Pour le compte de son journal “La Dépêche de Kabylie”, T. Ould Amar a mené son enquête en Kabylie sur l’implantation de nouvelles églises et le degré de pénétration du christianisme dans cette contrée d’Algérie. Son enquête prend d’autant plus de relief qu’elle paraît aux lendemains de la promulgation de la loi définissant les nouvelles conditions d’existence des communautés religieuses non-musulmanes. Tout à tour, le journaliste interroge l’histoire et divers acteurs locaux protestants, catholiques et musulmans. En voici des extraits
Aujourd’hui, on parle de l’évangélisation de la Kabylie. Beaucoup de choses se disent et s’écrivent sur ce sujet. Le phénomène est d’autant plus diabolisé qu’il s’agit d’une région d’Algérie qui de tout temps a été pointée du doigt et accusée de vouloir s’occidentaliser et, ce faisant, apostasier le reste du pays
Le passage du Christ en Algérie ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte à très loin dans le passé. Les livres d’histoire en témoignent. Le passage de la civilisation judéo-chrétienne a laissé des empreintes culturelles. Ceci est vérifiable, à titre indicatif, à la manière dont nos grands-mères emmaillotent les bébés ou encore à leur manière d’implorer Sidi Djilali (le Galiléen étant Jésus-Christ qui passa une partie de sa vie en Galilée).
Le christianisme s’est réintroduit officiellement en Algérie avec le colonisateur. Des évêques, des prêtres, des religieux et des religieuses activaient dans l’humanitaire (écoles, hôpitaux…). On recensait alors très peu de chrétiens d’origine algérienne. A l’indépendance et craignant plus ou moins la persécution, beaucoup de chrétiens ont quitté le pays.
L’église catholique a perduré depuis l’indépendance. Officiellement, trois associations ont déposé leurs dossiers, sont reconnues et agréées par l’Etat. Ils s’agit de l’Eglise catholique,l’EPA(Eglise Protestante d’Algérie) et ACRCA(Association des Communautés Religieuses Catholiques d’Algérie).
Aujourd’hui, on parle de l’évangélisation de la Kabylie. Beaucoup de choses se disent et s’écrivent sur ce sujet. Le phénomène est d’autant plus diabolisé qu’il s’agit d’une région d’Algérie qui de tout temps a été pointée du doigt et accusée de vouloir s’occidentaliser et, ce faisant, apostasier le reste du pays, le détourner du droit chemin unique. A la limite du complexe et du sentiment de culpabilité, la Kabylie, par la voix de quelques redresseurs de torts, s’en défend et se sent obligée de justifier sa ‘’singularité’’ en rappelant fièrement le nombre de zaouïas et de mosquées que la région recèle. Elle s’en défend aussi en laissant entendre qu’argent et manipulation politique sont derrière. On expliquera aussi que la conversion au christianisme se fait par opposition à l’islam et à l’arabe, chez certains. Ne pouvant être, pour ainsi dire, dans les secrets de Dieu, nous nous limitons à rendre compte d’au moins la surface. Pour ce faire, nous nous sommes rendus à Ouacif, un visage de la Kabylie où le courant protestant exerce son culte ouvertement.
Qu’est-ce que le protestantisme ?
Au début du XVIe, le pape Léon X organisa la vente d’”Indulgences” censées faciliter l’accès au paradis. L’argent ainsi obtenu devait lui permettre de faire construire la basilique Saint-Pierre à Rome. Martin Luther, un moine allemand proteste contre les pratiques de l’église. Il publiera en 1517 ses ‘’95 thèses’’ qui fondent la Réforme. Le fondateur du courant protestant affirme que seule la foi peut sauver l’homme et que la vérité du christianisme se trouve dans les Écritures et non pas dans le clergé. Il ne reconnaît que deux sacrements : le baptême et la communion. Les protestants n’ont donc pas de clergé pour intercéder en leur faveur auprès de Dieu. Au temple, la prière est assurée par certains fidèles ; les pasteurs peuvent être des hommes ou des femmes. Et c’est dans ce courant qui ne tient compte que des Ecriture que se reconnaissent la majorité des Kabyles nouvellement convertis au christianisme.
