COE: réflexions sur le thème de la 9e Assemblée du COE: Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce par le Cardinal Walter Kasper

Au défi d’ouvrir les yeux et de rendre témoignage


Le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, apporte, dans l’article qui suit, une contribution catholique romaine à la réflexion sur le thème de la prochaine Assemblée du Conseil œcuménique des Eglises : Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce.


Le thème de la 9e Assemblée du Conseil œcuménique des Eglises (COE), Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce, est une prière riche de foi et d’espérance envers Dieu qui conduit, gratuitement et continuellement, les chrétiens vers le renouveau personnel et la conversion, et qui utilise l’Eglise comme instrument de son amour pour la transformation du monde.


Dans deux des lectures bibliques proposées sur le thème (Luc 4 et Esaïe 61) on trouve le fondement théologique sur l’action de Dieu au travers de l’Eglise en tant que "sacrement indivisible du salut". [1]


L’action transformatrice de Dieu se fait par le Christ qui "ayant été élevé de la terre, attire à lui tous les hommes" (Jean 12,32, texte grec). "Ressuscité des morts (cf. Rom. 6,9), il envoya à ses disciples son Esprit vivifiant et, par lui, se constitua un corps, l'Eglise, sacrement universel du salut". [2]


Dans le texte d’Esaïe 61,1-4, qui se trouve accompli en Luc 4,16-30, il est évident que "la restauration que nous attendons a déjà commencé dans le Christ; elle se poursuit par l'envoi du Saint Esprit et, à travers lui, continue dans l'Eglise". [3] Par la présence du Christ dans l’action du Saint Esprit, Dieu est perpétuellement à l’œuvre dans le monde, transformant l’humanité ainsi que le cosmos tout entier.


Pour le Concile Vatican II, l’Eglise est "le sacrement universel du salut" [4] qui, par la grâce de Dieu a la double mission de travailler à la réalisation de la plénitude de sa propre unité et à l’unité d’une humanité éclatée. Le concile place donc l’Eglise en perspective, en insistant sur sa nature eschatologique en tant que peuple pèlerin en marche vers la réalisation ultime du royaume de Dieu, lorsque la race humaine, ainsi que la création toute entière, qui est intimement liée aux êtres humains et qui réalise son but à travers eux, sera parfaitement rétablie en Christ. [5]


Le fondement du rôle de l’Eglise dans le monde est théologique et christologique. Dans l’Ancien Testament, l’intervention de Dieu dans l’histoire est vue dans la perspective du Dieu créateur et seigneur de toutes choses (cf. Es 40, 21-26 ; 42,5s.). L’accomplissement de la justice messianique (la Loi de Dieu) y est toujours lié au rétablissement de l’ordre de l’ensemble du cosmos – la totalité de la terre habitée (oikoumene).


Dans le Nouveau Testament, notamment chez Paul, la souveraineté est attribuée au Christ, qui est à la tête de l’Eglise (cf. Eph 1, 18-20) et de toutes choses (cf. Eph 1,22 ; Col 1, 15-18 ; 2, 10). Le Christ, chef de ces deux domaines, est porteur d’une relation d’alliance entre Dieu et les humains, ainsi qu’entre Dieu et l’ensemble de la création.


Le thème de l’Assemblée du COE, Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce, présuppose la foi et l’espérance en Dieu qui, en Christ, par l’action du Saint Esprit, a déjà accompli cette promesse. La fin des temps a déjà commencé, car la base du rétablissement de toutes choses a été posée en Christ.


Nous ne nous contentons pas de prier et d’attendre que Dieu transforme le monde. Les chrétiens reçoivent les talents et la sagesse leur permettant de collaborer à l’œuvre de Dieu qui transforme le monde. Autrement dit, les chrétiens ont le devoir et la responsabilité d’instituer un ordre du monde conforme au don divin de la vérité et de la grâce reçues dans le Christ Jésus notre Seigneur. [6]


Des façons nouvelles d’écouter la Parole de Dieu


La question qu’il faut garder à l’esprit à propos de ce thème est la suivante : Quel est le dessein que Dieu poursuit par la création, le mystère du salut et l’incarnation, dessein qui culmine dans le mystère pascal du Christ qui est finalement élevé afin d’attirer toutes choses à lui (cf. Jn 12, 32) ?


Le Concile Vatican II résume ainsi la réponse à cette question : "Qu'elle aide le monde ou qu'elle reçoive de lui, l'Eglise tend vers un but unique: que vienne le règne de Dieu et que s'accomplisse le salut du genre humain. D'ailleurs, tout le bien que le Peuple de Dieu, durant son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de cette réalité que l'Eglise est le sacrement universel du salut, manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l'amour de Dieu pour l'homme ". [7]


Mais, concrètement, comment l’Eglise vit-elle son ministère pastoral à la lumière du dessein salutaire de Dieu ?


Le ministère pastoral du Christ, tel qu’il nous est présenté en Luc 4,16-30, sert de modèle à celui de son Eglise. Exactement comme Jésus est envoyé par le Père, par l’action du Saint Esprit, "pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, pour renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur", l’Eglise elle aussi est envoyée pour faire de même, afin de prendre part à la réalisation de la justice messianique dans des situations concrètes.


Le thème de l’Assemblée du COE met tous les chrétiens au défi d’écouter la Parole de Dieu de façon nouvelle, afin de saisir ce que signifie cette Parole dans leur vie d’aujourd’hui. C'est à ouvrir les yeux que nous sommes invités, à veiller à ce que les pauvres connaissent et vivent la bonne nouvelle, à ce que les captifs soient libérés et que les aveugles de toutes catégories puissent voir à nouveau.


Nous sommes mis en demeure de rendre témoignage à l’action transformatrice de Dieu par le Saint Esprit aujourd’hui, parmi nous, tout comme Jésus a dit aux disciples de Jean : "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres" (Matthieu 11, 4-5).


C’est pourquoi le thème de l’Assemblée est à la fois prière et accomplissement du royaume de Dieu en Christ, par l'instrument de l’Eglise, soutenue et guidée par le Saint Esprit au long des siècles.


Notes

1 Cyprien, Eph. 69, 6, Hartel III, p. 754 (PL III, 1142B).

2 Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium sur l’Eglise, 48

3 ibid.

4 Lumen Gentium, 15

5 Cf. Eph 1, 10 ; Col 1, 20 ; 2 Pi 3, 10-13.

6 Cf. Yves Congar, Jesus Christ (New York : Herder, 1966), à propos de la réalisation du gouvernement du Christ sur le monde ; et Yves Congar, Sacerdoce et laïcat devant leur tâche d’évangélisation et de civilisation (Paris : Cerf, 1962), p. 357 (en anglais : Priest and Layman, Londres : Darton, Longman & Todd, 1967).

7 Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes sur l’Eglise dans le monde de ce temps, 45.



Le cardinal Walter Kasper, en sa qualité de président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, est le principal responsable œcuménique au Vatican. En tant que théologien, il est l’auteur de nombreux articles et de plusieurs ouvrages, parmi lesquels : Leadership in the Church : How traditional roles can serve the Christian church today (2004) [L’autorité dans l’Eglise : Comment les rôles traditionnels peuvent être au service de l’Eglise chrétienne aujourd’hui]. Il a été membre de la commission Foi et constitution du COE de 1975 à 1991.


16/11/2005

Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)