France, Paris: retour sur un colloque sur le courant évangélique (mars 2002)

Le Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité (GFSL), qui est un laboratoire mixte entre le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) et l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) a organisé un colloque international sur le protestantisme évangélique du 14 au 16 mars 2002 sur le thème suivant: «ENTRE RUPTURE ET FILIATION. LE PROTESTANTISME EVANGELIQUE: UN CHRISTIANISME DE CONVERSION.» 


L'objet de ce colloque international était de donner une vigoureuse impulsion à la recherche, en Europe et en France, sur un terrain encore relativement «neuf»: celui du protestantisme évangélique.


PROBLÉMATIQUE GÉNÉRALE


La problématique centrale du colloque était celle de la conversion en milieu protestant évangélique, entre «rupture et filiations». La conversion constitue un analyseur privilégié d'une figure spécifique du protestantisme en ultra-modernité. Elle pose, de manière frontale, une question qui est au coeur de la réflexion socio-historique sur le religieux aujourd'hui: la question de la tension entre rupture et filiations. Par définition, la conversion introduit une forme de rupture. Danièle Hervieu-Léger, dans "Le pèlerin et le converti", y voit une des formes majeures de la recomposition du religieux en modernité. Elle est symbolisée, chez

beaucoup de protestants évangéliques par le baptême par immersion du converti, véritable «rite de passage» où le croyant affiche symboliquement un "changement d'état" (thème de la «nouvelle naissance»).


Selon Jean-Paul Willaime, directeur du GRSL, ce courant du protestantisme met l'accent sur la conversion, sur une ascèse militante (moralisation de la vie quotidienne) et enfin sur une dimension normative de la Bible reçue comme «Parole de Dieu».


Le protestantisme évangélique attire l'attention des chercheurs français selon Sebastien Fath: «Il est possible de dire que depuis le milieu des années 90, une nouvelle période d'historiographie française s'est ouverte. Dans les dernières années du xxe siècle, le protestantisme évangélique n'est plus considéré comme un objet périphérique des sciences sociales. Il a été de plus en plus analysé comme l'une des principales dynamiques de recomposition religieuse de la période contemporaine.»


A la date du 31 mars 2002, le Monde lui a consacré un article suggestif: «La montée d'un christianisme de conversion».


La Fédération Evangélique de France (FEF), dont l'UEEM est membre, a rendu compte de ce colloque dans son dernier numéro (INFO FEF). Nous en extrayons l'interview que Danièle Herveu-Légier, Directrice d'Études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, directrice du Centre Interdisciplinaires d'Études des Faits Religieux, auteur de nombreux ouvrages et Mark Noll, Professeur d'Histoire à Wheaton College aux USA, intervenant à Harward Divinity School, ont accordé à son rédacteur Reynald Kozycki.


"Questions à Danièle Herveu-Légier, directrice d'études"


Le protestantisme évangélique reste, somme toute, assez mal connu en France. À quoi attribuez-vous cela?


Tout simplement à l'histoire. C'est un protestantisme minoritaire, qui n'a pas du tout eu une implantation historique du même type que les églises luthériennes et réformées, même si une part non négligeable du courant évangélique était dans le protestantisme «officiel». Par la constitution même de ces églises évangéliques, elles sont restées à la marge, alors que les grandes églises réformées et luthériennes ont joué le jeu de la laïcité. Ceci a contribué à donner à ces grandes églises une assiette trés supérieure à ce qu'elles représentent statistiquement à l'intérieur d'un cadre confessionnel qu'elles ont accepté. Il se trouve que les églises évangéliques ne sont pas rentrées dans ce cadre confessionnel, au moins pas de la même manière. On s'en rend compte aujourd'hui dans le fait que certaines églises évangéliques se trouvent incriminées dans les problématiques de la lutte anti-secte, tout simplement parce qu'elles ne sont pas rentrées historiquement dans le cadre confessionnel auquel les grandes églises protestantes ont adhéré. Il se trouve en plus que, dans les pays de tradition protestante, le protestantisme évangélique a été le lieu où a pris corps et où s'est développé un protestantisme populaire. Or en France, où la tradition catholique est extrêmement présente, cette religiosité populaire a été essentiellement assumée dans le catholicisme, plus que dans le protestantisme. La tradition ouvrière s'est beaucoup plus jouée du côté catholique dans lès différentes variantes du catholicisme social par exemple, alors que dans les pays protestants, elle s'est jouée dans des courants évangéliques qui ont pris en charge à eux seuls les demandes des couches sociales défavorisées.


Le courant évangélique (et pas seulement pentecôtiste), malgré son influence relativement modeste, a «le vent en poupe» comme l'analysait un dernier numéro de L'actualité des religions? À quoi attrlbuez-vous cela? 


