites mêmes de l’exercice de la religion. Il nous semble, qu’en l’occurrence, l’Etat a une vision réductrice de la religion et occulte (volontairement ?) une réalité incontournable : la foi a toujours des conséquences sociales, et ne peut être cantonnée dans la sphère du privé.

La liberté religieuse ne peut se diviser et je vois mal comment nous pourrions interdire telle ou telle pratique, tout en réclamant, pour nous, la liberté la plus totale. Le pouvoir politique n’est pas à l’aise avec cette idée là et, s’il reconnaît à chacun la liberté de conscience, il en limite l’expression dans la mesure où l’ordre public n’est pas troublé. La notion est plus que subjective ! Le paradoxe, c’est que l’Etat, qui se veut séparé du religieux, tente, dans le même temps, de dire à la religion quelles sont les limites qu’elle n’a pas à dépasser. La foi est pour lui quelque chose de personnel et donc de privé. C’est là que nous devons être attentifs et nous interroger. Qu’est ce qu’une foi que l’on cantonne à la sphère du privé ? Sous prétexte de préserver la paix sociale, on est en train de repousser de plus en plus à la marge le religieux. La laïcité est, de plus en plus fréquemment, l’argument ultime pour empêcher l’expression publique de la foi. Hypocritement, on avoue en catimini que ces restrictions, dont nous pouvons être l’objet, n’ont de sens que dans la mesure où elles donnent aux politiques la possibilité de refuser telle demande formulée par l’Islam ! Pourtant, si l’on veut être cohérent, «le principe de laïcité implique nécessairement le respect de toutes les croyances. Dès lors que l’Etat abandonne à la liberté de chacun le domaine religieux, il doit accepter le fait religieux tel qu’il se présente à lui, déterminé par les règles des Eglises et les impératifs de la conscience…» (La notion juridique de laïcité – Dalloz 1949 – page 137). Pourtant, le Conseil Constitutionnel, le 19 novembre 2004, pour la première fois, a «interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers»

La question se pose aussi en terme de cohésion sociale. Ce qui est en jeu, c’est la volonté de vivre ensemble dans le cadre de la Nation. La diversité fait peur et l’accent majeur porté sur l’individualité nous empêche une saine relation avec l’autre. Curieusement, chacun veut être soi, mais dans le même mouvement, dénie à l’autre le droit à la différence. La manière de traiter la question du voile, en mettant chacun au même niveau, peut paraître sage et raisonnable. Ce néo-manichéisme apaise sans doute notre inquiétude face à une réalité nouvelle. Il nous dispense d’une réflexion trop risquée et comble notre refus de penser le nouveau.

Emile Poulat (La solution laïque et ses problèmes, Berg International, 1997, page 54) écrit : «l’idéal d’une société laïque, ce n’est donc pas une parfaite neutralité : elle n’a pas à concilier des principes, mais des revendications dont chacune, à la limite, menace le principe de son existence. Elle doit établir et maintenir la loi des parties entre elles, à l’encontre de tout groupe, de tout individu qui n’en veut pas pour soi au nom de la vérité qu’il professe ou de la liberté qu’il cultive».

L’Edit de Milan, en 313 après J.C., ne déclarait pas autre chose : «il convient à la tranquillité dont jouit l’Empire que la liberté soit complète pour tous nos sujets d’avoir le Dieu qu’ils ont choisi et qu’aucun culte ne soit privé des honneurs qui lui sont dus ».

Stéphane Lauzet

Alliance Evangélique Française

Décembre 2005

Source: Alliance Evangélique Française