ENTRETIEN AVEC LE PASTEUR CELESTIN KIKI (CEVAA)


etour sur la crise alimentaire en Afrique de l’Ouest et les relations souvent compliquées entre le politique et le religieux avec le Secrétaire général de la CEVAA.

«Le politique ne fait que manipuler le religieux»

Entretien avec le pasteur béninois Célestin Kiki, Secrétaire général de la Communauté d’Eglises en mission (CEVAA)

    Le nouveau secrétaire général de la Cevaa*, le pasteur méthodiste béninois Célestin Kiki revient sur la crise alimentaire en Afrique de l'ouest et les relations souvent compliquées en Afrique entre le politique et le religieux.

La crise alimentaire continue-telle de frapper l'Afrique de l'Ouest?

La crise alimentaire a été ressentie et continue d'être ressentie au niveau du panier de la ménagère. Au Bénin, les produits de première nécessité coûtent cher: la mesure du gari (farine de manioc) coûte actuellement 275 CFA alors qu'il y a quelques années, cette même mesure coûtait 100 CFA. Nos gouvernements essaient tant bien que mal de prendre des mesures pour soulager les populations, notamment dans le domaine agricole, mais leurs efforts semblent pratiquement vains. Au Bénin, nous devons reconnaître les efforts du gouvernement pour endiguer la crise avec la relance du secteur agricole et les micros-crédits accordés aux femmes. Toutes les couches sociales ont été associées à des journées de réflexion, ce qui a donné lieu a la création des 'greniers' dans certaines communes qui, malheureusement, ne fonctionnent pas comme cela se doit.

La critique que je peux formuler ici est que nos politiciens, toute tendance confondue, ne pensent qu'en terme des échéances électorales en vue, si bien que les mesures prises sont parfois à but électoraliste et les réflexions manquent de profondeur. Nos gouvernants ont du mal à anticiper.

Avec le processus de démocratisation à la fin des années 1980, la plupart des pays de l'Afrique subsaharienne ont adopté des lois inspirées de la laïcité à l'américaine: tous les cultes sont autorisés au titre de la liberté religieuse. Au Bénin, cette disposition vous semble-t-elle bonne?

Pas seulement à l'américaine, mais aussi à la française. Nos constitutions sont, pour la plupart, des photocopies des constitutions européennes, ou américaines et toutes prônent la liberté d'association.

L'article 23 de la Constitution du Bénin stipule: « toute personne a droit ci la liberté de pensée, de conscience, de religion... Les institutions, les communautés religieuses ou philosophiques ont le droit de se développer sans entraves... ».

Tant que certaines confessions sont des marionnettes et servent les intérêts des politiciens, ceux-ci ne trouvent rien à dire, puisqu'ils ne sont qu'à la recherche de l'électorat.

Le politique ne fait que manipuler le religieux. Il y a tellement de prophètes autoproclamés que l'on ne sait plus que faire. Et les Églises traditionnelles ou institutionnelles oublient de jouer leur rôle prophétique.

Au Bénin, les statistiques donnent plus de 300 confessions chrétiennes selon un document du cadre de concertation des confessions religieuses par le ministère de l'Intérieur. Le domaine spirituel est très complexe, mais parfois il faut un peu d'ordre, car il faut signaler que, dans les premières communautés chrétiennes et surtout en matière cultuelle, la place était largement laissée à l'inspiration, mais l'apôtre Paul a dénoncé un certain nombre de dérives en ce domaine.

Il suffit que quelqu'un présente une demande de reconnaissance au Ministère chargé des affaires cultuelles et cela est fait sans que les dispositions en la matière soient respectées. Il y a une certaine complicité des pouvoirs administratifs.

L'Église protestante méthodiste du Bénin (EPMB) est une Église historique. Quelles relations entretient-elle avec les autres Églises qui se qualifient de protestantes?

L'Église Protestante Méthodiste du Bénin est une Église ouverte à l'œcuménisme. C'est sous son leadership, avec feu pasteur Harry Henry (son ancien Président), que le Conseil Interconfessionnel, aujourd'hui Conseil des Églises Protestantes Évangéliques du Bénin (CEPEB), a été créé dans les années 70. Elle poursuit une collaboration étroite avec ce Conseil notamment dans le domaine des œuvres sociales telles que l'ONG Béthesda avec son hôpital et sa radio.

Mais il faut signaler que la collaboration devient difficile aujourd'hui surtout avec certaines Églises dites évangéliques dont les responsables cherchent des places au sein des pouvoirs politiques dans le seul but de s'enrichir.

Il suffit de participer à certaines prières communes organisées et vous allez découvrir la vérité. Ainsi la collaboration devient de plus en plus difficile avec ces Églises néopentecôtistes et, sur le plan théologique, il n'y a aucune commune mesure. Tout ce que nous faisons c'est surtout œuvrer ensemble par rapport aux questions d'intérêt public à savoir la préservation de la paix chèrement acquise dans notre pays.

Comment la présence et le développement du pentecôtisme en Afrique de l'Ouest interpellent-ils l'Église protestante méthodiste du Bénin?

