Dans la communauté kosovare de Mitrovica, L'UMCOR, partenaire de l'EPER (Entraide protestante suisse), se charge de la reconstruction de quatre villages. L'augmentation des troupeaux de brebis est aussi de son ressort. La famille Jxhafa bénéficie de ce programme. La ferme de la famille Jxhafa est d'un accès difficile; elle se trouve dans les montagnes au nord-est de Mitrovica et fait partie de la commune de Bare. Shefqet Jxhafa frise la soixantaine; il est père de cinq fils et d'une fille adultes et exerce la profession de cultivateur et d'éleveur de brebis, - comme la plupart des hommes de cette région. Etant donné qu'il a perdu son troupeau pendant la guerre du Kosovo, sa vie quotidienne d'aujourd'hui est marquée par un vide désolant. De la ferme autrefois prospère il ne demeure plus que le potager et quelques brebis. Le jardin répond aux besoins de la famille et est entretenu par Besime, la femme de Shefqets. Avant la guerre, Shefqet Jxhafa appelait plus d'une centaine de brebis par leur nom. En plus de leur élevage de moutons, la famille possédait six vaches, un cheval et quelques poules. Aux jours de pointe, les Jxhafa vendaient 40 litres de lait de brebis par jour, 20 kilos de fromage de brebis par semaine comme 500 kilos de laine de brebis et 50 agneaux par an. La famille écoulait sa production auprès de la coopérative agricole yougoslave de Bare, laquelle fournissait de ces produits le marché local de Mitrovica. Les revenus familiaux n'ont jamais été extraordinaires, pense Shefqet; le potager de la ferme a beau être assez modeste, toute la parenté qui vit dans les alentours se serrait les coudes, en sorte qu'il y a toujours eu de quoi manger sur la table. La guerre a changé la donne. Le rappel des événements survenus à l'automne 1999 réveillent des blessures, - et le père Jxhafa a pourtant besoin d'en parler. La contre-offensive serbe contre la population albanaise au Kosovo après la campagne aérienne de l'Otan n'a pas laissé le choix à la famille Jxhafa: en mai 1999, elle a dû s'enfuir de son village de montagne. Deux des cinq fils, Musa et Ramadan, se sont cachés par peur des paramilitaires serbes dans les forêts avoisinantes. Accompagné de sa femme, de sa mère âgée de 87 ans et de son plus jeune fils, Shefqet a rejoint une colonne de réfugiés, qui se rendait à Vushtri, ville éloignée de 30 km de Bare dans les terres intérieures du Kosovo. «Plus de trente réfugiés, dont deux de leurs cousins, ont été assassinés par les Serbes après leur arrivée à Vushtri. Simplement, parce qu'ils étaient trop nombreux», fait remarquer Shefqet. Des femmes et des jeunes ont été jetés en prison et refoulés en Albanie. Sans savoir où se trouvaient les autres membres de la famille, Shefqet et sa famille ont séjourné d'abord sous une tente à Vushtri et ont trouvé refuge plus tard avec d'innombrables Albanais dans une maison située pas loin d'un poste de police serbe; ils n'oseront pas en sortir pendant un long mois. Le jour où les troupes de l'Otan sont entrées au Kosovo, ils ont vécu la mise à feu volontaire d'un grand nombre de maisons voisines à Vushtri. «Les habitants ont fui dans toutes les directions», se souvient Shefqet. «A cette occasion, nous avons pris la décision de tenter quelque chose.» Shefqet a retrouvé son cheval encore indemne et sa voiture intacte à Vushtri, aussi ont-ils rejoint le 28 juin dernier de nouveau leur ferme à Bare. Jamais, il ne vendrait son cheval, pense aujourd'hui Shefqet, «car il a sauvé notre vie». La ferme leur est apparue dans un état pitoyable à leur retour. «Les vitres avaient éclaté de partout, les réserves de même que toutes les machines agricoles avaient été pillées sans vergogne, le chien gisait mort au sol et les brebis, les vaches et les poules avaient disparu.» La famille Jxhafa se trouvait dans une situation désespérée. Ils avaient retrouvé dix brebis après être partis à leur recherche. Complété par les 15 brebis de son frère, le troupeau est encore trop petit pour leur permettre d'en vivre.
Dans cette situation, le programme d'aide de l'EPER, qui comprend la reconstitution de troupeaux de brebis, constitue une contribution non négligeable aux familles victimes de la guerre. Avec notre organisation partenaire l'UMCOR, avec laquelle l'EPER collaborait déjà en Bosnie et en Herzégovine, nous distribuons cet été 3000 brebis merinos de Bulgarie à 150 familles de la région de Mitrovica adonnée traditionnellement à l'élevage. Les familles recevant des brebis en cadeau s'engagent à remettre la moitié des agneaux à naître à une autre famille. Cette opération permettra d'augmenter le nombre des troupeaux et des familles pratiquant l'élevage de façon durable dans les villages de Bare, Bajgora, Vidishiq, Rashan, Mazhiq et Koshtova. Les familles bénéficiant de l'aide dans ces villages récupèrent ainsi leurs moyens économiques initiaux. Le marché local en ovins doit être relancé de cette manière et la clinique vétérinaire locale à Mitrovica doit reprendre du service. La famille Jxhafa, dont la situation peut se comparer à la plupart des habitants des villages de montagne de cette région du Kosovo, compte produire et vendre de nouveau dans quelques années autant de lait de brebis, de fromage et de laine que durant les meilleures années précédant la guerre.
>Source: "Handeln" Magazine de l'EPER/HEKS Nr. 269 3/00