Arlington Trotman habite un pays qui a été le bourreau de ses ancêtres. Ce sombre héritage le hante particulièrement, ces jours-ci : la presse britannique fait grand cas du bicentenaire de l'abolition de l'esclavage le 25 mars.
Pour le pasteur méthodiste établi en Grande-Bretagne depuis plus de 30 ans, la question ne se pose pas : il sait qu'il est descendant d'esclaves. Il est né à la Barbade, ancienne colonie britannique des Caraïbes.
Ce militant pour la justice raciale enseigne depuis les années 70 l'histoire de la traite des Africains. Il a pourtant attendu jusqu'à l'année dernière pour partir à la recherche de ses ancêtres. L'approche du triste anniversaire a poussé Arlington Trotman à enfin faire face à ses origines.
La tâche n'est pas mince. Il devra passer au peigne fin les registres de son pays natal. Il a tout de même une piste : en étudiant ses traits physiques, un expert a jugé qu'il était d'origine sénégalaise. L'homme de 58 ans, que La Presse a rencontré hier chez lui, dans l'Est de Londres, a hâte et peur à la fois.
«J'ai vu d'autres personnes éprouver un choc en apprenant la façon dont leurs ancêtres ont été persécutés, explique-t-il d'une voix douce et posée. Jusqu'à présent, j'ai réussi à dominer mes émotions. Je ne sais pas comment je vais réagir au moment de vérité.»
À quand de vraies excuses?
La commémoration de ce triste chapitre de l'histoire britannique, pendant lequel entre 15 et 30 millions d'Africains ont été condamnés au travail forcé, ne trouble pas seulement la communauté noire. Tony Blair a manié ce sujet avec un certain malaise jusqu'à tout récemment.
Alors que plusieurs villes britanniques ayant joué un rôle majeur dans la traite d'esclaves se sont officiellement excusées, comme Liverpool et Londres, le premier ministre a longtemps refusé d'en faire autant. Il a toutefois profité de la visite du président du Ghana, il y a quelques semaines, pour exprimer ses «profonds regrets».
«La chose la plus importante est de ne pas oublier ce qui est arrivé, de le condamner et de dire pourquoi c'était inacceptable», avait-il affirmé en compagnie de John Agyekum Kufuor, son homologue ghanéen.
Pour le maire de Londres, Ken Livingstone, ce n'est pas suffisant. Dans une longue lettre publiée dans The Guardian cette semaine, il a exhorté Tony Blair à demander formellement pardon aux nations africaines. «L'Allemagne s'est excusée pour l'Holocauste. Nous devons faire de même pour le commerce des esclaves», a-t-il conclu.
Arlington Trotman est d'accord. Toutefois, des excuses n'ont aucun poids si le gouvernement ne joint pas le geste à la parole, selon lui. Il doit offrir réparation.
Comment? Grâce à l'éducation - les écoles parlent peu du passé esclavagiste de la Grande-Bretagne -, à des politiques d'immigration plus souples et à des rapports commerciaux plus équitables avec le continent africain.
«Des événements comme Live 8, c'est bien beau, mais ça ne règle pas le problème, dit le révérend. La Grande-Bretagne doit une partie de sa richesse au peuple africain. Il est temps qu'elle le traite d'égal à égal.»
Le pays a tout de même dépensé 45 millions de dollars pour la commémoration du bicentenaire. Des timbres à l'effigie des abolitionnistes William Wilberforce et Oladuah Equiano, un esclave qui a racheté sa liberté, sont en circulation.
Le 27 mars, la reine Élisabeth et Tony Blair assistent à une cérémonie spéciale à l'abbaye de Westminster en présence d’Arlington Trotman. Triste ironie du sort, «très peu de représentants des minorités ethniques ont été invités», fait remarquer le militant. «On nous a enlevé la tâche d'organiser l'événement», déplore-t-il.
Le malaise n'en est que plus grand.
Le dimanche 25 mars 2007
Mali Ilse Paquin
Source: cyberpresse/La Presse