L'évangélisme a effectivement le vent en poupe, d'ailleurs bien au-delà de ce que les protestants imaginent (il y a des formes d'évangélisme qui se répandent en dehors du protestantisme, en particulier dans le catholicisme). Laissons de côté le cas du pentecÔtisme. À mon avis, ce qui fait le succès de l'évangélisme, y compris l'évangélisme «soft» (non exubérant, qui n'est pas celui de la pratique des miracles, des exorcismes, etc.) aune double base. D'une part, il y a une problématique de la conversion, de la religion choisie, et d'autre part, une conception congrégationaliste de l'Église, qui à mon avis, est aujourd'hui la forme vers laquelle aspirent les communautés chrétiennes (de toutes tendances). Nous sommes devant une tendance au congrégationalisme et une insistance sur la religion personnellement assumée de quelqu'un qui y entre vraiment et se convertit; je crois que ces deux volets-là font que l'évangélisme aie le vent en poupe. Cette conception de l'église locale, de la communauté de gens qui décident ensemble, qui se réunissent entre croyants et ne se préoccupent pas (ou peu) de s'identifier à une institution plus vaste attire aujourd'hui un grand nombre de chrétiens. En même temps, l'idée que cette communauté doit rassembler des gens qui s'engagent vraiment personnellement tend à s'imposer. Si vous admettez que ces traits sont particulièrement présents dans la tradition évangélique, on comprend mieux pourquoi l'évangélisme ale vent en poupe. 


Questions à Mark Noll, historien


Comment définiriez-vous le « protestantisme évangélique»?


Je favoriserai deux voies pour approcher la question difficile d'une définition : elles fonctionnent assez bien dans les milieux anglo-saxons. Mais d'un pays à l'autre, le mot «évangélique » ne désigne pas toujours la même chose:

(a) la première définition a été établie par l'historien britannique, David Bebbington (présent aussi au Colloque du GRSL), et souligne quatre caractéristiques générales qui ont marqué les «évangéliques» depuis le XVIIIe siècle: attachement à la Bible en tant que source suprême d'autorité spirituelle, accentuation de la conversion comme l'entrée normale dans la vie chrétienne, emphase sur le côté actif de la vie chrétienne (particulièrement dans le rôle de témoin du Christ), et une concentration sur l'oeuvre de Christ à la croix comme vérité théologique fondamentale.

(b) À l'excellente définition de Bebbington, j'aime ajouter également une composante historique: les «évangéliques» sont ceux qui sont historiquement reliés aux grands Réveils et au mouvement piétiste du XVIII' siècle et qui maintiennent les convictions de ces mouvements. 


Pourquoi, d'après vos données, la France semble-t-elle encore si fermée au protestantisme évangélique?


Je le redis, je ne suis pas un expert du tout dans ce domaine, mais je proposerai quatre éléments de réponse:

(a) dans l'histoire française, le christianisme se réduit bien souvent au Catholicisme, religion majoritaire.

(b) La tradition révolutionnaire, avec son anticléricalisme prononcé, a laissé une empreinte décisive d'inimitié face au christianisme sous toutes ses formes (en France, et contrairement aux États-Unis, la République a intégré un certain anticléricalisme).

(c) L'Eglise Réformée française a été forcée dans son histoire à dépenser plus d'énergie à sa survie qu'à une vision d'expansion, d'où peut-être aussi une certaine méfiance en elle du témoignage évangélique contemporain.

(d) Ces dernières années, le courant évangélique à travers le monde (et pas simplement en France) a parfois été identifié à « l'expansionnisme » nord-américain et à son armée; ainsi les personnes opposées à cette influence ou simplement méfiantes, comme la France, ont fait une sorte d'amalgame (en réalité les évangéliques Français sont plutôt indépendants de l'influence nord-américaine). 




La question de l'identité des évangéliques n'intéresse pas seulement les sociologues. Sur une initiative conjointe de la Faculté Libre de Théologie Réformée d'Aix-en-Provence et de la Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine est prévu un Colloque de Théologie Evangélique les 11 et 12 septembre 2002 à l'Institut Biblique de Nogent précisément sur le thème de l'"L’identité évangélique" avec des intervenants aussi divers que les professeurs en théologie Sylvain ROMEROWSKI, Henri Blocher, Paul Wells, Pierre Berthoud et Jacques Buchhold et les sociologues Mme Danièle HERVIEU-LÉGER et Sébastien Fath pour poser d'abord un regard à la fois historique et sociologique sur la montée des courants évangéliques avant de brosser des perspectives théologiques.

Source: EEMNI/INFOFEF 92 (juin 2002)/Religioscope