« Les personnes âgées dans une société intergénérationnelle » tel est le thème de la Journée internationale des personnes âgées 2004 initiée par l’ONU. Les vieux sont considérés comme des sages en Afrique. Chez nous, sont-ils fardeau ou valeur ajoutée ? Notre société a vocation à être « une société intergénérationnelle. » Resserrer ce lien intergénérationnel, est-ce une préoccupation des responsables de nos maisons de retraite? Pour en avoir le coeur net, nous les avons interrogés. ENroute les remercie de leur participation active à notre enquête
Dossier réalisé par JP.W avec la participation de François Roux et de Colette Guiot
Le plus d’humanité qu’apportent les personnes âgées
On tire toujours bénéfice des relations entretenues avec des personnes âgées, Philippe Hartweg en est convaincu : « on en tire un plus humain, ne fût-ce que sur le plan du savoir : nos anciens ont tant à nous transmettre... ! » Marc Kopp, à la tête du Conseil d’Administration du Foyer Béthel, en dit tout autant : « je suis persuadé que la population âgée peut apporter une valeur ajoutée pour autant qu’elle soit consciente de ses capacités et d’accord de les mettre à disposition là où c’est nécessaire, et pour autant que les générations en place reconnaissent cette disponibilité de connaissances. »
Pour Régis Teissonnière non plus, il n’y a pas l’ombre d’un doute : « de par leur participation active au sein de la société, les personnes âgées apportent une valeur ajoutée en terme de civilisation et d’épanouissement sociétal. Au travers de leur vécu, heureux ou pas, les personnes âgées sont toujours actrices aujourd’hui comme hier. En ce sens, elles sont à la fois porteuses de mémoire et force de proposition dans ce monde, dont nos concitoyens d’aujourd’hui doivent tenir compte quant à la part qui leur revient dans la construction de leur devenir. »
Un potentiel humain et spirituel trop souvent négligé
René Riesenmey déplore que cette plus-value ne soit pas davantage prise en compte dans notre société : « le statut de la personne âgée est très affecté par l’image de la personne fragile, qui a besoin de soins, etc… et les autres aspects sont négligés », constate-t-il et est rejoint dans son jugement par Régis Teissonnière : « il est certain que de nos jours, le rôle des personnes âgées n’est pas suffisant tant dans les familles, les communautés et la société. Même si certaines personnes âgées s’impliquent fortement dans leurs familles, au risque d’en être déstabilisées, la majorité d’entre elles n’a que peu ou pas la place qui lui revient, entraînant ainsi des formes de rejets de la part de l’entourage. La triste situation de l’été 2003 n’a fait que mettre en exergue un problème transversal quant au rôle des personnes âgées au sein des familles, des communautés et de la société ».
Un potentiel à prendre en compte
« La prise en compte du vécu et du potentiel de ces personnes, parallèlement à leurs attentes d’aujourd’hui, implique une sensibilisation de tous les individus quant à la place attribuée aux personnes âgées. Une réflexion suivie d’actions spécifiques doit redonner à la personne âgée le rôle qui lui est dû à tous les niveaux de la société. Les communautés chrétiennes ne peuvent pas faire l’économie d’une telle démarche, fondamentalement biblique », clame haut et fort le directeur de la Maison de Retraite Evangélique de Valleraugue. Les personnes du troisième âge apportent en effet une richesse et une mémoire qu’il serait dommage de ne pas mettre en valeur. Il serait élémentaire de recourir le cas échéant à leurs sages conseils étant donné le poids de leur expérience. Elles constituent aussi selon l'expérience de René Riesenmey un véritable « mur d’intercession » pour les autres. Les personnes âgées sont d’un apport inestimable jusque dans l’église locale, ajoute-t-il. « Elles mettent à profit le temps dont elles disposent pour intercéder ».
Arrive le temps de la dépendance
Mais force est de constater que la grande majorité des personnes hébergées dans une maison de retraite a déjà atteint un seuil de dépendance assez avancé : à ce stade, elles sont les premières à nécessiter des soins et les dernières à pouvoir en prodiguer aux autres. « Les personnes âgées en établissement ont besoin des autres pour vivre tout simplement et participer plutôt passivement à la vie de l'établissement », reconnaît lucidement Nicole Ambeis et d’ajouter : « Les personnes âgées ne donnent pas seulement l’image d’être fragiles, elle sont réellement fragiles et ont vraiment besoin de soins et d’affection. Sur les 66 résidents, nous comptons 5 personnes qui prodiguent de l’attention aux autres, mais elles ne sont pas en mesure de prodiguer des soins ».
