Le premier ministre François Fillon a choisi de se rendre le 4 juin au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot en Seine-Saint-Denis. Aucun rendez-vous n'a été pris avec tout ceux - policiers, personnels de la Cimade, personnel soignant, etc. - qui travaillent en rétention. Les intervenants de la Cimade dans les centres et locaux de rétention ont, eux, choisi de remettre une lettre au chef du gouvernement.
Lettre ouverte
Monsieur le premier ministre,
Présente dans les centres de rétention depuis plus de vingt ans, la Cimade constate depuis plusieurs années les conséquences de l’industrialisation du dispositif d’éloignement des étrangers. Ses intervenants sont témoins quotidiennement de faits et de pratiques contraires à la dignité humaine :
Des centres de rétention ou des camps ?
L’augmentation continue du nombre des centres de rétention, de leur capacité comme de la durée de la rétention font de ces lieux de véritables camps où règnent l’anonymat, le désespoir et où la tension est permanente.
Les plus grands centres de rétention regroupent aujourd’hui jusqu’à 280 personnes. Les relations y perdent tout caractère individuel. Les violences y sont fréquentes. L’enfermement des familles et des enfants loin d’être exceptionnel, tend à devenir la règle.
De façon générale, le placement en rétention de personnes particulièrement vulnérables se développe : malades, personnes âgées.
Des actes de désespoir s’y multiplient principalement dans les plus gros centres de rétention : nous observons une recrudescence des bagarres, des tentatives de suicide et des automutilations au centre du Mesnil-Amelot ; un incendie a détruit partiellement le centre de rétention de Vincennes en début d’année ; un suicide a endeuillé le centre de rétention de Marseille fin 2006…
Tous les intervenants – les policiers comme les intervenants médicaux et sociaux - sont conscients des dérives inhérentes à l’existence de ces très grands centres de rétention.
Les effets dévastateurs de la politique du chiffre
A la dégradation des conditions de rétention, s’ajoutent les effets dévastateurs des « objectifs chiffrés » de reconduites à la frontière fixés par le ministère de l'intérieur à chaque préfecture. Ces objectifs ont augmenté de façon exponentielle depuis 2003. Ils sont extrêmement contestables sur le plan éthique, ils provoquent surtout dans leur mise en œuvre, des pratiques et des dérives inacceptables :
• Opérations et arrestations massives dans certains quartiers, interpellations au domicile, convocations pièges en préfecture, arrestations d’enfants dans les écoles, recrudescence des cas de violence policière. Ces méthodes d’un autre temps délégitiment l’action policière.
• Examen superficiel des situations individuelles dans les services préfectoraux dû principalement à la surcharge du travail.
• Incapacité ou refus des administrations de réexaminer les situations présentant des erreurs manifestes. Notre mission nous conduit à les interpeller quand les situations humaines derrière les dossiers sont oubliées. Nous nous heurtons aujourd’hui à de l’incompréhension, de l’indifférence, voire au refus pur et simple de tout dialogue.
Tous les jours nous assistons aux drames humains provoqués par cette politique :
• Malgré les annonces, la double peine est toujours en vigueur et appliquée, elle continue de briser la vie de personnes dont toutes les attaches sont en France.
• Le placement en rétention de personnes particulièrement vulnérables s’amplifie : enfants, familles, malades y compris psychiatriques. La présence d'enfants derrière les barreaux et les barbelés est particulièrement intolérable. Plus de 250 mineurs (certains âgés seulement de quelques semaines) ont subi cet enfermement en 2006.
• A tout cela il faut ajouter la négation du droit d'asile en rétention avec l'institution de procédures accélérées et en absence d'interprète.
Cette politique aveuglément conduite dans une logique de chiffres, criminalise les étrangers et tend à développer en France un système para pénitentiaire.
La multiplication des réformes législatives apparaît comme une succession de mesures spectaculaires destinées à flatter une partie de l’opinion, mais dont on n’a pas mesuré les effets concrets.
Nous vous demandons de rompre avec cette logique, et de prendre le temps nécessaire pour définir sereinement, loin du dogmatisme, des effets d’annonce ou de l’utilisation politique de cette question, des règles et des mesures qui respectent d’abord la personne humaine.
Veuillez agréer, Monsieur le premier ministre, l’expression de notre parfaite considération.
Les intervenants de la Cimade
dans les centres et locaux de rétention
Source: Cimade