Au mois de juillet chaque année , le pasteur James Rae sait que son Eglise Méthodiste Irlandaise est au coeur d'une des célébrations annuelles les plus controversées de toute l'Irlande du Nord. La marche de l'Ordre Orangiste à Drumcree débute à peine à quelques mètres de la «Thomas Street Methodist Church». Les Orangistes, qui appartiennent à un vieil ordre, sont des protestants loyaux à la couronne britannique défilant sur les routes des villes et des villages de toute l'Irlande du Nord pendant «the Marching Season.» Le moment culminant de la saison, c'est le 12 juillet, l'anniversaire de la victoire du Roi protestant Guillaume d'Orange sur le Roi Jacques il y a 300 ans dans la Bataille de Boyne. Le parcours de ce traditionnel défilé traverse largement les communautés nationalistes catholiques. Bien des habitants de ces régions trouvent ces défilés profondément provocants et agressifs et entendent bien barrer la route à ces marcheurs, une fois qu'ils se trouveront dans leurs parages. Durant les années récentes, Drumcree a été le théâtre de violents affrontements pendant cette période. Rae a fait part de «sa grande préoccupation» pour cette série de marches prévue cette année. Alors qu'on a déjà du mal à poursuivre le processus de paix ô combien fragile, il craint que les défilés de Drumcree ne deviennent le point de ralliement de tous les opposants au processus de paix.
Ce n'est qu'en mai dernier que l'Assemblée d'Irlande du Nord, installée après l'accord de Vendredi Saint 1998, avait été capable de reprendre les pourparlers au «Stormont Castle» près de Belfast. Cette Assemblée élue venait d'être dissoute par le gouvernement britannique, au moment où les groupes paramilitaires de l'IRA avaient refusé de rendre les armes. Les responsables méthodistes redoutent que cette saison de marches ne portent un coup d'arrêt à cette Assemblée et au processus de paix en cas de violences.
«...... Des deux côtés (catholiques et protestants), on a des droits et les sentiments sont mélangés à l'intérieur des Eglises de cette région,» ainsi s'exprimait pour UMNS le pasteur Rae. «Les Orangistes ont le sentiment d'avoir été privés de leurs droits civils, du droit de défiler partout. .... Au même titre que les Orangistes, les paramilitaires ont le sentiment d'avoir été marginalisés.»
Le pasteur William Laverty, un pasteur de l'Église Méthodiste Irlandaise et lui-même membre de l'Ordre Orangiste, est d'accord avec lui: «Il y a des blessures très profondes dans la communauté unioniste,» explique-t-il. ....
Rae dit que sa communauté aborde une autre saison avec une peur compréhensible. «Un grand nombre de gens désirent seulement que la marche ne passe pas par ce secteur. Ils entendent eux-mêmes prendre totalement leurs distances de tout ça mais ne savent pas comment. Ils redoutent en représailles les intimidations et les injures.» Rae a préconisé publiquement que les Orangistes négocient directement leur repli avec les résidents catholiques; ce conseil ne l'a pas rendu populaire. «J'ai parlé directement aux résidents et aux leaders de la communauté nationaliste et maintenant on se méfie de moi» , dit-il. Voici le grand défi pastoral que nous avons à relever: doit-on trahir ses convictions et rester dans le processus de paix comme un médiateur ou dire ce que l'on croit et perdre la confiance des autres?»
La situation risque de devenir critique avec cette série de marches cette année; on risque dans ce contexte de négliger les innombrables changements survenus en Irlande du Nord, petits ou grands, qui ont contribué à des progrès significatifs et généré de l'espoir ces dernières années.
Il n'y a pas longtemps encore, les automobilistes empruntant la route de l'Aéroport national de Belfast devaient passer par un barrage militaire. Les soldats britanniques armés avaient l'habitude de patrouiller à pied et dans des véhicules blindés. ... Certaines portes sont désormais ouvertes, celles qui sont situées le long de la «peace line» (ligne de la paix) séparant les quartiers catholiques des quartiers protestants -qui rappelle la ligne de démarcation berlinoise-.
