Qamer est arrivée à Quetta l'automne dernier, veuve et sans le sou, avec ses quatre petits enfants.
Elle ne connaissait personne dans cette ville, elle est donc allée à la mosquée locale et a demandé de l'aide. Les responsables religieux l'ont envoyée dans une famille du quartier, où les maisons sont de boue et déjà toutes rempliesde réfugiés en provenance de l'Afghanistan.
Qamer a rejoint les rangs "des réfugiés invisibles" qui ont fui leur patrie déchirée par la guerre, mais qui ne se sont pas encore faits inscrire auprès des autorités pakistanaises ou internationales, parce qu'ils craignent d'être expulsés et renvoyés dans une terre où la violence et l'anarchie règnent toujours.
Même si elle pouvait officiellement se faire inscrire comme réfugiée, Qamer, qui, comme beaucoup d'Afghans, ne donne qu'un nom, a peur être envoyée dans un camp de réfugiés, dont la plupart sont contrôlés par les Pashtuns, le plus grand groupe ethnique en Afghanistan. Les Pashtuns sont des Musulmans Sunnites parlant le Pashtu et Qamer âgée de 55 ans environ (elle n'est pas sûre de son âge exact) est une Musulmane chi'ite parlant le Persan-, un membre du groupe ethnique Hazara, une des plus petites tribus en Afghanistan.
Elle n'a pas voulu quitter sa maison dans la province de Bamyan, mais le régime des Taliban, qui sont surtout des Pashtuns, lui a fait prendre cette décision.
"Les Taliban ont occupé notre maison et tué mon mari. Ils l'ont tué simplement parce qu'il était un Hazara," a-t-elle dit. "Je suis donc parti. Je n'ai pas su quoi faire d'autre. Je n'ai pas su où aller. Mais beaucoup de personnes de Bamyan venaient ici au Pakistan, donc je les ai suivis par-delà la frontière."
Qamer a dit qu'elle voulait retourner chez elle. "C'est notre pays. Nous devons vivre dans notre pays. Mais tant que se poursuivent les combats, nous ne pouvons pas vivre là."
Tandis qu'elle attend que la faible promesse de paix pour l'Afghanistan se concrétise, Qamer subvient à ses besoins et aux besoins de ses enfants en faisant des édredons pour d'autres réfugiés. Elle est une des quelques 400 femmes réfugiées de Quetta à gagner de l'argent dans le cadre d'un programme innovateur parrainé par le Service Mondial des Églises (CWS), membre d'Action par les Églises Ensemble (ACT- Action by Churches Together), une alliance internationale qui inclut aussi l'organisation d'aide humanitaire de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM), l’UMCOR.
Dans le cadre de ce programme, on produira 25,000 édredons, ... destinés à être distribués aux familles déplacées à l'intérieur de l'Afghanistan et des familles de réfugiés au Pakistan, selon Gulshan Maznani, un coordonnateur de l'organisation d'aide humanitaire CWS.
Les femmes gagnent 50 roupies par édredon, environ 85 cents américains. Il faut un jour pour faire un seul édredon. Les femmes gagnent plus d'argent en faisant ce travail que s'elles en faisaient un autre ailleurs, -encore faudrait-il que de tels emplois soient proposés- et leurs salaires sont compétitifs, parfois même plus élevés, que ce que les réfugiés hommes peuvent gagner dans un marché du travail réduit par le nombre de demandeurs d'emploi très élevé et le manque d'emplois.
Une femme a cependant à peine les moyens de survivre avec un tel revenu. "En contribuant au revenu de leur famille, les femmes participent davantage aux prises de décision au sein de la famille" a dit Maznani. "C'est beaucoup plus que la fabrication d'un édredon. C'est vraiment quelque chose qui participe de l'émancipation des femmes."
Tôt le matin, les participantes à ce programme s'alignent devant le bureau local de l'Organisation Shuhada, un groupe Afghan non-gouvernemental qui coordonne le projet avec CWS. Les femmes, organisées dans des groupes de huit à 10 membres chacun, prennent le tissu, le fil et quatre kilos d'ouate à enfiler dans chaque édredon. Si quelques femmes travaillent dans leurs propres maisons, beaucoup d'autres se réunissent pour travailler collectivement; elles en profitent pour causer entre elles tout en battant le coton dans l'appartement et en le glissant soigneusement entre les morceaux de tissu.
Les femmes de Quetta ont déjà fait plus de 17,000 édredons ces deux derniers mois, cela représente une partie d'un projet de CWS bien plus important de produire 60,000 édredons au Pakistan à distribuer aux familles Afghanes indigentes. Six mille édredons ont été envoyés dans la province de Ghazni en Afghanistan déchirée par la guerre au début de novembre; Shuhada les a distribués ainsi que des "des abris en kit" avec des tentes et de la nourriture parmi les familles déplacées dans les villages de Jaghori et Behsood.
Les familles qui sont là, sont de l'ethnie des Hazaras qui a migré au cours des années passées vers des villes plus grandes, Kaboul, Herat et Mazar-e-Sharif, chassées de leurs vallées par la sécheresse persistante, selon Jawad Ali, le gestionnaire des programmes de Shuhada. Quand des raids aériens américains ont commencé à toucher ces villes en octobre, les familles se sont enfuies dans leurs villages d'origine, mais là-bas, il n'y a pas d'abri adéquat ni assez de nourriture pour subvenir à leurs besoins. Et Ali d'avertir que le secteur deviendra bientôt inaccessible en raison des neiges d'hiver.
