A tout bout de champ, des pasteurs quittent notre Eglise. Pourquoi ? Ernst Gisler s'est penché sur cette question et propose des pistes pour l'avenir de notre corps pastoral et de l'EEM. Et il lance: Allez vers les êtres humains en tant qu'être humain !
Par Ernst Gisler*
Des pasteurs quittent le ministère ! Lors de la Conférence annuelle 2005, notre corps pastoral a dû prendre congé de quatre personnes ordonnées. Deux pasteurs EEM, appelés il y a relativement peu de temps à la direction du diaconat Bethesda à Bâle et de l'œuvre diaconale Béthanie à Zurich, continuent certes à y exercer leur fonction, mais plus en qualité de pasteurs. Deux autres hommes ont mis fin à leur engagement dans l'Eglise en tant que pasteurs de paroisse. On m'a posé la question : Qu'ont donc les pasteurs de l'EEM ?
QUAND UN PASTEUR QUITTE L'EGLISE
Les démissions ne sont pas une nouveauté. Je me rappelle que lorsque j'étais au séminaire, deux condisciples sont partis une fois leurs études achevées. L'un est redevenu instituteur, l'autre a été nommé, plus tard, professeur à l'Uni de Bâle et à l'EPFZ (Ecole polytechnique fédérale) de Zurich. Si je compte bien, 66 pasteurs/pasteures et 13 assistantes/assistants de paroisse ont quitté la communauté de service depuis mon entrée dans le ministère en 1964 jusqu'à aujourd'hui. Certains ont tourné le dos à l'Eglise, d'autres s'engagent dans l'EEM en tant que laïques.
Les raisons pour lesquelles un pasteur quitte sa fonction peuvent être très diverses. Pour les hommes de 1961 mentionnés plus haut, c'était clair: l'un ne pouvait plus s'identifier à l'Eglise, parce que l'EEM s'ouvrait en direction de l'œcuménisme, l'autre trouvait notre Eglise intellectuellement étroite et autoritaire.
Les démissions de pasteurs provoquent généralement de profonds regrets. Dans la plupart des cas, il s'agit de gens capables, de bons prédicateurs, de personnes sensibles à la relation d'aide. Les démissions ont presque toujours été motivées par des raisons personnelles. Certains n'arrivaient pas à tourner avec un salaire méthodiste, quelques-uns n'ont pas trouvé la carrière ecclésiastique espérée, d'autres encore ont souffert sous le poids de leur fonction, ont ressenti leur partenaire ou leur famille comme un obstacle, ont été affectés par la maladie ou en ont un jour eu tout simplement assez et ont voulu, de façon tout à fait légitime, se réorienter.
Il ne faut pas oublier que l'EEM a aussi dû licencier des pasteurs. Le pasteur peut devenir un tueur de communauté. Il étouffe la vie en lui-même et dans son entourage. L'entêtement, un fondamentalisme qui veut avoir le dernier mot ne font pas halte devant les "oints du Seigneur". Dans ces cas-là, la direction de l'Eglise doit agir. Décisions difficiles !
Que pouvons-nous faire ?
NE PAS EMBALLER LES PASTEURS DANS DU COTON
Les ecclésiastiques de l'EEM reçoivent un énorme appui sous forme de "temps d'accompagnement" et de "supervision". Quand je me représente des personnes engagées dans d'autres professions qui, dans une conjoncture difficile, doivent chercher leur voie en tant qu'architectes, boulangers, maçons, musiciens, mères de famille monoparentale et serveuses, je constate un sérieux décalage. A mon avis, ici on emballe dans du coton, là on jette souvent dans l'eau glacée. J'ai l'impression que c'est là où les exigences sont élevées que l'on trouve des pasteurs confirmés, endurants. La question me vient de temps en temps: est-ce que le pasteur est au service de la communauté ou est-ce la communauté qui doit être au service du pasteur ? J'ai souvent envie de parler de temps antérieurs et plus difficiles. Mais cela ne mène à rien. Pourtant, je recommande aux jeunes gens d'étudier les biographies de nos anciens. Pour moi, il a toujours été évident qu'une paroisse peut montrer qu'elle prend une personne au sérieux précisément en se montrant exigeante à son égard. Les engagés à temps plein d'aujourd'hui sont les enfants de la culture de l'aisance et du laisser-faire. Ils n'y peuvent rien. De mon point de vue, les pasteurs et les pasteures sont moins résistants. Pourquoi y a-t-il de plus en plus de pasteurs qui ne veulent plus habiter dans la chapelle - un logement qu'ils jugent pourtant adéquat pour y installer des étrangers quelconques -, qui vont s'installer dans des quartiers plus calmes et qui, le dimanche, ne sont pas prêts à célébrer plus d'un culte ? Je donnerais sans hésiter la priorité à la formation de la personnalité et aux exercices spirituels plutôt qu'à une coûteuse formation de gestionnaire. On lira peut-être dans une future histoire de l'Eglise: ils voulaient des conducteurs spirituels, mais ils ont bricolé des théoriciens intelligents, mais faibles. Je souhaite pour mon Eglise des personnalités fortes et bien préparées à leur tâche de responsables d'une paroisse. Je souhaite des engagés à temps plein qui retroussent leurs manches et se mettent au travail, qui sont prêts à prendre des risques et communiquent l'espérance à leur communauté. Je souhaite des originaux, qui se mettent parfois en travers, mais qui aiment leur Eglise et les personnes qui y sont. Je souhaite des personnalités profilées.