Relations réduites? Attention aux clichés !
Quand bien même elles perdent progressivement de leur mobilité, ces personnes âgées en remontrent néanmoins parfois aux valides de tous âges en termes de prévenances et d’attentions, de l’avis même de Régis Teissonnière : « Une personne âgée bénéficiaire d’une prise en charge permanente sait se rendre utile à certains moments de la journée. Par exemple, un résident, même très dépendant mais encore un peu lucide, peut sonner ou appeler le personnel si un autre résident glisse de son fauteuil. » Il donne ainsi raison à Kofi Annan dénonçant les stéréotypes en circulation sur les personnes âgées, êtres fragiles ayant toujours besoin de soins et d’affection et incapables d’ouverture aux autres. Régis Teissonnière estime qu’il est grand temps de redonner à la personne âgée l’image qu’elle mérite, « à savoir qu’elle est à la fois source de sagesse, d’affection, d’accompagnement, de soins, de solidarité, malgré les traces physiques et psychiques dues au labeur de la vie.»
Cultiver les liens entre les générations
Les initiatives intergénérationnelles sont les bienvenues dans nos maisons de retraite, Nicole Ambeis ne le démentira pas : « au foyer Caroline, nous avons vécu cet été une expérience très enrichissante. Les jeunes de l'Appart ont donné de leur temps aux personnes âgées et une relation s'est créée entre ces jeunes et les personnes âgées. » Tout en appréciant les animations créées entre maisons de retraite et écoles, Marc Kopp estime qu'il faut viser plus haut, plus loin, une réalisation commune à toutes les générations, «une véritable intention de partager et de construire des activités ensemble ». Le chantier est vaste.
Embarras des jeunes et agacement des vieux
Ces contacts entre les différentes générations ne vont pas de soi, peut-être parce que les jeunes éprouvent de la peur devant des personnes devenues dépendantes. Régis Teissonnière se demande : « Est-ce par pudeur, par crainte, ou par manque d’accompagnement de la part de leurs aînés ? » Les choses ne sont pas non plus toujours aussi simples du côté des personnes âgées, comme le fait remarquer Nicole Ambeis : « nous avons aussi vécu des expériences qui se sont soldées par un échec, parce que la vie débordante des jeunes enfants n'est pas compatible avec celle des personnes âgées qui est ralentie. » La synergie entre générations demeure donc un beau sujet de réflexion et d’étude.
Santé mentale oblige
Entretenir les liens intergénérationnels au sein de la famille n'est pourtant pas un luxe, mais une nécessité, si l'on veut conforter la santé mentale des personnes âgées, Marc Erdmann le premier en convient : « en règle générale, nous expérimentons que les personnes conservant des liens familiaux et entretenant des relations intergénérationnelles ont beaucoup plus de facilité à vivre et accepter leur vie ainsi que leur cadre de vie. »
Ruptures et solitude sous l'effet de l'individualisme
L’individualisme forcené fait des ravages, note René Riesenmey : « on évite de solliciter autrui, par crainte de déranger ou d’être redevable à quelqu’un ». C’est le règne du chacun pour soi avec des conséquences directes sur les liens entre résidents et famille vite distendus, quand ils ne deviennent pas inexistants. Régis Teissonnière regrette que cela se produise aussi parfois dans les milieux chrétiens, parmi des gens qui ont participé à une vie d’église durant de nombreuses années. D’où l’extrême solitude dans laquelle sont plongées un certain nombre de personnes âgées, comme le constate Marc Erdmann : « bien des personnes ont tendance à faire le vide autour d'elle pour des raisons de souffrances dans leur corps, quand elles réalisent que la mémoire commence à flancher, quand des relations familiales sont tendues ou tout simplement parce qu'elles en ont assez de vivre », fléau contre lequel se bat le personnel, comme nous l’explique Marc Erdmann: « notre souci premier pour nos personnes âgées est de mettre tout en oeuvre pour rompre leur solitude ».