Sur le terrain du Christ
Ouacif, chef-lieu de la daira, est une ville qui n’a pas trop évolué en matière de développement. A peine débarqué, on a le sentiment qu’elle est livrée à elle-même. N’étaient-ce l’édifice de la brigade de gendarmerie, celui d’Algérie Télécom, les établissements scolaires et le minaret de la mosquée, on aurait même pensé que l’Etat n’est jamais passé par là. Par contre, les signes distinctifs témoignant de l’insoumission de la région à l’autorité établie sont là : absence de policiers et de gendarmes. Comme dans toutes les villes et villages de kabylie qui ‘’se respectent’’ et pour signifier son attachement à la révolte, Ouacif ‘’exhibe’’ deux portraits géants : celui du Rebelle et celui du jeune Naâmane Toufik, Martyr du Printemps Berbère natif de la région. Et le Christ ? Hormis, un graffiti que l’on pourrait facilement confondre avec le ‘’z’’ amazigh et représentant une croix à l’entrée de la ville, rien d’ostentatoire n’indique que dans la localité des chrétiens existent et exercent leur culte. "Ils n’exhibent pas leur foi : ils la vivent", nous expliquera notre hôte et ami Dahmane. La vivent-ils alors dans la clandestinité ? Plutôt dans la sérénité et la discrétion. C’est du moins l’impression que nous aurons tout le temps que nous passerons dans la région. Un séjour qui coïncide avec les Rameaux, fête chrétienne commémorant l’entrée de Jésus à Jérusalem et le Mouloud, fête musulmane célébrant la naissance du prophète Mohamed.
Les jeunes chrétiens que nous rencontrons à Ouacifs ne sont, à première vue, ni pires ni meilleurs que leurs concitoyens. Ils vivent les mêmes contraintes socioéconomiques que les autres. D’ailleurs sur ce plan ils réfutent la singularité.
En fait et s’agissant de leur particularité religieuse, ils estiment qu’ils exercent leur citoyenneté dans une République qui, même si elle a consacré l’Islam religion de l’Etat, a ratifié la proclamation des droits de l’homme et donc son article 18 qui stipule que "Toute personne a droit à la liberté de penser, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites" . Cette générosité ratifiée par l’Etat algérien relève-t-elle du théorique ? Vraisemblablement non. Les chrétiens, du moins ceux de Ouacifs, ne semblent subir aucune contrainte de nature répressive. Ils vivent leur culte ouvertement sans qu’ils soient rappelés par quelques moyens que ce soient à…’’l’ordre établi’’.
Il est 19 heures passées. Nous nous rendons à l’église. Il s’agit d’une ancienne écurie aménagée. La porte est grande ouverte. Une dizaine de fidèles semblent louer Dieu. Nous n’osons pas entrer. Nous attendons qu’on nous y invite. Un jeune sort de l’église et nous demande ce que nous voulons. Nous lui expliquons qui nous sommes et ce que nous sommes venus faire. "Vous êtes les bienvenus. La porte est ouverte à tous".
L’intérieur ressemble un peu à ces églises du Far West qui se contentent de l’essentiel : une croix, des bancs, un pupitre et une bible. Au dessus du pupitre qui fait face à la porte, une croix en bois massif accroche tout de suite le regard. Tout autour du crucifix, des affiches rendent grâce à Dieu en kabyle, arabe et français. On peut y lire : "Paix, Joie, Amour, Patience, Bonté, Bienveillance, Fidélité, Douceur, Maîtrise de soi", "vivre selon non sa chair mais selon l’Esprit", "Tilelli (liberté)"… Le décor, plutôt agreste, impose une attitude d’humilité.
Nous demandons la permission de prendre quelques photos. On apprendra que des Suisses de passage avaient sollicité la même permission.
Celui qui assurait la fonction de pasteur, un enseignant de son état, semblait expliquer les Ecritures à la dizaine de fidèles présents au ‘’temple’’. C’est dans un kabyle fluide et digeste que les uns et les autres parlent du Christ. A aucun moment nous n’avons noté une effraction linguistique. D’ailleurs, n’était-ce le décor, on ne se serait jamais rendu compte que le ‘’awal’’ concerne Jésus-Christ, tellement la langue semblait couler de source.
Pendant que notre ami Dahmane tentait de réussir des photos, nous nous entretenons avec les fidèles. Nous voulons comprendre comment ils vivent leur foi, s’ils la vivent comme un véritable chemin de croix. Nous voulons surtout savoir comment leurs familles les appréciaient. Ils nous expliqueront que d’une manière générale leur choix est accepté, voire respecté, par leurs concitoyens. Cependant, on nous présente un jeune, une vingtaine d’année, que le père chasser de la maison. Le jeune en question nous dira : "lorsque j’étais un drogué et que je consommais de l’alcool tout le monde m’aimait. Maintenant que je suis dans le droit chemin, on me rejette". On nous parlera aussi d’un jeune Harrachi chassé par sa famille pour s’être converti au christianisme et qui a trouvé refuge pour un certain temps à Ouacifs….
