France : la Cimade monte au créneau contre «les camps pour étrangers»

"Les effets dévastateurs de la politique du chiffre"


La Cimade, service œcuménique d'entraide aux étrangers, publie, jeudi 4 octobre, son septième rapport annuel sur les centres et locaux de rétention administrative, dans lesquels sont placées les personnes sans-papiers en attente d'expulsion.  Seule association habilitée à intervenir dans les centres de rétention administrative, la Cimade a dénoncé dans ce rapport 2006 les "effets dévastateurs" de la politique mise en place par le gouvernement qui transforme "progressivement ces lieux en camps" pour étrangers.


"La rétention a glissé peu à peu vers une logique d'internement, transformant progressivement ces lieux en camps", peut-on lire en préambule de ce rapport.


Le secrétaire général de la Cimade, Laurent Giovannoni, s'est inquiété lors d'une conférence de presse à Paris de "l'industrialisation" de la rétention qui conduit à des "pratiques détestables": interpellation aux alentours des écoles, dans les préfectures ou "rafles" dans des quartiers cernés par la police...


La Cimade critiquer ouvertement l'objectif de 25.000 expulsions d'étrangers en situation irrégulière fixé par Nicolas Sarkozy pour l'année 2007.


"Cette politique tue. Elle crée un climat d'insécurité permanente et de terreur pour les sans-papiers", a déclaré M. Giovannoni en faisant allusion au drame d'Amiens où un enfant s'est grièvement blessé en chutant d'un balcon en voulant échapper à l'interpellation de sa famille.


"C'est une logique ethiquement inacceptable dès lors qu'il s'agit d'expulser des personnes, et dans le fond une logique absurde: faire du chiffre, toujours plus de chiffre, pour les donner en pâture à l'opinion", écrivent les auteurs de ce rapport.


Entre 2002 et 2006, la capacité d'accueil des centres de rétention administrative a doublé, passant de 786 places fin 2002 à plus de 1.500 en 2006. Le nombre de personnes retenues dans ces lieux (vingt centres de rétention et trois lieux de rétention) est passé de 28.220 en 2003 à 31.232 en 2006.


La Cimade s'inquiète du développement des lieux de rétention où l'exercice effectif des droits des personnes retenues ne "sont pas entourés des mêmes garanties" qu'en centres de rétention.


L'une des conséquences de cette "politique du chiffre", note la Cimade, est que l'enfermement des familles et des enfants, "loin d'être exceptionnel, tend à devenir la règle".


Même si deux circulaires prises en 2005 et 2006 par le ministère de l'Intérieur -l'une enjoignant de ne pas expulser les parents d'enfants scolarisés, l'autre prévoyant, sous certains critères, la régularisation de parents scolarisés- ont eu pour effet de réduire le nombre de familles expulsées.


Un mineur ne pouvant faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière, il ne devrait pas être placé en centre de rétention. Pourtant en 2006, note la Cimade, 97 familles, comptant 201 enfants, ont transité dans ces centres, principalement celui de Lyon (181).


Et la Cimade de citer l'exemple d'une fillette de 4 ans qui a passé 32 jours en rétention à Toulouse avec son père et sa grand-mère, mais sans sa mère, absente du domicile lors de l'arrestation. Tous trois, malgré de nombreuses interventions, seront expulsés.


Les missions de la Cimade


Créée en 1939 pour venir en aide aux personnes déplacées par la guerre, la Cimade agit depuis pour l'accueil et la défense des étrangers et des demandeurs d'asile en France. Elle soutient également des partenaires dans les pays du Sud. « La Cimade a pour but de manifester une solidarité active avec ceux qui souffrent, qui sont opprimés et exploités et d’assurer leur défense, quelles que soient leur nationalité, leur position politique ou religieuse » art 1 des statuts (extrait)


Accueillir et accompagner


Chaque année, la Cimade accueille et accompagne plusieurs dizaines de milliers de migrants et de demandeurs d'asile dans ses permanences. La Cimade contribue à leur insertion par l'organisation de formations spécifiques. Elle héberge également près de 200 personnes par an dans ses deux centres d'accueil de Béziers et de Massy. 