QUELS PASTEURS VOULONS-NOUS ?
Je déplore profondément que nous ayons d'énormes lacunes en ce qui concerne la relève pastorale. Notre séminaire de Reutlingen, en Allemagne, a été grandement honoré en obtenant sa reconnaissance étatique comme Haute Ecole Spécialisée. Mais à quoi sert-il d'aiguiser des couteaux toujours plus tranchants, si nous n'avons pas de rôti à découper et que la délicate nourriture hautement théologique nous laisse sur notre faim ? Les parcours académiques donnent-ils aussi la possibilité de rencontrer, sur le terrain, les personnes du quotidien ? Pourquoi n'y a-t-il pas plus de femmes et d'hommes pour s'engager dans un métier pour moi fascinant ? Malgré toutes les prières et les sacrifices financiers importants en faveur de notre séminaire, il n'y en a plus que quelques-uns qui y étudient. Est-ce que nous, les actuels tenants de la fonction, donnons l'impression de manquer d'enthousiasme ? Est-ce que nos lieux de formation n'ont plus, aux yeux de beaucoup de femmes et d'hommes, que le rayonnement glacé d'un bonhomme de neige ? Ou bien est-ce que nos paroisses sont ramollies et fatiguées, ce qui n'attire pas les gens au ministère pastoral ?
3. QUESTIONS AUX PAROISSES
Il arrive aussi que des pasteurs quittent le ministère à cause des expériences vécues dans les paroisses. Je dis cela sans accuser personne. Mais ici ou là, la dispute et les conflits sont des éléments dominants de la vie communautaire. De petits esprits veulent empêcher de penser librement. Les papes ne se trouvent pas qu'à Rome. Et quelle chance un conducteur spirituel sensible a-t-il face à un sabreur pétri de piété ? Parallèlement : Comment les paroisses peuvent-elles s'entendre avec des pasteurs qui ne voient pas par-dessus le bord de leur assiette de théologie d'école ?
4. MA PASSION POUR CETTE THEMATIQUE
Pour moi, la question clé est la suivante: qu'est-ce qui rend notre EEM attrayante ? Il y a des années, un de nos pasteurs a publié un livre intitulé: "Nous aimons notre Eglise !" Il y a dans ce vieux bouquin une chose essentielle et qui le sera toujours - je le dis avec mes propres mots : "Ne vous conformez pas au style de l'Eglise d'Etat, avec ses pompes, ses orgues, ses robes pastorales et ses salaires. Ne vous conformez pas non plus au genre de ceux qui allument en ce moment toutes sortes de feux d'artifice, que l'accompagnement sonore en vienne d'Amérique ou encore d'ailleurs. En tant qu'EEM, nous avons une magnifique histoire et notre propre façon d'être et d'agir. L'Eglise est une grande place de fête pour nous et pour les autres."
Une Eglise attrayante trouvera certainement des personnes qui veulent s'y engager. La confiance en soi du méthodisme se cultive dans la joie. C'est très calmement que Jésus a demandé: "Voulez-vous aussi me quitter" ? Il a laissé partir ceux qui voulaient le quitter. Pas de morosité. Parce que la chose de Dieu continue. Même s'il y en a qui débarquent. Quant à ceux qui restent, nous ne pouvons assez les encourager et leur dire avec assurance: il n'y a pratiquement pas de profession qui fasse autant sens que celle de pasteur. Et cela aussi dans l'EEM.
COMMENT CONTINUER ?
Servir dans le cadre du ministère pastoral est devenu plus difficile. L'Eglise et ses structures sont devenues plus compliquées. La bureaucratie, avec sa consommation croissante de papier, fait souffrir l'Eglise. Où donc est la force du méthodisme ? Le papier n'a que peu d'impact. Ni le professionnalisme, ni une gestion bien organisée n'ont amené un renversement de tendance. Le but ne peut consister que dans une transformation vers la simplicité. Cela veut dire: Vivre dans le style du "fou" Jésus de Nazareth. En termes concrets: Allez vers les êtres humains en tant qu'êtres humains ! Selon la tradition méthodiste, les personnes du petit et du grand monde entier sont nos "paroissiens". Je vois, chez quelques jeunes familles pastorales qui vivent ce qui pour moi est un style de vie alternatif et pratiquent la simplicité, des signes crédibles qui ne peuvent rester sans effet. Les engagés à temps plein sont moins dans leur bureau et plus parmi les gens. Notre milieu va le remarquer. J'espère que l'enthousiasme pour le métier si fascinant du pasteur va resurgir. En même temps, j'espère pour l'EEM qu'elle réussira à proposer un cadre attrayant, au sein duquel les engagés à plein temps pourront s'épanouir joyeusement, conformément à leur conviction.
Ernst Gisler vit depuis 2003 une retraite active à Winterthur. Il a été pasteur au service de l'EEM pendant 40 ans, dont huit années en qualité de surintendant.
Tiré de Kirche und Welt, le magazine de l’EEM en Suisse alémanique
N°18 - 3 Novembre 2005
Traduit par Frédy Schmid
Source: EEMNI