Dans un article publié le 21 avril dans les colonnes du quotidien parisien le Monde, Henri Tincq analyse le choix cornélien devant lequel se trouvent les Eglises chrétiennes aux lendemains de laguerre contre l'Irak: soit elles suivent "un christianisme humble et pacifique qui, selon la lettre de l'Evangile, "renverse les puissants", exalte les faibles et les pauvres", soit elles défendent "un christianisme de certitudes arrogantes qui, à base de conversions et de fondamentalisme biblique, veut servir d'endiguement à la "permissivité" du monde ou à l'expansion d'un islam considéré comme menaçant."
Cette dernière vague est en vogue comme jamais et risque de l'emporter avec des hommes au pouvoir comme George Bush, John Ashcroft ou Dick Cheney très à la pointe d'un discours messianiste et d'une rhétorique religieuse alignée sur la "religion civile américaine" dans ce qu'elle a de moins tolérant: l'Amérique a une mission d'exception pour le monde.
Henri Tincq s'interroge sur l'impact de cette ligne de pensée sur l'Europe: "Cette vague chrétienne fondamentaliste a-t-elle une chance de s'exporter en Europe?"
Tout responsable chrétien doit se poser sérieusement cette question. En un temps où se multiplie le nombre de conversions adultes en France que l'on dit en pleine déchristianisation et qui passe "d'un christianisme d'héritage - dans lequel la foi se transmettait par la famille et un enseignement religieux actif - à un christianisme de choix personnel, de "conversion"".
Henri Tincq évoque alors l'influence du méthodisme dans cette nouvelle appréhension du christianisme.
"Ce n'est certes pas nouveau. Dans la sphère protestante - par exemple autour d'un John Wesley (1703-1791), fondateur du méthodisme, qui croyait à la conversion comme phénomène spectaculaire et non comme processus lent - comme dans la sphère catholique - pensons aux Péguy, Claudel, Foucauld, Psichari, Maritain -, le christianisme de conversion est de toutes les époques. Les sociologues et philosophes en situent l'origine dans les incertitudes liées à des dépressions économiques profondes, à l'anonymat de la vie urbaine, au désert des références spirituelles, aux paniques alimentaires, aux menaces de terrorisme, d'épidémies, etc.
La conversion semble devenue le mode le plus courant d'identification religieuse. Par elle, l'individu s'approprie une identité et une tradition. Elle n'écarte pas toute filiation et, aux Etats-Unis, on peut être born again christian tout en restant dans sa tradition d'origine, méthodiste, presbytérienne, baptiste ou catholique. Mais dans le cas de la conversion, l'appartenance religieuse se construit sur un choix personnel, sur une approche directe et littérale des Ecritures (la Bible), sur l'entrée dans un groupe de "fraternité élective" (Danièle Hervieu-Léger)."
Cette mue du christinisme profite aux Eglises historiques tant catholiques que protestantes. Ces nouveaux convertis rejoignent souvent l'Eglise Catholique par le biais des groupes charismatiques. Au sein du protestantisme ne cesse de monter en puissance l'aîle évangélique qu'Henri Tincq décrit comme étant "parfois débridée" en sérieuse concurrence avec les Eglises luthérienne et réformées "sages et affaiblies".
Henri Tincq précise alors la nature de cet apport des néophytes: "Catholiques ou protestants, ces convertis donnent le ton à un christianisme décomplexé, plus visible et festif. Ils expriment la soif d'une Parole divine libérée des médiations traditionnelles (clergé), d'une revivification de la foi par la prière. C'est le primat donné à l'expérience personnelle de Dieu, à la relation d'intimité avec le Christ, à la recherche de la sainteté et de la vie fraternelle. C'est l'irruption de l'inconnu dans un paysage de paroisses chrétiennes souvent sclérosées, désertées, de mouvements militants en déclin, d'ordres religieux dont certains se renouvellent (dominicains) mais où d'autres sont au bord de l'épuisement."
Le chroniqueur religieux du quotidien du soir se demande alors si ce christianisme de conversion aujourd'hui en vogue représente une chance pour le christianisme de demain ou une catastrophe. De deux choses l'une, soit ce christianisme de conversion identifie le salut du monde à l'Amérique et alors c'est la pire des choses, soit "ce néo-christianisme permet de guérir des individus, leur donne (ou redonne) une identité, leur fait découvrir (ou redécouvrir) une tradition".
Après avoir esquissé la problématique qui se pose aux Eglises chrétiennes de ce pays, Henri Tincq suggère sa vision du futur: "C'est un avenir possible, s'il est régulé, canalisé, ce que tentent de faire en France, chacun à sa manière, la Fédération protestante et l'épiscopat catholique avec leurs courants évangélique et charismatique. Un avenir possible si les identités chrétiennes renaissantes ne sont pas crispées, intolérantes, mais ouvertes à l'autre et à la modernité."
ARTICLE "Pâques: entre ombres et lumière" PARU DANS L'EDITION DU MONDE DU 22.04.03
Source: EEMNI/LE MONDE