Solidaires ici et là-bas


Parce qu'accueillir l'étranger c'est également comprendre d'où il vient, la Cimade soutient des partenaires dans des pays du Sud autour de projets liés à la défense des droits fondamentaux, à l'aide aux réfugiés. Elle donne désormais priorité au renforcement et au travail avec les sociétés civiles du Sud et du Nord pour la défense des droits des migrants.


Défendre et témoigner


Face à une législation toujours plus complexe et restrictive, la Cimade apporte son expertise et ses conseils aux étrangers afin qu'ils puissent faire respecter leurs droits. Intervenant dans les centres de rétention administrative, elle est chargée par les pouvoirs publics d'une mission d'accompagnement et de défense des droits des étrangers contraints de quitter le territoire. Parce qu'il faut faire évoluer la loi et les mentalités, elle milite plus généralement pour la défense des droits fondamentaux des étrangers et le respect de leur dignité. A leur côté au quotidien, la Cimade peut témoigner de ce qu'ils vivent et des difficultés qu'ils rencontrent. 



Les chiffres clés

60 000 personnes conseillées et accompagnées chaque année

17 partenaires dans 11 pays

1000 adhérents actifs

60 groupes locaux structurés en 12 régions

100 salariés 


Les grandes lignes du rapport 2006 de «La Cimade»


Depuis 1985, la cimade assure une présence associative et exerce une mission d'accompagnement des étrangers en instance d'expulsion dans les lieux de rétention. Seul représentant de la société civile à y intervenir quotidiennement, nous témoignons de la réalité observée dans ces lieux de privation de liberté : c’est à nouveau le but de ce septième rapport annuel sur les lieux de rétention administrative. 


Le choix a été clairement fait depuis 2003 d'une réponse exclusivement répressive aux questions posées par l'immigration. Les parlementaires ont voté quatre lois en cinq ans, réformant dans un sens toujours plus restrictif le droit des étrangers. Cette succession de dispositions, dont les effets concrets ont peu ou mal été anticipés et pour lesquelles on ne prend jamais le temps de dresser un bilan, apparaissent comme une suite de mesures spectaculaires. Cette volonté d'affichage est la plus visible dans le traitement de l'éloignement forcé des étrangers irréguliers. Elle a conduit à l'adoption d'objectifs chiffrés de reconduites à la frontière (15 000 en 2004, 20 000 en 2005, 25 000 en 2006) énoncés par les ministres de l'intérieur successifs et assignés à chaque préfet. 


Le rapport 2006 sur les centres et locaux de rétention administrative dresse un état des lieux dans les 23 centres (France métropolitaine et Guyane) et 3 locaux de rétention administrative où la cimade était présente en 2006. Nous y dénonçons à nouveaux les effets dévastateurs de l'industrialisation de la rétention avec la multiplication du nombre et de la capacité des lieux de rétention. Son but est également d'apporter un éclairage transversal sur la logique comptable à l'oeuvre en matière de reconduite à la frontière : nous avons choisi de mettre en lumière dans ce rapport cinq aspects qui démontrent à quel point cette politique confine à l'absurde mais aussi et surtout combien de drames humains elle génère chaque jour :

- la recherche du chiffre a conduit l'administration à s'attaquer de façon discriminatoire aux ressortissants roumains (et bulgares dans une moindre mesure), alors que ceux-ci sont devenus dès le 1er janvier 2007 citoyen de l'Union européenne (UE) ;

- la mise en œuvre des procédures de réadmission vers d'autres pays européens en particulier frontaliers a permis également d'augmenter artificiellement le nombre de reconduites à la frontière effectuées ;

- l'utilisation massive et le développement des locaux de rétention administrative (LRA ; il y en a plus de 100 en France), constitue aujourd’hui un moyen d’atteindre des quotas chiffrés en limitant l'accès au droit des personnes retenues, au prix de l’enfermement d’étrangers dans des conditions matérielles parfois inhumaines ;

- la généralisation du placement en rétention des familles indique que l'exigence de l'expulsion prend le pas sur les principes élémentaires de protection des mineurs ;

- quand à la double peine, la permanence de cette mesure de bannissement montre que malgré les annonces rassurantes, c’est bien une logique de répression et de chiffre qui est à l’œuvre au détriment de l’attention aux personnes et à leur proches.


Source: AP/Nouvel Observateur/Cimade/eemni