COE: Secours immédiats, reconstruction durable - réflexions de responsables oecuméniques au sujet du tsunami

par Henrike Müller (*)


Il y a près de deux mois, un violent tremblement de terre au large de Sumatra a déclenché de gigantesques raz de marée qui ont frappé les côtes de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique orientale. Cette catastrophe, qui a fait plus de 200 000 morts et plus d’un demi-million de blessés, a suscité une mobilisation quasi immédiate des gouvernements et des organisations du monde entier désireux d’apporter des secours. En revenant sur les semaines qui ont suivi le tsunami, on peut effectuer une première évaluation des réactions des Eglises et de la solidarité manifestée par les pays et les gens qui ont été épargnés. On peut aussi essayer de formuler, dans l’optique des Eglises, des recommandations concernant la reconstruction durable.


Lorsque le pasteur luthérien indien Augustine Jeyakumar, qui passait ses vacances de Noël à Cuddalore, prit connaissance des premières informations à la télévision, il décida de se rendre immédiatement sur la côte pour voir ce qui se passait. “Les gens se précipitaient vers nous, chargés de tout ce qu’ils possédaient, en criant ‘La mer arrive, la mer arrive!’" – telles furent ses premières impressions.


"Jour après jour, nous avons reçu de nouvelles informations, poursuit-il. Des corps ont été retrouvés enfouis 3 mètres sous le sable, d’autres avaient été emportés à 15 kilomètres du lieu où ils avaient disparu. Les gens ne savaient pas si les membres de leur famille étaient encore en vie. Chacun devait lutter pour faire face aux besoins les plus pressants: soins médicaux, nourriture, transports – tout manquait.”


L’Eglise évangélique luthérienne unie de l’Inde (UELCI) a immédiatement pris contact avec l’Action commune des Eglises (ACT), dont le siège est à Genève; cette alliance mondiale d’Eglises et d’organisations qui leur sont rattachées a accordé un premier don d’environ 50 000 USD, destiné aux secours d’urgence. "Au début, ce qu’il nous fallait en priorité, c’était une aide financière mais aussi matérielle”, déclare le pasteur Jeyakumar, qui est à la tête du Service d’action sociale de l’UELCI. "Des organisations non gouvernementales religieuses et laïques ainsi que des personnes engagées nous ont aidés en versant de l’argent, en distribuant des vêtements et en enterrant les morts."


Le pasteur Jeyakumar considère que les secours d’urgence constituent une tâche prioritaire des Eglises. "Lorsque se produit une catastrophe comme le tsunami, il va de soi que l’Eglise prend soin des gens, les console ou leur offre un soutien psychologique. Dès ses origines, l’Eglise s’est souciée des personnes en détresse, des déshérités et des pauvres, conformément aux préceptes de l’Evangile."


Dans le monde entier, des gouvernements et des personnes privées, des organisations religieuses ou laïques ont rassemblé d’énormes sommes d’argent destinées aux secours et à la reconstruction. Faut-il une catastrophe comme le tsunami pour que se manifeste la solidarité à l’échelle mondiale?


"Il est très facile d’être touché par ce qu’on voit à la télévision", explique Ranjan Solomon, directeur de l’ECOT (Ecumenical Coalition on Tourism), qui a son siège à Hong Kong, "car il est évident que les gens souffrent. Mais il ne s’agit là que d’une des catastrophes qui frappent le monde. Ce qui se passe au Darfour, en Afghanistan ou en Irak est encore pire, mais les victimes des conflits politiques ne font pas les grands titres et ne reçoivent guère de secours. Il est beaucoup plus facile de sympathiser avec les victimes du raz de marée parce qu’on n’a pas besoin de faire des choix politiques."


Mais il n’y a pas que les grandes catastrophes qui causent des souffrances. "Dans la vie de tous les jours, des multitudes de petits tsunamis se déroulent», souligne le pasteur Jeyakumar. A titre d’exemple, il mentionne l’oppression dont sont victimes les dalits en Inde, ou encore la discrimination pour des raisons de sexe ou de race. Ces "petits tsunamis", moins visibles que les grandes catastrophes naturelles, méritent de susciter la même solidarité. "On fait déjà bien des choses pour lutter contre les petits tsunamis, dans le cadre de programmes de défense des droits ou de développement destinés aux victimes de l’injustice. Mais la route est longue et il faut du temps pour reconstruire la société afin que tous vivent dans la dignité."


En ce qui concerne la reconstruction, Ranjan Solomon a une vision très nette de ce qui devrait être entrepris dans la région touchée par le raz de marée. Dans le cadre du 5e Forum social mondial, tenu du 26 au 31 janvier à Porto Alegre, Brésil, l’ECOT a participé à l’organisation d’un séminaire et d’une table ronde intitulés "Les catastrophes naturelles et causées par l’homme menacent la stabilité des petits pays insulaires en développement". Des représentants des régions touchées ont parlé de leurs expériences et formulé des recommandations concernant la reconstruction envisagée dans la perspective écologique.


"La plupart des organisations humanitaires et de nombreuses Eglises ont accordé une aide considérable, mais elles n’en ont pas suffisamment considéré les effets à moyen et à long terme", déclare Ranjan Solomon. "Il aurait été bien plus efficace de confier d’emblée les secours d’urgence aux populations touchées, pour veiller à ce qu’elles gardent la haute main sur les activités de reconstruction lorsque les organisations d’aide auront quitté les lieux."


Il est d’avis que la reconstruction exige un plan précis qui prenne en compte les conditions écologiques de la région concernée. "Il ne s’agit pas seulement de reconstruire des maisons et des installations touristiques, car ce qu’on reconstruit peut être facilement détruit une nouvelle fois. Nous devons plutôt nous soucier de l’écologie en replantant, par exemple, les mangroves qui faisaient naguère office de zones de protection vertes le long des côtes asiatiques."


Ranjan Solomon mentionne aussi ce qu’ont vécu certaines communautés autochtones qui ont pu échapper à temps au tsunami parce qu’elles ont su interpréter le chant des oiseaux ou le bruit du vent et de la mer. "La science et la technique ne peuvent pas résoudre tous les problèmes. Il nous faut redécouvrir le savoir populaire et assurer un environnement durable. Si l’écologie avait été mieux respectée, les effets du raz de marée auraient été moins catastrophiques."


08/02/2005

Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)