France: l’hebdomadaire Réforme interroge le pasteur Samuel Kobia, secrétaire général du Conseil Oecuménique des Eglises

 Le pasteur kényan et méthodiste Samuel Kobia est en charge du Conseil Oecuménique des Eglises (COE) à Genève. Premier Africain à occuper ce poste, il parle à Bernadette Sauvaget du journal Réforme du christianisme européen et africain, de ce que le second peut apporter au premier et de l’oecuménisme.


Vous êtes le secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises depuis 2003. Quel est votre regard de chrétien africain sur le christianisme en Europe ?


La manière d’être chrétien en Europe ne me semble pas très visible. Beaucoup de chrétiens me paraissent l’être seulement de manière formelle. Dans ce christianisme postmoderne, il n’y a pas beaucoup d’espace pour Dieu. En Afrique, Dieu est partout. Quand les chrétiens se rencontrent, ils prient. Même moi, je trouve maintenant que l’on prie un peu trop en Afrique. Je suis en quelque sorte infecté par le formalisme occidental ! 


Etes-vous pessimiste pour l’avenir ?


Pas vraiment… Certes, la postmodernité peut rendre les gens autosuffisants et il n’y a pas beaucoup de place là pour Dieu. Il y a aussi trop d’individualisme. Un chrétien africain typique ne peut pas concevoir que le christianisme soit une religion qui peut être pratiquée, seul, chez soi. En Afrique, vous faites partie d’une communauté. C’est cela qui rend chrétien : être relié aux autres. 


Certains responsables des Eglises issues de l’immigration africaine en France affirment qu’elles ont quelque chose à apporter à l’Europe. Le pensez-vous aussi ?


Je crois. Les Eglises africaines en Europe peuvent aider les Eglises européennes à retrouver ce qu’elles ont perdu en raison de la modernité. Surtout cette notion d’appartenance qui nous relie les uns les autres, l’esprit de communauté… 


Comment avez-vous vécu l’assemblée générale du COE à Porto Alegre, au Brésil ?


A titre personnel, Porto Alegre a été un moment de réaffirmation d’être partie prenante du mouvement oecuménique. Participer à ce rassemblement global qui réunissait des gens venus de toute la planète a été très enrichissant. Au coeur de cette diversité, nous avions aussi beaucoup de choses en commun puisque nous étions tous chrétiens. J’ai senti réellement l’engagement des uns et des autres pour trouver quel est le sens du christianisme dans le monde d’aujourd’hui. 


L’assemblée générale de Porto Alegre a-t-elle mis un terme aux difficultés avec les Eglises orthodoxes ?


J’étais ravi de voir la profonde et large participation des Eglises orthodoxes. C’était très différent de l’assemblée générale d’Harare en 1998. En fait, nous sommes arrivés à Porto Alegre en ayant résolu les problèmes. Les Eglises orthodoxes ont eu l’impression que les solutions avaient été trouvées, en particulier sur le mode de prise de décision par consensus et la pratique de la prière commune lors des rassemblements œcuméniques. C’était très ardu de faire face à ces questions mais la commission spéciale, mise en place après Harare, y est parvenue. Nous revenons de Porto Alegre avec l’impression que les problèmes ont été traités, même s’ils ne sont pas totalement résolus. Nous devons, par exemple, affronter désormais les questions éthiques. Globalement, je trouve qu’il y a une meilleure compréhension et une plus grande ouverture de la part des Eglises orthodoxes. Leur participation va se poursuivre au sein du COE. 


Quel bilan tirez-vous des relations actuelles du COE avec l’Eglise catholique romaine ?


Avant Porto Alegre, nous avons tiré le bilan des quarante ans de la commission mixte de travail. Sur la question du baptême, nous avons accompli beaucoup de progrès. Il y a encore, c’est sûr, un long chemin à parcourir sur l’eucharistie ou les ministères, par exemple. Il y a eu aussi des dialogues théologiques très riches entre l’Eglise catholique romaine et des Eglises protestantes, membres du COE, que nous avons soutenus et aidés. Le pape Benoît XVI a déclaré à plusieurs reprises que l’Eglise catholique était pleinement engagée dans le mouvement œcuménique. Lors de notre rencontre à Rome, il me l’a répété personnellement. Il l’a redit dans son message à l’assemblée générale. Le pape a aussi dit que nous devions donner plus de signes visibles de notre unité. Il est clair que nous avons encore beaucoup de travail en commun à accomplir pour promouvoir l’unité des chrétiens. 


La tension monte entre l’Occident et l’islam. La situation vous inquiète-t-elle ?


Au COE, nous menons depuis longtemps un dialogue entre chrétiens et musulmans. Des progrès ont été accomplis. Mais la situation s’est complexifiée avec l’émergence d’un nouveau fondamentalisme musulman, surtout au Proche-Orient. Il y a aussi une forme de fondamentalisme chrétien, originaire des Etats-Unis, qui complique encore davantage les choses. Il nous faut rétablir la confiance dans le dialogue islamo-chrétien. La très difficile affaire des caricatures du prophète Mahomet peut nous permettre d’apprendre quelque chose. Nous avons besoin, en fait, de renforcer nos contacts et nos dialogues avec l’islam modéré. 


L’Afrique connaît une explosion d’Eglises évangéliques non dénominationnelles. Quelles questions cela pose-t-il au COE ?


C’est clair qu’il va y avoir un effet sur le COE. Ces nouvelles Eglises sont d’autres expressions du christianisme mais leurs fidèles demeurent, à la base, des chrétiens. Il y a surtout un problème quand cela se lie avec une sorte de business, quand les prédicateurs disent : si vous avez plus de foi, vous aurez plus de prospérité matérielle… Cela pose des problèmes pastoraux non seulement dans ces structures-là mais aussi aux Eglises historiques. 


Vous écrivez dans votre livre que l’émancipation économique de l’Afrique doit s’accompagner d’une émancipation spirituelle. Qu’entendez-vous par là ?


En fait, je veux souligner qu’il ne suffit pas de mettre plus d’argent dans les projets de développement pour qu’ils réussissent. Peu importe l’argent, une émancipation spirituelle est nécessaire. Il faut examiner le bien-fondé des programmes, essayer d’accompagner tout don d’argent de fondements éthiques et moraux. C’est, de cette manière, que le développement économique peut prendre racine. Sans fondement éthique et moral, le développement économique a tendance à ôter leur âme aux communautés.


Un homme, un livre…

Méthodiste du Kenya, le pasteur Samuel Kobia, secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises, était de passage à Paris, le vendredi 24 mars, invité par les éditions du Cerf. Il est venu présenter son livre : Le Courage de l’espérance, les racines d’une vision nouvelle pour l’Eglise et sa vocation en Afrique (coédition Le Cerf-Oikoumene, 23 euros). En partant de l’histoire du continent africain, « berceau de l’humanité », Samuel Kobia déplore les ravages de la colonisation et l’échec de l’émancipation politique de l’Afrique qui a suivi. Il plaide pour une vision renouvelée de l’œcuménisme sur le continent et pour une émancipation économique qui ne pourra s’accompagner que d’une réflexion sur les valeurs qui la fondent. 

Source: Réforme N°3169