Etats Unis: émergence du gospel dans les milieux black méthodistes

Sur le site de Cliacanoo, nous relevons une étude fort intéressante sur les origines de la gospel music dans les milieux méthodistes et baptistes et de son évolution dans l'histoire suite à la parution d'un ouvrage fort documenté de Noël Balen. Cet article qui pose aussi la question du devenir de ce genre musical touchera la sensibilité des lecteurs d'EEMNI.



Si la littérature du jazz abonde en dictionnaires, histoires, encyclopédies et biographies, les “negro spirituals et gospel songs”, qui constituent les racines profondes de la musique afro-américaine et malgré l’engouement qu’ils suscitent auprès d’un large public, semblent beaucoup moins inspirer les écrivains et critiques spécialisés.




Pourquoi ? Sans doute parce que “le matériau religieux étonne, inquiète et bouleverse et que cette musique dépasse le travail d’analyse et les tentatives didactiques”, écrit Noël Balen dès l’introduction de son ouvrage consacré à l’histoire du negro spiritual et du gospel, la première étude véritablement exhaustive publiée en langue française sur le sujet (Edition Fayard, 345 pages). Des chants de travail (“Work songs”) des esclaves originaires d’Afrique “interprétés A Capella, rythmés par le cliquetis lourd des chaînes”, aux jeunes prédicateurs “qui montent en chaire en se frottant aux dards acérés du rap”, l’auteur, éblouissant d’érudition et de compréhension profonde, retrace l’épopée des musiques sacrées noires américaines des années 1700 à nos jours. Evocations, descriptions, analyses et portraits se succèdent dans une langue riche, dense, imagée, à la fois réaliste et poétique. 


De l’évangélisation aux premières chorales


“Moteur de survie”, explique Noël Balen, “la musique vocale accompagne et ponctue les faits marquants de l’existence de l’esclave noir... Mais, c’est avant tout un moyen de vivre sa foi dans l’émotion la plus intense et de s’abandonner à la possession du corps par l’esprit”. Arrive l’évangélisation: les esclaves et leurs descendants découvrent la Bible, le “Good book” (Le bon livre) et notamment les textes de l’ancien testament qu’ils interprètent à leur manière: ainsi naissent les premiers “negro spirituals”, parmi lesquels le célèbre “Go down Moses”, dont le refrain deviendra un hymne à la gloire de leur peuple en exil”


Les Noirs chrétiens, principalement d’obédience baptiste ou méthodiste “convaincus que leur foi peut s’exprimer avec davantage de force, sans la présence des Blancs", créent leurs propres paroisses autonomes dès 1774, suivie en 1816 de la fondation de la “Methodist Episcopal Church” et de la nomination du premier évêque noir Richard Allen, auteur d’un recueil de 56 hymnes originaux!


Un demi siècle plus tard, s’élève à Nashville (Tennessee) la première université noire: la “Fisk University” et sa chorale “Les Fisk singers” qui chanteront en Grande-Bretagne devant la reine Victoria en mai 1873! 


Le Gospel, ses “males quartets” et ses “divines”

Noël Balen situe l’avènement du gospel à l’aube du XXe siècle et plus précisément dans les années 30: “Une fièvre liturgique sans précédent va s’installer dans les temples, les instruments interviennent en nombre", Jésus et ses apôtres sont sollicités dans l’euphorie, au détriment des personnages de l’ancien testament qui renvoient trop aux Spirituals du temps de l’esclavage. Le prophète du gospel a pour nom Thomas Dorsey. Musicien d’exception, pianiste et compositeur inspiré, vocaliste puissant. Grâce à lui, la musique afro-américaine participe à l’industrie du spectacle. Il aura une énorme influence sur les “Saintes patronnes” au gospel, les “Divines” Mahalia Jackson, Roberta Martin, Sister Rosetta Tharpe Marion Williams et la plus jeune Liz Mac Comb. A côté de ces “Divines” de nombreux quartettes vocaux vont voir le jour “dans la grande tradition des ensembles universitaires et des paroisses”, pour devenir, selon Noël Balen, “le phénomène le plus populaire du gospel". Parmi une vingtaine de groupes répertoriés, l’auteur s’attarde sur 6 d’entre eux, dont le mythique “Golden gate quartet” créé en 1934 et qui continue de se produire sur les scènes du monde entier, avec un personnel différent. “Dans cette myriade de vocalistes et de groupes qui ont illuminé la voix lactée du chant sacré“, Noël Balen revient sur la personnalité des plus populaires d’entre eux tels les “Five blind boys of Mississippi”, “The spirit of Memphis”, “The harmonizing four” ou “The soul stirrers” et n’oublie pas les nombreux groupes vocaux féminins qui se sont imposés dès les années 30, comme les “Ward singers” “The caravan” ou “The stars of faith”.


La résurrection du gospel


Le gospel a-t-il un avenir? Noël Balen répond en substance: loin d’être un genre moribond ou une culture d’ethnographe, de nombreux créateurs bâtissent aujourd’hui un art musical religieux totalement rénové “certes hybride et chaotique, souvent englué dans la monnaie et la soif de consécration, mais où souffle l’esprit du divin... Si les thèmes abordés peuvent parfois sembler légers et les paroles sans originalité, l’Evangile est au cœur du propos, toujours miraculeusement intact”, “la musique sacrée du peuple noir s’assoit sur une force spirituelle et une implantation sociale qui dépassent les simples paramètres esthétiques“, souligne l’auteur de l’histoire du Negro Spiritual et du gospel, “l’Eglise est encore et toujours un lieu de rassemblement et de régénérescence”. “Quoi qu’il puisse advenir du peuple noir américain”, écrit encore Noël Balen, “l’Eglise sera toujours là, près des femmes et des hommes qui auront besoin de son abri pour mêler leurs voix et se sentir vivants. Ils sauront toujours qu’à l’angle d’un boulevard, dans les replis d’un champ de maïs, au creux d’une chapelle de bois ou derrière la façade squameuse de leur quartier, il se trouve une croix qui est la peur, un prédicateur qui les attend et une communauté à laquelle ils appartiennent”. (A noter en complément de l’ouvrage de Noël Balen, désormais livre de référence majeur et incontournable en matière de musique religieuse afro-américaine, une discographie complète, comprenant les 7 volumes de la collection Alain Lomax, une vingtaine d’anthologies et compilations, dont celles de Fremeaux et associés, une cinquantaine d’albums commentés enregistrés par les meilleurs solistes et groupes. Un précieux document !).

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Dr Jazz 


ARTICLE DU 03/02/02 

Source: Clicanoo