COE: prier pour que Dieu opère des transformations en Afrique

Par Mercy Amba Oduyoye (*)


La transformation est presque devenue un cliché. Tout doit être transformé: la vie des individus, les cultures, l'économie, les sociétés… absolument tout. Mais il est rare que nous invoquions Dieu ou sa grâce dans ce contexte. Nous exprimons simplement le besoin de transformation. Comme si nous espérions nous sortir de nos difficultés à la seule force de nos poignets. 


Il n'est donc pas étonnant que ce soit la prière pour obtenir la grâce de Dieu qui attire l'attention dans le thème de la 9e Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises (14 au 23 février 2006): "Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce". "Dieu, dans ta grâce," "Si ce n'était la grâce de Dieu…", "Ô Dieu, sois miséricordieux envers nous" - ces expressions et d'autres semblables, sont très courantes dans le langage de la spiritualité chrétienne. Nous prions pour la grâce. Et maintenant, nous demandons à Dieu d'être miséricordieux et d'amener la transformation dans le monde.


Quelles transformations les Africains attendent-ils?


Une émission récente de la BBC a présenté un livre dans lequel l'auteur compare le génocide à l'intimidation, expliquant que tous deux ressortent de la même attitude: traiter les autres avec mépris ou comme s'ils n'étaient pas des êtres humains.


Cette émission passait à l'antenne alors que j'étais en train de lire Little Girl, Arise! de la soeur Thandeki Umlilo. Ce livre évoque les sévices sexuels et l'inceste dont cette femme a été victime dans son enfance, et qui lui ont été infligés par des membres masculins de sa famille - son père, un oncle et ses deux frères - et le silence de sa mère durant cette période si douloureuse. L'auteure estime avoir été violée dans son humanité même et outragée dans sa personne. [1]


Déplorer la situation de l'Afrique est devenu une habitude lorsque nous nous réunissons entre Africains.


L'impunité dont jouissent ceux qui exercent le pouvoir en Afrique et la façon dont ils traitent leurs concitoyens sont proverbiales. Quant à l'impunité de ceux qui sont payés pour être au service du public - aux frontières, sur les routes, dans les bureaux, voire même sur les marchés - il faut le voir pour le croire. Les pots de vin de toutes sortes, le manque d'empressement ne sont guère sanctionnés, et les victimes n'ont aucune possibilité de recours en justice. La télévision n'a de cesse de décrier ces pratiques mais rien ne change.


Tout ce qu'on peut faire, c'est de demander avec force: Transforme cette situation, Dieu, dans ta grâce, accorde-nous le respect pour l'humanité de l'autre. Mais nos lamentations sont aussi une forme de protestation qui exprime notre refus du statu quo et l'expression de notre espoir de voir changer les choses.


> Implorer la grâce de Dieu


Une question me hante: qu'est-ce qui nous faire croire que Dieu entreprendra la transformation du monde ? Dieu nous a créés avec le libre arbitre et nous a appris à vivre comme des êtres à son image. Qu'attendons-nous de plus de Sa part?


L'être humain a coutume de mettre Dieu à l'épreuve jusqu'à ce que le "sacré" consume tout ce qui est indigne de Sa présence. On laisse croître ensemble le blé et l'ivraie jusqu'à la moisson et, au temps de la moisson, le blé est séparé de l'ivraie, et cette séparation préside à leur destinée. Nous avons beau le savoir et pourtant, nous implorons Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce.


Je me demande souvent si nous agissons ainsi parce que nous savons que nos péchés ne peuvent pas éclipser l'image de Dieu en nous. Ou peut-être est-ce parce que nous affirmons que notre créateur et juge est aussi notre rédempteur. Je sais d'expérience que là où le feu de la foi couve sous la cendre du mal, nous affirmons que la grâce de Dieu saura ranimer les braises mourantes, d'où s'élèveront des flammes vives.


Souvent la foi sommeille en nous, permettant à l'incroyance et au scepticisme d'orienter nos réactions aux changements qui nous entourent. Si c'est la dégradation de l'environnement qui est le mal, nous réagissons comme si nous n'y pouvions rien changer - comment espérer faire un maximum de profit en continuant à essayer de réduire nos émissions de gaz nocifs?


S'il s'agit de pratiques commerciales déloyales, nous soutenons que seul le libre échange stimulera l'économie, en négligeant le fait que le libre échange nuit à tous ceux dont le marché intérieur est tributaire d'exportations subventionnées. Nous glorifions la mondialisation quand elle nous est profitable et fermons les yeux sur le fait qu'elle exclut la libre circulation de certaines personnes à travers le monde, notamment celles qui sont considérées comme un ‘poids mort' en termes de rentabilité.


Quand nous agissons de la sorte, tout ce qui reste à faire à ceux qui nuisent aux autres, c'est d'implorer la grâce de Dieu qui protège les plus vulnérables et les laissés-pour-compte.

• Nous ne méritons certainement pas d'être sauvés 

• Comme on fait son lit on se couche

• Mais nous savons que, par la grâce de Dieu,

• Nous nous éveillerons, nous nous lèverons et nous partirons.

Quand notre esprit aura été transformé, nos priorités changeront et nous commencerons à voir le monde tel que Dieu le voit. Par la grâce de Dieu, nous ne resterons pas tels que nous sommes. Nous serons empreints de compassion et de respect pour l'autre, et nous nous réjouirons de faire ce qui est juste devant Dieu.


Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce. Commence par moi, afin que je puisse devenir un instrument de la transformation pour laquelle nous prions.


(*) M. Mercy Amba Oduyoye, directrice de l'Institute of Women in Religion and Culture, au Trinity Theological Seminary de Legon, au Ghana, a fondé le Cercle des théologiennes africaines engagées, et a été secrétaire générale adjointe du COE. Elle est membre de l'Eglise méthodiste du Ghana.


Note:

[1] Thandeki Umlilo: Little Girl, Arise! New Life After Incest and Abuse, Cluster Publications, Pietermaritzburg, South Africa, 2002. 174 pp.


10/01/2006

Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)