Le Conseil œcuménique des Eglises (COE) célèbre le quarantième anniversaire de la conférence Eglise et société de 1966. Elle avait entre autres mis fin à la prépondérance des discours des pays du Nord en faveur des voix des pays Sud.
Yannick Provost (*) donne la parole au patriarche Paul, à la tête de l'Eglise éthiopienne orthodoxe qui est l'un des personnages qui attirent l'attention pendant cette réunion du Comité central, avec sa longue soutane blanche et sa croix de bénédiction toujours dans sa main droite. Comme pour tous les autres présidents élus lors de la dernière Assemblée à Porto Alegre en février 2006, c'est sa première participation à un Comité central dans cette fonction.
Enfin, le même journaliste Yannick Provost (*) interroge John Doom, autre figure bien connue dans le mouvement œcuménique. Né en 1936 à Tahiti, il a été l’un des fondateurs du Conseil d’Eglises du Pacifique en 1961. Secrétaire général et diacre de l’Eglise protestante Maòhi pendant 18 ans, John Doom a été membre du personnel du COE entre 1989 et 2000. En tant que représentant de son Eglise, il a été présent à toutes les Assemblées du COE depuis celle de Nairobi en 1975 jusqu’à celle qui s’est tenue à Porto Alegre en février 2006 et lors de laquelle il a été élu président.
Retour sur l’histoire de ces 40 années d’oecuménisme
Le Conseil œcuménique des Eglises (COE), tenant son comité central du 30 août au 6 septembre 2006 à Genève, célèbre à cette occasion le quarantième anniversaire de la conférence Eglise et société qui s'est aussi déroulée à Genève en 1966. Cette dernière anticipait les débats contemporains comme celui du désarmement, du racisme et du nouvel ordre économique international. Elle a été la première conférence chrétienne, avec la participation d'une délégation catholique, à réunir le même nombre de participants provenant des pays en voie de développement et des pays développés. Elle a de même mis fin à la prépondérance des discours des pays du Nord en faveur des voix des pays Sud.
Les intervenants de la matinée consacrée à cet anniversaire ont réaffirmé la pertinence et l'actualité des positions exprimées par le COE en 1966 comme le développement mondial de l'économie, la nature et la fonction de l'Etat, les structures internationales de coopération…
Son ancien Secrétaire général le pasteur Konrad Raiser, l'actuel secrétaire général le pasteur Samuel Kobia, l'universitaire Ioanis Petrou et le pasteur Puleng Lenka-Bula se sont exprimés sur le déroulement de la conférence et l'importance de l'événement pour le mouvement œcuménique et une meilleure justice sociale et économique.
Pour le pasteur Raiser, les conclusions de la conférence, ancrées dans la tradition chrétienne, sont toujours d'actualité et ont leur place dans les débats actuels du COE. Il lui revient de créer, avec ses partenaires chrétiens, les conditions pour que puisse se prolonger un meilleur dialogue.
En 1966, le contexte politique de l'époque était marqué par la division entre le monde soviétique et le monde capitaliste ainsi que par le mouvement des pays non-alignés (Conférence de Bandung en 1955). Une des conséquences pour le mouvement œcuménique a été la création en Afrique, en Asie et en Amérique Latine de représentations régionales du COE. Toutefois, si la conférence a produit beaucoup de déclarations en matière de justice économique, de responsabilité politique, de racisme, et de relation homme-femme, elle n'a pas pris à l'époque de position en faveur d'une idéologie ni d'une théologie particulière.
Un clivage s'est ainsi dessiné, au sein du COE, entre les pays du Nord et les pays du Sud, les premiers souhaitant encourager un changement dans les relations internationales entre Etats (annulation par les pays développés de la dette des pays du Tiers monde) alors que les seconds pointaient le besoin de certains peuples de lutter en faveur de leur autodétermination, principe selon lequel un peuple doit avoir le droit de déterminer sa propre forme de gouvernement, indépendamment de toute influence étrangère.
Dans les années soixante-dix, le concept de société responsable était alors proclamé dans le prolongement du débat sur la théologie de la révolution. Cependant, des difficultés sont apparues dans le dialogue œcuménique malgré les efforts pour concilier les questions de foi, de science, de justice sociale et d'avenir.
En 1998, l'Assemblée générale, qui s'est tenue à Harare (Zimbabwe), intégrait la question de l'annulation de la dette dans sa déclaration pour une approche plus cohérente des défis découlants de la mondialisation.
L'universitaire Puleng Lenka Bula, chargée de cours en éthique chrétienne à l'Université d'Afrique du Sud, a rappelé au bureau, qui se réunit pour la première fois depuis sa nomination lors de l'Assemblée de Porto Alegre de février 2006, les difficultés rencontrées à l'intérieur du mouvement œcuménique concernant l'équité entre les hommes et les femmes. Elle explique qu’il est impératif pour les Eglises d’être ouvertes au dialogue et au changement, notamment en ce qui concerne le ministère: "les femmes devraient pouvoir mesurer à quel point les Eglises et le COE ont la volonté de surmonter l'exclusion des femmes en leur sein".
