Suisse: le mea culpa des protestants suisses sur l'apartheid

La Fédération des Eglises protestantes Suisse exprime ses regrets pour son comportement, durant l'apartheid en Afrique du Sud.


«En tant qu’Eglise, nous sommes trop peu intervenus en faveur des victimes de l’apartheid et de ceux qui ont protesté contre cette injustice», déclarait Thomas Wipf, président du Conseil de la FEPS, en 2001, au retour d’un voyage en Afrique du Sud. 


La Fédération des Eglises protestantes avait alors annoncé son intention de se pencher sur son passé. Jeudi, elle a présenté les résultats de deux études qu’elle avait commandées et d’un mémoire de licence rédigé de manière indépendante. 


Pas de prise de position claire


Les auteurs soulignent que la FEPS n’a pas adopté une position claire en tant qu’institution face à l’apartheid. 


«Du point de vue théologique, la condamnation de l'Apartheid était évidente. Mais nous avions un peu de peine, à l'époque, à prendre position officiellement», reconnaît le vice-président de la Fédération des Eglises protestantes. 


«En tant que réformés, nous soumettons généralement le jugement de nos pairs à Dieu, poursuit Paul Schneider. C'était l'excuse pour ne pas intervenir et adopter une position claire. Aujourd'hui, nous le regrettons.» 


L’une des études publiées jeudi explique cette attitude notamment par la pluralité d’opinion qui prévaut au sein des Eglises protestantes de Suisse. 


Pluralité d’opinions 


«Une partie du problème est lié à la structure, confirme Eric Morier-Genoud, spécialiste des relations entre la Suisse et l’Afrique du Sud. Contrairement à l’Eglise catholique, qui est nationale, les protestants ont un système plus fédéraliste.» 


«Parfois, les opinions divergent, poursuit-il. Ainsi, à Neuchâtel, les protestants étaient opposés au régime de l’apartheid. En revanche, Zurich avait une position moins déterminée, sans doute en raison de sa proximité avec les banques.»


«Le régime de l’apartheid a ainsi utilisé les Eglises protestantes pour légitimer sa propre existence», commente encore Eric Morier-Genoud. 


Aujourd’hui, la FEPS entend tirer les enseignements du passé. «Désormais, nous devrons parler d'une seule voix, précise son vice-président. Nous allons aussi élaborer des lignes directrices théologiques et éthiques pour notre politique extérieure.» 


Des projets concrets de l'Entraide protestante suisse (EPER) sont également prévus en Afrique du Sud. Et la FEPS va s’engager plus intensément au sein de l'Alliance réformée mondiale. 


Critiques


Les défenseurs des victimes de l’apartheid se réjouissent de la publication d'études historiques sur la question. Mais ils sont partagés quant aux conclusions. 


«L’opinion des Eglises partenaires de la FEPS en Afrique du Sud n’est pas prise en compte, notamment en ce qui concerne les plaintes», dénonce Mascha Madörin de la Campagne suisse d'annulation des dettes de l'apartheid (KEESA) et Action Place financière Suisse. 


«En Afrique du Sud, les Eglises partenaires ont demandé des sanctions internationales et des réparations pour les victimes de l’apartheid, ajoute Mascha Madörin. Or la FEPS continue de parler de processus de réforme.»


«La FEPS regrette de ne pas avoir suffisamment écouté les gens qui appelaient à dénoncer l'Apartheid, répond Paul Schneider. Aujourd’hui, nous sommes en relation avec les Eglises en Afrique du Sud. Les contacts existent. C'est déjà une étape.» 



La Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) et l’histoire de ses relations avec l’Afrique du Sud


Trois études qui ouvrent des perspectives 


La Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) s’est attachée à l’étude critique de l’histoire de ses relations avec l’Afrique du Sud. Les résultats de trois recherches détaillées ont été présentés jeudi lors d’une conférence de presse tenue à Berne. Le Conseil de la FEPS exprime ses regrets et tire des conséquences pour l’avenir. 


«En tant qu’Église, nous sommes trop peu intervenus en faveur des victimes de l’apartheid et de ceux qui ont protesté contre cette injustice », avait déclaré en 2001 Thomas Wipf, président du Conseil de la FEPS, au retour d’un voyage en Afrique du Sud. Il avait alors confirmé l’intention de la FEPS de se pencher sur son passé et de faire procéder à une étude critique de son histoire. Les deux études demandées par le Conseil ont ainsi été présentées le 22 avril, en même temps qu’un mémoire de licence élaboré indépendamment. 


• Lukas Zürcher: «Gute Dienste in Südafrika» – Die Südafrikapolitik des Schweizerischen Evangelischen Kirchenbundes zwischen 1970 und 1990 («Bons offices en Afrique du Sud» – La politique de la Fédération des Églises protestantes de Suisse à l’égard de l’Afrique du Sud de 1970 à 1990). Mémoire de licence de la section de recherche d’histoire sociale et économique de la Suisse de l’université de Zurich, décembre 2003. 