Un accompagnement empreint d'humanité
D’où l’importance d’un accompagnement des personnes âgées empreint d’humanité et de professionnalisme. Genève veille par exemple à nommer deux personnes de référence auprès de chaque résident de manière à avoir avec l’intéressé « un contact plus familier et approfondi avec deux personnes de la maison. » Il est de règle au foyer Béthel de promouvoir le respect et l’écoute, « cela fait partie du professionnalisme que nous cherchons à cultiver ». Des valeurs que partage aussi Régis Teissonnière, pour qui « l’accompagnement des personnes âgées dans une œuvre chrétienne demande aussi une dose d’humanité, tant envers les résidents ou leurs familles, qu’envers le personnel et les autres partenaires extérieurs. Cette part d’humanité, au demeurant peu quantifiable, se résume dans la transposition pratique de l’enseignement de Jésus-Christ au travers des relations humaines que tout un chacun est appelé à avoir en faisant cas de l’autre ».
Limites de l'accompagnement professionnel et bénévole
Force est de constater que, faute de personnel en nombre suffisant, il est difficile de consacrer le temps nécessaire aux résidents, regrettent unanimement Nicole Ambeis et Philippe Hartweg : «L'attente des résidents, c'est que les accompagnants leur accordent du temps et finalement c'est le plus difficile à leur accorder. Le résident aimerait que nous prenions du temps rien que pour lui ». Pour Nicole Ambeis, malgré sa qualité et son dévouement exemplaires, « le personnel n’est pas suffisant pour faire face à la dépendance croissante de nos résidents » et l'engagement bénévole, quand bien même il est le bienvenu, ne suffira pas à répondre aux besoins, de l’avis de Philippe Hartweg lui-même : « l'engagement bénévole vient seulement en complément. L'un ne remplace pas l'autre, les deux sont nécessaires..... ».
La marque du christianisme et du méthodisme
Accompagner les personnes âgées avec humanité suppose un fort ancrage dans le christianisme fondateur de ces institutions. Derrière tout projet de soins se dessine une exigence éthique qui prend racine dans la foi chrétienne ; que seraient l’écoute, les échanges, la compassion active, une préparation paisible tant pour le résident que pour son entourage sans cet arrière-plan chrétien ? Pour Philippe Hartweg, travailler à cette oeuvre revient à travailler dans un esprit chrétien au nom même du Seigneur. Il parle en son nom personnel, conscient de ne pas pouvoir représenter l’ensemble du personnel : « la référence chrétienne n'est pas partagée par tout le monde », ce qui n’empêche pas le personnel de souscrire à l’éthique de la maison. Régis Teissonnière est clair sur ce point : « un encadrement chrétien engagé implique une équipe globalement adhérente aux valeurs fondatrices de l’institution, formulées dans la politique définie par le conseil d’administration ». Parce que la maison de retraite est chrétienne, le personnel respecte la charte du lieu.
Quant aux personnes accueillies en résidence, elles sont clairement informées de l’identité de la maison ; c’est le cas des gens accueillis au Foyer Béthel, ils y viennent en connaissance de cause, et participent librement à la vie spirituelle et à l’animation de la maison quelles que soient leurs convictions personnelles. Le méthodisme apparaît à travers son esprit d’ouverture, déclare son directeur, comme par les rapports étroits entre la maison de retraite et l'église. Les chrétiens locaux portent par leur intercession fidèle et régulière l'oeuvre, étant convaincus de l'importance de l'engagement social en complément à son témoignage dans la cité. A Régis Tessionnière le mot de la fin : « chaque chrétien doit être apte à donner à la fois des deux mains, à savoir le réconfort de la parole de vérité et le réconfort physique et matériel. Sans cette dualité, le témoignage chrétien resterait boiteux. Fort de cet engagement, chaque membre d’une communauté peut s’impliquer bénévolement dans une œuvre chrétienne, mettant ainsi ses capacités, ses dons, ses moyens au service du prochain dans un contexte social et médico-social, selon que le Saint-Esprit le lui mettra à coeur ».
L’intégralité des interviews est déjà publié sur EEMNI. Ont participé à cette enquête :
- Philippe Hartweg, directeur de la Résidence Béthesda Contades de Strasbourg
- Marc Kopp, membre de la paroisse E.E.M. de Genève, président du Conseil de Fondation du Foyer Béthel.
- René Riesenmey, membre de la paroisse E.E.M. de Genève, directeur du Foyer Béthel, Genève.
- Marc Erdmann, directeur de la Résidence Béthesda de Mulhouse
- Nicole Ambeis, directrice du Foyer Caroline Béthesda de Munster
- Régis Teissonnière, directeur de la Maison de Retraite de Valleraugue.
Source: EEMNI