Konrad Raiser a expliqué que selon notre histoire et notre origine sociale, nous avons une perception différente de la réalité sociale. Nos interprétations respectives de la réalité sont souvent en conflit les unes avec les autres et nous ne pouvons pas les réduire à une seule représentation normative.
Toutefois, nous pouvons retenir du débat des quarante dernières années, a précisé Konrad Raiser, que l'impératif biblique de 'Agape' (document préparé par la Commission « justice, paix et création » ) ne peut pas être retranscrit directement en stratégies répondant aux conflits sociaux et économiques. En tant que chrétiens, nous sommes appelés à agir sans attendre d'avoir trouvé l'accord parfait en termes d'analyse ou bien en termes de conséquences théologiques, éthiques et ecclésiologiques.
Pour le professeur Petrou : la chose la plus importante est l'uniformité, le sérieux et la correspondance entre les mots et la pratique. Jésus Christ faisait l'éloge de ceux qui enseignaient par leur travail.
Le pasteur Samuel Kobia a expliqué qu'il espère que le nouveau comité central prendra en compte notre diversité et la considérera comme une richesse qui nous aidera à répondre convenablement aux différents contextes d'où nous venons. Cette diversité ne devrait pas restreindre notre témoignage au monde, mais plutôt l'enrichir.
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"NOUS SOMMES LÀ POUR SERVIR LE PEUPLE"
INTERVIEW DU PRÉSIDENT DU COE, LE PATRIARCHE PAUL D'ETHIOPIE
Fils de prêtre, Abune Paulos, patriarche d'Ethiopie, est à la tête de la très importante Eglise orthodoxe Tewahedo, forte de plus de 45 millions de fidèles, depuis son élection en 1992.
Encore jeune prêtre et moine, puis plus tard comme évêque, il a dirigé le département du développement et de l'aide aux réfugiés, et s'est activement impliqué dans les relations œcuméniques au niveau international.
En 1976, il a été emprisonné à cause de son engagement chrétien par le régime militaire marxiste alors au pouvoir. A la suite de cela, le patriarche Paul a passé de nombreuses années en exil aux Etats-Unis tout en poursuivant sa formation, en obtenant un doctorat à l'université de Princeton.
Il a été élu début 2006 président du Conseil œcuménique des Eglises pour les Eglises orientales orthodoxes.
Votre Sainteté, comment avez-vous été amené à vous impliquer dans le mouvement œcuménique et quels ont été vos premiers contacts avec le COE ?
Encore jeune moine, j'étais très intéressé par le travail et les actions du COE, tout particulièrement dans ses efforts à soutenir les Eglises derrière le rideau de fer et pour le rôle joué dans la lutte contre l'apartheid en Afrique du sud. Le COE me semblait être capable de témoigner et d'agir face aux problèmes cruciaux du monde. J'ai ensuite eu la chance de pouvoir m'impliquer dans la commission Mission et Evangélisation, puis, plus tard, d'accompagner la délégation de mon Eglise aux Assemblées d'Uppsal (1968) ou je fus élu pour travailler à la commission Foi et constitution, puis à Nairobi (1975). Immédiatement à mon retour de cette Assemblée, je fus arrêté et jeté en prison par les autorités communistes.
Comment voyez-vous la situation actuelle du mouvement œcuménique ?
Nous vivons aujourd'hui dans un monde troublé. Notre tâche, à l'intérieur du mouvement œcuménique, n'est pas seulement de travailler avec l'ensemble du monde chrétien, mais avec tous les hommes, créés par Dieu, et avec la création toute entière. Le COE a pour mission de proposer des réponses concrètes au monde entier, au nom de toutes les Eglises chrétiennes, et le Conseil doit ainsi manifester sa présence en tout lieu ou l'espérance, le dialogue et la réconciliation sont attendus. Ceci demeure la seule solution aux problèmes du monde. Les guerres et les conflits ne résolvent jamais rien, cela ne fait que retarder la naissance d'un monde meilleur. Nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes, mais je suis convaincu que, par le dialogue, nous pouvons guérir les blessures, apaiser les cœurs, et apporter des signes d'espoir.
Il y a eu des périodes pendant lesquelles j'ai été un peu déçu par les orientations du COE, mais j'ai décidé alors de garder le silence.
Je sens maintenant un certain renouveau, un souffle d'air frais, et je suis personnellement plein d'espoir dans notre capacité d'apporter à ce nouvel élan notre contribution.
Comment voyez-vous votre rôle en tant que président du COE ?
Dès que Dieu m'a appelé à ce poste, je me suis mis au service du Conseil, et je suis prêt à soutenir et accompagner tout ce que les organes directeurs du COE proposeront.
Pouvez vous nous dire quelques mots sur la situation actuelle de l'Ethiopie et plus particulièrement de votre Eglise ?
