Une lettre à Martin Luther King Jr - 2016

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Évêque Woodie W. Withe à la retraite

Janvier - Février 2016

Note : Chaque année, l’évêque évangélique méthodiste à la retraite Woodie White écrit une «lettre d’anniversaire » au révérend Martin Luther King Jr. dans laquelle il offre son point de vue sur l'état des relations raciales, en particulier aux États-Unis. White, maintenant évêque en résidence à la Faculté de Théologie Candler de l'Université Emory à Atlanta, a été le premier secrétaire général de la Commission générale sur la religion et les relations raciales de l'Église évangélique méthodiste.


Cher Martin,

Je souhaite que cette lettre d'anniversaire puisse être plus positive que celle que j’ai écrite l'année dernière. Ce n'est pas le cas! Le climat racial de notre nation s'aggrave davantage qu'il ne s'améliore! Une rhétorique politique de discours haineux et conflictuels empoisonne l'atmosphère. À notre lutte contre le racisme et à son impact négatif sur la vie et l'héritage américain se sont ajoutées la croissante xénophobie, l’hostilité aux immigrants et même l'intolérance religieuse. Malheureusement, un trop grand nombre de nos dirigeants politiques ou de ceux qui voudraient l’être exploitent les peurs, les préjugés et le sentiment d’insécurité face au terrorisme international en plein développement.

Lady Liberty dans le port doit trouver difficile de ne pas pleurer quand, de sa lumière, elle éclaire la porte d'or et lance l’invitation : « Donnez-moi vos pauvres, vos exténués, qui en rang serrés aspirent à vivre libres, le rebut de tes rivages ».

Le mois dernier, le 6 décembre, nous avons célébré le 150e anniversaire de la ratification du 13e amendement de la Constitution des États-Unis. Cet amendement, qui déclare illégal l'esclavage dans le pays, est un rappel à la fois du coût élevé du racisme - et des efforts de la nation pour redresser ses torts. L'Amérique est encore engagée dans cet effort, mais il y a ceux qui restent attachés à une nation racialement et ethniquement divisée. Ils  échoueront!

Je suis plein d'espoir que l'émergence de l'idée «La vie des Noirs a de l’importance »* pourra élever à la fois le niveau de discussion et le niveau de conscience dans notre quête à régler les problèmes raciaux persistants en Amérique. Le nombre excessif de décès de jeunes hommes non armés, noirs survenus récemment suite à des altercations avec la police nous offre la possibilité de nous engager sérieusement et tout à nouveau dans la poursuite de notre travail inachevé, former une nation. Cependant, ce n’est pas la seule indication que la nation doit se rappeler « La vie des Noirs est importante »*.

Martin, votre cœur se brise, tout comme le mien, avec la mort violente de jeunes hommes noirs dans bon nombre de collectivités. Ces décès sont devenus quelque chose de si communs que certaines communautés semblent s’y résigner. Ces décès sont une tragédie trop peu abordée.

Peut-être que pour beaucoup dans notre pays, noirs et blancs, la vie des Noirs ne comptent vraiment pas! Peut-être que le plus important pour eux est d’être élu à une charge ou d’adopter une législation visant à priver du droit de vote. Peut-être que ça se remarque par des symboles, des signes ou par les couleurs d’un territoire! Cela est inacceptable pour cette nation et son peuple. ...

Cela me conduit à ma grande déception - le quasi-silence des Églises face au récent discours raciste. J'attends un certain tollé d'indignation morale face au climat racial dans ce pays, un certain sens de l'éthique chez les dirigeants politiques et civiques, un certains appel à l'unité raciale, une certaine liberté de contester les voix de la haine!

Martin, je continue à lire et à apprécier votre «Lettre d'une prison de Birmingham», écrite dans votre cellule, le 16 avril 1963. Je crois qu’elle était était votre meilleure oeuvre! Vous invitez les dirigeants de l'Église de ce temps-là à affronter le contexte racial dans lequel ils se trouvaient avec plus d'audace et de cohérence. Je recommande sa lecture aux dirigeants d'aujourd'hui, qui peuvent ne l’avoir jamais lue. Ils la trouveront instructive, car ils luttent eux-mêmes contre l'injustice, les préjugés et l'intolérance raciale dans le contexte d'aujourd'hui.

Si je vous écris aujourd'hui avec une pointe de déception, ce n’est pas sans espoir.

Notre ami et dirigeant courageux, le pasteur William Sloan Coffin, a écrit en 1994: «L'espoir est un état d'esprit indépendant de l'état du monde Si donc votre coeur plein d'espoir, vous pouvez être persévérant à défaut de pouvoir être optimiste. Vous pouvez garder la foi malgré l’évidence, sachant que ce n’est qu’en agissant ainsi que vous aurez une chance de changer la donne. Si donc je ne suis pas optimiste, je suis toujours plein d’espoir ».

Martin, je termine cette lettre, si ce n’est avec optimisme, sinon avec espoir!

Woodie

PS: Martin, après avoir terminé cette lettre, j’achève la lecture d’un nouveau livre Born of Conviction. Il a été écrit par un auteur natif du Mississippi, Joseph T. Reiff. Il détaille avec brio l'expérience de 28 pasteurs méthodistes blancs courageux, qui, en 1963, ont cherché à parler du contexte racial qui était le leur à cette époque. Ils ont publié une déclaration intitulée “Born of Conviction”. Cette déclaration préconisait une société sans ségrégation raciale et confirmait la valeur d'un système scolaire public sans ségrégation raciale. Malheureusement, ils ont payé un prix élevé pour un tel courage. Je me suis inspiré de leur témoignage et je me devais de rappeler ce courage si souvent négligé.

*Note du traducteur Black Lives Matter  littéralement « les vies noires comptent », parfois abrégé en BLM, désigne un mouvement militant1 actif aux États-Unis depuis 2013 et né dans la communauté afro-américaine. Black Lives Matter organise notamment des manifestations pour dénoncer le racisme, le profilage racial exercé par les forces policières au détriment des Afro-Américains, et la violence policière. Source wikipedia

Traduction eemni

Interpretermagazine