CWS s'est dépêchée de réunir de la nourriture pour les secteurs sinistrés de Ghazni et a réussi à transporter sur place en Afghanistan au début de novembre 1,500 paquets de nourriture, un paquet servant à l'alimentation d'une famille pendant deux mois. Mais la route de Quetta à la frontière du sud de l'Afghanistan a été fermée pendant deux semaines pour des raisons de sécurité et en raison des combats. La dernière expédition de nourriture et d'édredons par la CWS faisait partie d'un convoi de camions devenu la cible d'avions de guerre américains le 17 novembre, selon Ali. Le camion de la CWS était un des rares véhicules à réussir à s'échapper indemnes, a-t-il dit.
Plus de 11,000 édredons sont stockés à Quetta, prêt à être expédiés en Afghanistan, une fois que la route sera réouverte, a dit Maznani. En attendant, pendant qu'Qamer et ses voisins continuent de produire des édredons, Maznani a dit que la CWS était en pourparlers avec le Haut commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés pour que certains de ces édredons soient utilisés par des réfugiés à l'intérieur du Pakistan.
Une route qui donne sur l'Afghanistan depuis Peshawar, passe par Jalalabad et débouche sur Kaboul. Elle a été par intermittence ouverte aux camions ces derniers jours, malgré le bombardement intensif de la région de Tora Bora par les Etats-Unis et divers actes de banditisme. La CWS annonce que son personnel à Jalalabad a récupéré un véhicule réquisitionné par Abdul Qadir, un chef militaire mujahadeen qui s'est déclaré gouverneur provincial.
L'aide de l'Église norvégienne,autre membre d'ACT, a envoyé 1,301 tentes le long de la route de Peshawar-Kaboul depuis le 20 novembre et à la date du 1er décembre envoyé un camion chargé de couvertures. Tous le matériel d'aide humanitaire de l'Aide de l'Église norvégienne a été stocké à Kaboul; les collaborateurs attendent de meilleures conditions de sécurité pour expédier ce matériel sur Herat et d'autres secteurs indigents.
A la date du 1er décembre également, une expédition massive de 2,000 tentes familiale, 10,000 couvertures et 100 paquets de vêtements ont quitté Peshawar sur 11 camions en direction de Kaboul et de Mazar-e-Sharif. 5,000 autres tentes et 25,000 couvertures sont entreposés à Peshawar en attendant le départ de l'expédition. La CWS fournit la matériel d'aide humanitaire et le distribue à l'intérieur de l'Afghanistan par le biais de l'Association de Réadaptation Rurale Afghane.
Le directeur de l'Association Mirza Ali Nazim a dit qu'une fois que l'expédition actuelle sera arrivée à Kaboul, son personnel évaluera là où ce matériel sera le plus nécessaire. Il a suggéré que la majeure partie de l'expédition aille probablement dans la Vallée de Shamaly, un secteur fertile au nord de Kaboul, célèbre pour ses vignobles. Les résidants se sont enfuis il y a trois ans quand les Taliban se sont déplacés dans la vallée, brûlant des maisons et détruisant de vieux cépages.
La plupart des familles qui se sont enfuies ont vécu à Kaboul; toutes entassées dans l'ancienne ambassade Soviétique, elles avaient reçu de l'aide alimentaire d'ACT. Beaucoup d'hommes de la vallée sont morts ou se battent actuellement avec l'Alliance du Nord. Nazim a dit que les femmes et les enfants commencent à retourner dans la vallée et ont besoin d'aide, manitenant qu'ils travaillent à rétablir la production agricole.
La CWS effectue aussi une série de programmes avec des femmes dans les camps de réfugiés Afghans près de Peshawar. Une grande partie de ces programmes se concentre sur l'hygiène des femmes.
"J'ai appris comment tenir ma maison propre, effectivement propre, j'ai appris à me la nettoyer vraiment. J'ai appris comment me débarrasser des microbes, comment accoucher au mieux et comment nous pouvons tenir nos enfants propres et bien," a dit Naeema, une réfugiée de 18 ans venue au camp de Shamshatoo il y a deux ans.
Le programme de santé inclut les femmes qui viennent d'arriver au Pakistan. Nafas Gul a vécu dans le camp pendant deux ans et ensuite, lassée de son exil, est retournée en Afghanistan au début de cette année.Au départ, elle s'était enfuie de sa patrie à cause de la sécheresse. Le 29 novembre, elle est retournée à Shamshatoo, elle s'est enfuie cette fois à cause de la violence.
Gul, qui a environ 50 ans, dirige un ménage où les adultes sont toutes des femmes. Veuve elle-même, elle ne sait pas ce qui est arrivé à un fils qui s'est enfui en Iran commeréfugié il y a cinq ans. Deux gendres ont été tués dans le combat entre les Taliban et leurs adversaires.
Ses deux filles devenues veuves partagent sa maison, avec six petits-enfants. Comme le programme de fabrication édredon à Quetta, le projet de santé contribue à l'émancipation des femmes en leur dispensant des connaissances sur leurs corps et en leur enseignant le soin de leurs familles. Naeema a dit que l'éducation était quelque chose dont les réfugiés avaient longtemps eu besoin.
"Si j'ai une fille un jour, je veux qu'elle grandisse pour être un docteur ou un pilote, au moins pour avoir plus d'éducation que moi," a-t-elle dit. "Mon père est bien instruit et je pense que les enfants doivent avoir plus d'éducation que leurs parents.
"Mais sous les Taliban, je ne pouvais pas étudier au-delà d'un certain stade. C'est faux," a-t-elle ajouté. "Je veux toujours étudier, apprendre un tas de choses. Mais si désormais je ne peux pas étudier, je veux un Afghanistan où ma fille sera capable d'en faire plus avec sa vie que j'ai été capable d'en faire avec la mienne."
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*Jeffrey est l'auteur de l'article. Il est un missionnaire évangélique méthodiste chargé du service de l'information au Pakistan pour le compte de l'Action par les Églises Ensemble (ACT).
Source: UMNS