Sierra Leone: victimes d'une guerre brutale

La Commission Vérité et Réconciliation a commencé ses audiences pour tenter de mettre en évidence ce qui est arrivé lors de la terrible guerre civile en Sierra Leone.


Anne-Marie, habillée d'une blouse vichy bleu-et-blanc, a selon ses dires 21 ans, mais semble plus jeune. 


Quand elle raconte son histoire, elle culbute sur les mots et ses yeux sont innondés de larmes. 


"Quand les rebelles sont venus," commence-t-elle, "j'étais depuis deux mois enceinte. Ils m'ont emmenée dans lea brousse et ont capturé plus tard mon mari qui s'était caché. 


"Ils l'ont tué devant moi et ensuite m'ont donné une pelle et m'ont dit de l'enterrer. J'ai dû traîner moi-même son corps jusqu'à sa tombe. 


"Ils m'ont laissée seule avant la naissance du bébé et le jour même de la naissance, le jour même, trois d'entre eux sont venus et m'ont violée. 'C'est le prix à payer pour que nous prenions soin de toi,' ont-ils dit." 


Et ainsi de suite. 


Preuves


Après Anne-Marie, je parle à d'autres dont l'expérience est aussi choquante que la sienne. Aisha a été faite prisonnière dans sa maison de Freetown par les rebelles du Front Uni Révolutionnaire, qui l'ont faite marcher dans la brousse et réduite là-bas pendant trois ans à l'esclavagesexuel.


"J'étais prise par sept ou huit hommes chaque nuit," dit-elle doucement. "J'étais un bien de consommation, une monnaie d'échange." 


Beaucoup d'enfants ont subi des atrocités pendant la guerre 


Mariama prend son bébé de six mois dans ses bras quand elle se met à parler. Elle avait juste neuf ans quand les rebelles l'avaient faite prisonnière. 


Le Sierra Leone est une terre qui regorge d'histoires de de ce genre et maintenant ces témoignages doivent être enregistrés. 


A ce jour, quelques 4,000 témoignages écrits ont déjà été recueillis par la Commission Vérité et Réconciliation (TRC) et cette semaine, cette Commission a commencé des auditions publiques. 


Le président du TRC est un évêque méthodiste, Joseph Humper, et il m'a dit qu'il espérait que son rapport sur l'abus dont les femmes étaient les victimes lors de la guerre civile fera définitivement autorité. 


Ce rapport abordera aussi un autre fléau notamment africain - l'engagement d'enfants dans les arimées et leur emploi pour tuer et torturer au nom d'une cause, quelle qu'elle soit. 


Dans la capitale, Freetown, j'ai rencontré certains de ces soldats enfants - pour moitié criminels, pour l'autre moitié victimes - et ils m'ont dit qu'on leur avait même donné de la cocaïne, ..., pour qu'ils n'aient pas peur de couper les membres des civils sur l'ordre des commandants rebelles. 


Des témoins terrorisés


De l'Afrique du Sud à l'Est de Timor en passant par le Chili, des états divisés par la haine des années durant - sinon parfois pour des générations - se sont tournés vers des commissions vérité & réconciliation pour panser leurs blessures. 


Mais le TRC au Sierra Leone porte un fardeau unique. 


Sous la pression de l'ONU, cette société est aussi au lendemain de ce conflit sur le point de tenir des procès pour crimes de guerre. 


Sept inculpations ont déjà été prononcées et on en attend peut-être 25 en tout. Les accusés sont des chefs militaires présumés tenus en grande partie responsables des atrocités. 


Un problème se pose et non des moindres: les gens ordinaires - et c'est un pays dont le taux d'analphabétisme est très élevé (80 %) - ont du mal à distinguer entre la commission et la cour et beaucoup de témoins potentiels au TRC sont terrorisés rien qu'à l'idée de s'accuser d'un crime ou de souffrir de représailles de la part des partisans de la milice. 


Les forces de maintien de la paix de l'ONU sont toujours dans le pays 


Samuel Komba est justement une personne de ce genre. Nous nous rencontrons dans son village, Tombodu, à l'est du pays, pas trop loin des frontières de la Guinée et du Libéria. 


C'est la région du diamant et le conflit qui a duré plus de 10 ans visait précisément au contrôle du commerce des diamants. 


Samuel a un bras plein de cicatrices profondes; lors de l'invasion de Tombodu, un milicien rebelle lui avait porté des coups de machette. 


Deux ans après la fin du conflit, il n'y a pas une maison demeurée intacte: toutes ont été détruites et démolie et dans une de ces huttes, Samuel me montre une suite de crânes et d'ossements humains; selon Samuel, les villageois y avaient été parqués, au moment où la construction a été incendiée. 


Cycle d'impunité


Tout près de là, il y a une lagune abritant d'anciennes mines souterraines de diamants; aujourd'hui désaffectées, elles contiennent des centaines de corps. Un cordon de sécurité en place est le signe que le procureur spécial chargé des crimes de guerre a cherché ici à préserver l'évidence des faits. 


Samuel dit qu'un des hommes accusés par la cour spéciale, Johnny Paul-Koroma, était à Tombodu bien avant le massacre. 


Je lui demande s'il connaissait les hommes qui avaient coupé son bras et commis les meurtres. 


"Oh bien sûr," répond-il, "et ils sont tous toujours autour de cette zone. C'est pourquoi je suis effrayé à l'idée de venir témoigner." 


Certains de ceux qui saisissent l'importance stratégique des procès bien mieux que Samuel s'inquiètent d'ores et déjà du risque de déstabilisation pour le pays que provoquent les procès en vue: la stabilité acquise si difficilement par le Sierra Leone au cours des deux dernières années pourrait être mise en danger par les procès intentés contre les criminels de guerre. 


Mais les parties civiles disent que ce pays n'avancera jamais à moins de mettre un terme à l'impunité générale. 


Et si, dans le processus, la Sierra Leone peut réaliser à la fois la vérité et la justice, ce pays donnera au monde un bien bien plus précieux que des diamants. 


Jon Silverman 

Source: BBC news