Le pasteur Roy Cooper de la «Ballymena Methodist Church» a dit que l'élection d'une assemblée a donné aux gens ordinaires le sentiment que quelque chose de nouveau et de meilleur était en train de se produire dans leurs communautés. Jusqu'à une date récente, les décisions dans les domaines de l'éducation, de la santé et du développement économique avaient été prises par une poignée de fonctionnaires britanniques de haut rang. «Pour la première fois, des membres de la communauté font de la politique,» explique-t-il. «Ils voient qu'ils ont réellement voix au chapitre à travers leurs assemblées locales; ils ont le sentiment que c'est vraiment 'différent' du passé.»
Mais le passé est toujours présent à la fois en politique et dans l'Église d'Irlande du Nord. Une question divise encore les partis, celle du nom donné aux forces de police d'Irlande du Nord. Suite aux processus de paix, il a été fortement recommandé de rebaptiser ces forces de police «the Royal Ulster Constabulary» (RUC) d'un autre nom. Les enquêtes établissent que «The RUC» a été impliquée dans la mort d'un certain nombre de civils en majorité catholiques pendant «les troubles».
Les défenseurs du RUC disent que des officiers ont risqué leurs vies pour ramener la paix. Ses opposants l'accusent de violence excessive et de sectarisme dans la gestion des affaires ces dernières 30 années. Pour des catholiques, les simples mots de «Royal Ulster» font pencher la balance du RUC du côté protestant. Les responsables nationalistes déclarent qu'un nouveau nom, plus neutre, pourrait aider à rebâtir la confiance et à donner une allure non sectaire à ce corps de police.
Le pasteur David Clements, pasteur méthodiste dont le père, officier de police, avait été assassiné en service, voit le changement de nom pour le RUC comme un des défis les plus importants à relever dans l'avenir. Pour les familles des 302 officiers de la RUC tués et pour ceux -encore plus nombreux- qui avaient été blessés pendant les troubles, un changement de nom équivaut à une gifle en pleine figure, à un soufflet face à leurs sacrifices, dit Clements, qui travaille actuellement pour le compte de WAVES, une association de soutien aux victimes.
Le pasteur Stuart Burgess espère que l'optimisme enregistré à travers l'Irlande du Nord encouragera les Méthodistes irlandais durant cette période instable à garder la mémoire de ces policiers. Burgess est le président de la Conférence Britannique méthodiste et préside la Conférence Irlandaise suivant la tradition, une tradition remontant aux temps de John Wesley et que les Irlandais avaient eux-mêmes fait le choix de garder.
Burgess a fait savoir à UMNS qu'il avait rencontré récemment le responsable nationaliste catholique Gerry Adams dans le cadre de ses fonctions au sein de l'Église Méthodiste Irlandaise. Adams lui a fait remarquer que l'Église Méthodiste avait été de toutes les Eglises celle qui avait été la plus engagée dans le processus de paix.
... Il n'en demeure pas moins que des groupes paramilitaires opposés à tout cessez-le-feu, continuent d'employer la violence pour tâcher d'imposer leurs vues. Et le pire, c'est qu'ils ne cessent de recruter. Un pasteur rapporte que les jeunes de son secteur sont aujourd'hui plus engagés et militarisés que jamais.
Pour Kenneth Todd, président de l'Église Méthodiste Irlandaise, il est urgent que l'Église se repente de toute autosatisfaction, qui a pu entraver le processus de paix par le passé.
«Nous avons témoigné de la mort et de la division au nom de la religion, aux dépens de l'Evangile et de sa notoriété à travers le monde,» dit-il. «Nous nous repentons des fois où les Eglises ont été partie intégrante du problème au lieu d'être partie intégrante de la solution.»
>Source: UMNS