• Christoph Weber-Berg : Salz der Erde oder Spiegel der Gesellschaft? Studie betreffend die Haltung des SEK im Kontext der ‹Bankengespräche› zum Thema Apartheid in den Jahren 1986 – 1989 (Sel de la terre ou reflet de la société? Étude sur la position de la FEPS dans les ‹entretiens bancaires› organisés de 1986 à 1989 sur la question de l’apartheid). Étude réalisée à la demande de la FEPS. 


• Hans-Balz Peter, Dorothea Loosli: Les relations de la Suisse avec l’Afrique du Sud. Perspectives d’éthique sociale. Études et Rapports 59 de l’Institut d’éthique sociale de la FEPS. 


Thomas Wipf a commencé par rappeler que «chaque génération a le devoir de se pencher sur son histoire. Nous sommes heureux que la Fédération des Églises protestantes s’en acquitte en donnant le mandat de deux études et en ouvrant ses archives à un chercheur.» Les travaux et le mémoire de licence ont été présentés par les auteurs eux-mêmes. 


Quand la force du protestantisme devient pierre d’achoppement 


Un des éléments qui font la force de la tradition protestante, c’est l’importance donnée à l’individu, à sa responsabilité et à sa liberté à l’égard de l’institution. Mais dans le débat sur l’Afrique du Sud et sa politique d’apartheid, cette démocratie issue de la base et la structure fédéraliste de l’Église protestante sont au contraire devenues une pierre d’achoppement. 


C’est ce que démontre l’étude de Christoph Weber-Berg sur les ‹entretiens bancaires› qui de 1986 à 1989 ont réuni une délégation œcuménique des Églises et des représentants des banques sur la question des relations des banques suisses avec l’Afrique du Sud. Les Églises partenaires d’Afrique du Sud apprécient aujourd’hui encore à sa juste valeur le fait d’avoir fait venir des banques suisses à la table de négociation, et elles y voient un geste de soutien explicite. 


Il faut pourtant reconnaître que les entretiens bancaires n’ont pas apporté grand-chose, ainsi que le constate Christoph Weber-Berg en conclusion : «Du fait de leur structure démocratique, il existe une pluralité d’opinion dans les Églises suisses et il est difficile pour l’Église en tant qu’institution d’adopter une position claire.» «Pour mener des négociations avec un objectif précis, il faut une position strictement définie. Pour s’opposer à des dérapages politiques, il faut s’affirmer avec un certain profil. Et ces deux attitudes ne sont pas infiniment compatibles avec la démocratie», a ajouté Thomas Wipf. 


Le Conseil exprime ses regrets


Auteur d’une recherche exhaustive et critique, Lukas Zürcher est parvenu à cette conclusion: «En se confinant résolument dans un rôle de médiateur apparemment neutre et en s’accrochant à ses exigences d’Église multitudiniste soucieuse de maintenir le dialogue avec toutes les parties, la FEPS a laissé passer une opportunité de participer, aussi bien en Suisse qu’en Afrique du Sud, à une transformation sociale nécessaire.» 


Lors de la conférence de presse, le président du Conseil, Thomas Wipf, a regretté certaines erreurs d’appréciation commises alors. Dans le débat sur l’apartheid, les entretiens bancaires étaient d’une importance primordiale pour la FEPS, qui les a menés avec des intentions claires et la meilleure volonté. Toutefois, «il y a eu des lacunes dans le mandat concret de négociation, dans la préparation à tous les échelons et dans la conception de la stratégie»


La parution des trois documents a donné l’occasion au Conseil de la FEPS d’exprimer ses regrets. Rétrospectivement, le Conseil constate que la FEPS avait alors le choix entre deux voies : soit la médiation entre des positions et des manières de penser inconciliables, soit le parti pris résolu en faveur des opprimés. Le Conseil de la FEPS regrette que, du temps de l’apartheid, la Fédération des Églises protestantes se soit trop engagée dans la voie des bons offices et de la réconciliation, et ait ainsi accordé trop peu d’attention et de soutien aux victimes de l’apartheid et à ceux qui au sein de nos Églises protestaient contre cette injustice. 


L’avenir


Après avoir examiné attentivement ces trois études, le Conseil en tire les conséquences. Gottfried W. Locher, responsable des relations extérieures de la FEPS, a présenté à la presse ses propositions pour l’avenir des relations internationales et des projets concrets de l’EPER en Afrique du Sud. Le Conseil a l’intention d’élaborer des lignes directrices théologiques et éthiques pour sa politique extérieure, de donner plus de force obligatoire à la collaboration au sein du protestantisme suisse, d’améliorer la coordination avec les œuvres d’entraide et les missions et de renforcer son rôle dans l’Alliance réformée mondiale (ARM).


24/04/2004


Source: EEMNI/amadoo/feps