Il y a eu une présence juive puis chrétienne ininterrompue en Ethiopie depuis plus de 3000 ans, et, comme vous le savez, le premier éthiopien à suivre le Christ est mentionné dans les Actes des apôtres. Notre Eglise compte aujourd'hui plus de 45 millions de fidèles, 50.000 églises, et, même si cela semble incroyable plus de 500.000 clercs ordonnés ! L'Eglise est ancienne, mais sa vie liturgique, ses fêtes et sa tradition ont été préservés jusqu'à aujourd'hui. Malgré la période sombre des régimes communistes, la vie monastique a été maintenue, il y a aujourd'hui 1500 communautés monastiques et de nombreux jeunes viennent se ressourcer dans ces hauts lieux de vie spirituelle.
Comment voyez-vous le rôle de l'Eglise dans la vie politique en Ethiopie ?
L'Ethiopie a connu toutes sortes de régimes dans sa longue histoire, mais aucun régime démocratique avant son introduction il y a une quinzaine d'années. Pour profiter des bienfaits de la démocratie, tout notre peuple doit comprendre non seulement ses droits, mais aussi ses obligations. Cette période n'est pas facile, il y a encore de nombreux malentendus et des conflits. J'appelle tout notre peuple à apprendre à tolérer, même quand il n'est pas complètement d'accord, et je lui demande de faire preuve de patience. Je crois que l'Ethiopie fait des progrès très rapidement, et je reste confiant que les différences n'empêcheront pas les gens de travailler ensemble.
Comme président du COE, quel est votre message aux Eglises ?
Je crois que nous devons tous être de vrais représentants de nos Eglises, et que nous devons, chacun d'entre nous, apporter ce que nous pouvons pour servir le monde entier, au travers de nos propres communautés. Dans le mouvement œcuménique, nous devons être attentifs à chacun personnellement, à chacune des Eglises membres. Enfin, nous ne sommes pas là pour qu'une partie du monde devienne meilleur que l'autre, mais pour être au service de tous.
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"RENFORCER LA CONSCIENCE OECUMÉNIQUE DANS LE PACIFIQUE" - INTERVIEW DE JOHN DOOM, FIGURE OECUMÉNIQUE DU PACIFIQUE
John Doom a été proposé à cette fonction de président par les délégués des Eglises du Pacifique venus préparer la dernière Assemblée, cette proposition de John Doom comme président vient récompenser quarante années au service du mouvement œcuménique.
Quels sont les grands enjeux pour les Eglises dans votre région ?
Il s’agit tout d’abord de resserrer les liens entre toutes les Eglises présentes dans notre région. Nous avons des efforts à faire pour améliorer la formation théologique et œcuménique. Je dirais même que nous devons nous mobiliser afin de renforcer la conscience œcuménique dans le Pacifique.
Notre soucis, sans doute partagé par d’autres régions, est de faire en sorte que tous travaillent en commun, plutôt que chacun pour soi. Nous avons pour cela organisé une grande rencontre qui se tiendra dans quelques jours, à partir du 16 septembre aux Fidji afin de programmer des actions communes pour les sept années à venir.
Pourriez vous nous dire quels sont les principaux sujets de préoccupations dans votre région ?
Nous avons quatre grandes priorités spécifiques à notre région, le Pacifique :
• Les changements climatiques, avec pour conséquence des îles qui risquent tout simplement de disparaître dans dix ou dans cinquante ans… il nous faut travailler à tout ce que cela peut avoir comme conséquences, sur le plan humain, culturel, etc.
• Le développement de l’épidémie de Sida, qui devient pour certaines îles un véritable fléau. Nous avons déjà travaillé sur cette question, mais il va nous falloir mettre en place un véritable plan d’action.
• Les problèmes liés à la globalisation, nous avons dans ce domaine des propositions à faire, en effet nos régions touristiques souhaitent continuer à accueillir des visiteurs étrangers, mais pour autant nous n’acceptons pas que cela détruise notre propre identité et nos valeurs.
• Les conséquences des essais nucléaires, depuis cinquante ans, le monde entier s’est servi du Pacifique comme région d’expérimentation. Les conséquences sont graves pour les personnes et pour l’environnement. La France a aussi commencé à reconnaître ses erreurs, mais nous devons continuer à nous mobiliser autour de cette question.
Ce premier Comité central va bientôt prendre fin, quelle est votre impression générale ?
Ce fut un excellent Comité central. Les six délégués du Pacifique ont été très impressionnés par la qualité du travail et par l’esprit de dialogue qui a régné pendant les débats. Nous avons aussi été très heureux de la bonne participation, très constructive, des représentants orthodoxes.
En tant qu’ancien membre du personnel du Conseil, je voudrais enfin vous faire partager à la fois ma satisfaction pour l’excellent travail de préparation qui a été fait, mais aussi mes craintes devant l’ampleur de ce qui a été proposé lors de ce Comité central, compte tenu de la baisse des ressources et du nombre restreint de personnes y travaillant.
Pour terminer, quels sont pour vous les grands défis pour les sept années à venir ?
Pour moi c’est assez clair : le COE et les Eglises membres doivent être à l’écoute des problèmes les plus brûlants de notre monde, et tout particulièrement être à l’écoute et au service des plus pauvres, des marginalisés et des exclus. C’est là notre place.
(*) Yannick Provost, orthodoxe, responsable des publications du Conseil oecuménique des Eglises
06/09/06
Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)