Elle n'était pas mariée, n'avait aucun enfant et elle a fini pauvre et amère. Et, pourtant, elle avait créé une fête célébrée dans beaucoup de pays du monde chaque année tous les deuxièmes dimanches en mai: la fête des mères.
Anna Maria Reeves Jarvis, fille d'un pasteur méthodiste, était née en 1864 à Grafton dans l'Etat fédéral américain de Virginie au milieu d'une famille nombreuse (onze enfants en tout). Seuls quatre enfants avaient survécu et atteint l'âge adulte.
Sa mère était une femme active et avait l'initiatrice des "Mothers Days Works Clubs" pour l'amélioration des conditions sanitaires. Ces clubs s'étaient aussi engagés au cours de la guerre civile américaine de 1861-1865 des deux côtés. Après la fin de la guerre, elle a créé les "Mothers Friendships Day" au cours duquel d'anciens soldats du nord et du sud des USA étaient invités avec leurs familles. A sa mort, sa fille Anna a poursuivi en quelque sorte le travail antérieur de sa mère. Naturellement, elle n'était pas la première personne à se décarcasser pour fêter l'anniversaire des mères, mais elle était la femme qui a permis à cette initiative de connaître un franc succès, même si cet objectif-là, elle ne l'avait pas visé spécialement.
Dans sa jeunesse, Anna Jarvis était une jeune fille belle et élancée à la chevelure rousse et l'on raconte qu'elle avait été à ce point ébranlée et déçue suite à un amour malheureux qu'elle n'avait plus voulu entendre parler des hommes après cela. Elle a fréquenté le collège et est devenue professeur à Grafston. En principe, elle n'était pas dépendante d'un salaire, puisque sa mère veuve était aisée. Quelques années après, elle a déménagé, ensemble avec sa mère et une plus jeune soeur aveugle, à Philadelphie et accepté un poste de publicitaire dans une société d'assurance. La mort de sa mère le 9 mai 1905 a été pour Anna une perte douloureuse et c'est au cours de cette période de deuil que l'idée lui est venue de créer une fête des mères pour tout le monde. Elle pensait que les mères devaient recevoir de leur vivant du respect et de l'amour en un jour particulier. C'est de cette façon que débuta la croisade particulière d'Anna Jarvis.
Le 9 mai 1907, elle invitait toute une série d'amis dans sa maison, pour commémorer le deuxième anniversaire de la mort de sa mère. A cette occasion, elle a aussi partagé son projet d'une fête des mères nationale. Elle a commencé sa campagne par l'envoi d'une lettre circulaire. De sa maison, elle s'est mise à écrire à chaque personne susceptible d'avoir à ses yeux de l'influence: au maire de Philadelphie, aux gouverneurs, aux députés, aux ecclésiastiques, aux industriels, aux associations féminines et bien d'autres ont reçu ses lettres. Les réactions étaient positives à une très grande majorité. Anna a aussi écrit à L.L. Loar, président de l'école du dimanche de l'Andrews Methodist Episcopal Church de Grafton, où sa mère s'était occupée de l'école du dimanche pendant plus de vingt ans. Loar a alors organisé et projeté la première fête des mères: elle aura lieu le 10 mai 1908 dans l'Eglise de Grafton et à Philadelphie. A l'intention des mères présentes, Anna a envoyé 500 oeillets blancs à l'Eglise pour ce jour, l'oeillet étant la fleur favorie de sa mère. Au bout du compte, c'est plus de 10000 oeillets qu'elle enverra à Grafton au fil des années. Les oeillets étaient tout un symbole et il était de coutume en ce jour-là de porter un oeillet de couleur en l'honneur des mères encore vivantes et un oeillet blanc en mémoire des mères défuntes.
Les préparatifs pour la prochaine fête des mères avaient pris une telle expansion que son bureau était devenu trop petit dans sa propre maison. C'est ainsi qu'elle a acheté la maison voisine de la sienne. L'intérêt pour la fête des mères n'a cessé de grandir: elle était invitée à des réunions, elle a présenté d'innombrables conférences, écrit des textes et fait imprimer des brochures qu'elle faisait distribuer partout gratuitement. Cela lui coûtait, certes, beaucoup d'argent, mais peu lui en importait. Personne ne songeait à remettre alors en question l'idée d'une fête des mères, alors qu'un autre objectif était loin d'être atteint: le droit de vote pour lequel les femmes luttaient en ce temps-là. Mais là aussi, Anna soutenait cette demande et faisait régulièrement des dons aux suffragettes anglaises.
Anna Jarvis a atteint son but. L'idée de la fête des mères a fini par s'imposer. Elle a d'abord été instaurée en 1910 dans l'Etat fédéral de Virginie; d'autres Etats fédéraux ont suivi. Le Sénat et la Chambre des représentants des USA ont approuvé un projet de loi et en mai 1914 le président américain Woodrow Wilson signait une résolution fixant la fête des mères au deuxième dimanche du mois de mai et décrétait ce jour-là comme jour férié national.
Un triomphe pour Anna Jarvis. Mais son travail n'a pas cessé pour autant. Elle s'est efforcée de répandre son idée dans d'autres pays: 43 autres pays reprendront cette idée de fête des mères de son vivant encore. La fête a été officiellement introduite en 1917 en Suisse et en 1933 en Allemagne.
Mais son succès avait aussi ses revers. "Les gens font du commerce avec ma fête des mères!" déplorait-elle en public et d'ajouter: "Je n'ai pas voulu cela. Ce devait être une journée du coeur et non du fric!" Elle se fâchait en particulier contre les fleuristes.
Son désappointement était probablement lié au fait que ces derniers faisaient de bonnes affaires avec les oeillets blancs, la fleur favorie de sa mère. Car le monde des affaires américain a vite compris qu'on pouvait gagner de l'argent avec la fête des mères. Anna Jarvis a intenté des procès à longueurs d'années contre la "commercialisation" de la fête des mères, mais elle a perdu tous les procès et toute sa fortune. Devenue pauvre et amère, elle s'est retirée avec sa soeur dans sa maison et n'a plus accueilli de visiteur. A la fin de sa vie, elle s'est mise à douter de la rationalité de son concept de fête des mères. Elle est morte en 1948 dans un sanatorium de Pennsylvanie à l'âge de 84 ans. En l'honneur de la défunte, les carillons de l'Andrews Methodist Episcopal Church de grafton ont sonné 84 fois lors des obsèques.
La Conférence Générale (CG) de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM) a reconnu en 1952 l'Andrews Methodist Episcopal Church comme l'"Eglise mère de la fête des mères". Aujourd'hui, l'Eglise est un musée et considérée comme le mémorial international de la fête des mères.
Le 09.05.2003
Source: Andy Schindler-Walch, EMKNI / diverses sources