Vendredi matin, nous embarquons avec quelques protestants de Ouacif pour Tizi Ouzou. C‘est jour de messe. C’est la joie dans le minibus qui nous conduit à l’église. La quinzaine de protestants dont deux jeunes filles et une dame accompagne les louanges sur un fond de guitare sèche que diffuse le poste-auto. Ils semblent connaître les textes. "Alléluia !", reprennent-ils en chœur. Véritable gospel kabyle. La journée est belle. Le barrage Taksebt aussi. En fait, le décor ajoute quelque chose de mystérieux aux louanges reprises en chœur par nos hôtes.
Aux environs de dix heures, nous arrivons à Tizi Ouzou, devant une belle bâtisse qui servira de lieu de messe. Femmes, hommes, enfants… ils viennent de tous les territoires de la wilaya célébrer la messe. Ils se connaissent tous. La joie se lit sur tous les visages. L’ambiance est un peu comme dans ces scènes de cinéma montrant les fidèles avant l’entame de la messe du dimanche.
Nous essayons de rencontrer un ‘’responsable’’ pour avoir la permission d’accompagner les protestants de Ouacif à l’intérieur de l’église et rendre compte de la touche finale de notre reportage. Un jeune homme qui répond au prénom de Karim et que tout le monde semble connaître nous répond gentiment que cela n’est pas possible. Cela dit, il nous invite à titre personnel à l’intérieur de l’église. "Nous vous remettrons même une bible", nous dira-t-il sans perdre le sourire. Il expliquera le refus de laisser le journaliste entrer dans la bâtisse par le fait que des confrères auraient dénaturé leurs propos.
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"Nous ne sommes pas engagés dans un parti politique"
Des convertis au christianisme nous ont expliqué leur foi. Pour la plupart, la conversion est l’aboutissement logique de la quête de la vérité, cette vérité qui ne comporte aucune restriction. "Je suis la voie, la vérité et la vie", est-il écrit dans l’Evangile. A les entendre, cette recherche de la vérité est individuelle et n’est altérée par aucune interférence. Cependant, même si la démarche diffère de l’un à l’autre, tous ont plus ou moins à un moment donné de leur parcours vécu un ‘’mystère’’ : le miracle. Le mot revient dans la bouche de beaucoup de chrétiens. "J’étais un véritable monstre. Aujourd’hui, et je rend grâce à Dieu, je suis en paix avec moi-même et avec mes concitoyens du village", une dame de 57 ans nous explique le miracle le Christ, selon elle, l’a guéri d’une maladie. A croire la description symptomatique du mal qui la rongeait, Il s’agirait d’une schizophrénie affective.
Parmi ces nouveaux convertis, d’anciens musulmans pratiquants. Salim en est un. Il nous dira que pour lui la religion n’est qu’un code de la route : "l’essentiel est Dieu". A sa manière, Salim explique que l’Islam n’a été pour lui qu’un cadre qui lui permettrait de trouver Dieu. L’avait-il trouvé dans l’islam? En fait, et cela pourrait paraître paradoxal, c’est la connaissance de l’islam, sa connaissance, qui l’a poussé à chercher, si l’on peut dire, ailleurs Dieu.
L’avènement du terrorisme le poussera à s’interroger sérieusement. Il se met, nous dit-il, à lire profondément. Il nous parlera d’incohérences qui vont à l’encontre de la raison. "Je me suis alors adressé directement à Dieu pour me montrer la voie", nous confie Salim. Et alors ? Salim épouse le protestantisme, ce courant qui refuse le clergé.
"On n’a pas faim, Dieu merci ! Nous avons des dinars et de l’euro", nous dit au micro un autre protestant pour nous expliquer que seule sa foi l’a motivé. Cette "évangélisation n’est pas importée, nous l’avons déjà exportée. Saint-Augustin a évangélisé l’Europe. On n’a rien inventé, le Christ à toujours été là. En fait, il s’agit d’un retour à la source", rétorque-t-il aux détracteurs qui les accusent de rouler pour ‘’une main étrangère’’. Il nous révèlera aussi que l’évangélisation est partout en Algérie : "allez voir à Mascara, Annaba, Laghouat… seulement, la Kabylie a toujours été montrée du doigt". Dans la lancée et avec un zeste d’ironie, il ajoute : "écoutez-nous ne sommes pas engagés dans un parti politique pour aller danser. On a un seul intérêt ; la vérité". A propos de la manière dont il est vu par ses concitoyens, il dira : "nous n’avons pour l’instant aucun problème. La Kabylie est une société démocrate".
Édition du Lundi 24 Avril 2006 N° 1182
Source: Dépêche de Kabylie