Le développement du Pentecôtisme est révélateur des défis qui interpellent l'Église Protestante Méthodiste du Bénin dans la Société béninoise aujourd'hui. Quelqu'un a l'habitude de dire que la naissance d'une nouvelle Église est une facture présentée aux Églises institutionnelles par rapport à leurs discours et à leurs pratiques. La plupart de ces Églises naissantes exploitent les 'failles' au sein des Églises institutionnelles et signalons qu'au Bénin ceux qui sont les leaders de ces groupes sont partis de l'Église Protestante Méthodiste du Bénin prônant le re-baptême, la conversion individuelle, la guérison, etc. Or l'EPMB est une Église de réveil spirituel.

Les mouvements charismatiques constituent des défis qui interpellent l'Église Protestante Méthodiste du Bénin. L'Église n'a aucune raison de se résigner ou de s'en moquer mais doit revoir son discours et sa pratique là où cela est nécessaire. C'est d'ailleurs dans cette optique que les études bibliques sont renforcées, de même que les prières communautaires et celles de délivrance. L'EPMB doit revisiter ses stratégies pour une évangélisation de proximité et redonner aux classes méthodistes leur importance comme lieux de partage, de solidarité, de communion fraternelle et d'approfondissement de la foi. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'à son Synode dernier, tenu en février 2009 à Porto-Novo, elle a adopté un plan stratégique et opérationnel pour l'évangélisation et l'éducation chrétienne.

Les Églises chrétiennes d'Afrique de l'Ouest sont-elles en concurrence avec l'Islam?

Les statistiques montrent que l'Islam est en hausse et la construction des mosquées augmente. Mais cela n'empêche pas une cohabitation pacifique. Vous avez des familles dans lesquelles vous retrouvez des chrétiens toutes tendances confondues, des musulmans et des adeptes de la religion traditionnelle. Chacun est respecté par rapport à sa profession de foi.

Au Bénin, nous avons le Cadre de Concertation des Confessions Religieuses regroupant les chrétiens (sauf les Catholiques romains), les musulmans, les adeptes de la Religion traditionnelle, et c'est le Président de l'EPMB, le pasteur Simon K. Dossou qui en est le président.

L'EPMB essaie aussi à travers le Programme de Relations Islamo-chrétiennes en Afrique (PRICA). d'initier des rencontres, des réflexions sur comment vivre ensemble dans la Cité. C'est le cas de l'Église Méthodiste Unie en Côte d'Ivoire, l'Église Méthodiste et l'Église Évangélique Presbytérienne au Togo. Au Sénégal, l'Église Protestante et l'Église Luthérienne font un travail remarquable dans le domaine du dialogue et du vivre ensemble.

Ce qui est regrettable aujourd'hui, au Bénin en tout cas, c'est que l'on assiste à des discours à caractère ethnique, tribaliste et religieux que je qualifie d'intégristes surtout de la part de certains hommes politiques, si bien que nous devons prier pour le Bénin par rapport aux échéances de 2011 et aux échéances électorales dans les autres pays tels que la Côte d'Ivoire, le Togo. Mais je suis rassuré que le Seigneur est aux commandes et les leaders religieux doivent y veiller dans leurs prêches et dans les actes qu'ils posent.

Le sentiment religieux est donc, selon vous, instrumentalisé par les hommes politiques...

Ah oui et cela dans la plupart de nos pays. Certains leaders religieux, aujourd'hui, pensent que c'est par la voie politique que l'on peut s'enrichir et ils sont manipulés.

Dans plusieurs pays, les despotes réputés en matière de corruption et de violation des droits de l'Homme occupent également des places dans les Églises.

Souvent les Églises se sont laissées corrompre par les faveurs ou les privilèges accordés par certains hommes politiques. Car, comme on le dit souvent, 'la bouche qui mange ne parle pas'. Il suffit de quelques faveurs et certains leaders religieux ne prêchent plus l'Évangile libérateur.

Il est vrai que nous devons intercéder pour nos pays et accompagner les chrétiens et chrétiennes engagés dans la vie politique, car comme le disait le prophète Jérémie: 'priez l'Éternel en faveur de votre pays, parce que votre bonheur dépend du sien’ (Jér 29.7), mais nous devons également prendre notre distance pour une critique positive et constructive.

Comment s'expriment les différentes sensibilités théologiques intraprotestantes au sein d'une communauté d'Églises comme la Cevaa ?

Les Églises membres de la Cevaa sont pour la plupart des Églises institutionnelles ou traditionnelles issues de la Réforme du XVIe siècle. Nous avons les Réformés, les Luthériens, les Méthodistes, les Presbytériens, les Baptistes et les Évangéliques réformés. Ce sont des Églises qui forment leurs pasteur(e)s. Et ce qui est intéressant c'est qu'elles ont des lieux communs de formation théologique et pastorale. Les différences théologiques sont bien gérées étant donné que ce sont des Églises qui reconnaissent les confessions de foi traditionnelles (symbole des apôtres, symbole de Nicée, de Constantinople) et les utilisent. Pour le moment, à ma connaissance, les sensibilités théologiques ne constituent pas des obstacles pour la Communauté que nous formons, pour 'notre vivre ensemble' en vue du partage, du service et de l'action que notre Communauté prône comme valeurs évangéliques !

Propos recueillis par Linda Caille

* La Cevaa est une Communaute d'Églises protestantes en Mission, créée en 1971 à Paris. Elle regroupe actuellement 37 Églises protestantes reparties dans 21 pays en Afrique,

Source : MISSION N°193 Septembre 2009