TCHAD : BETTY FRITSCH TEMOIGNE

Betty Fritsch, de retour du Tchad, témoigne de son séjour en terre musulmane et de son ministère auprès des enfants orphelins, malnutris et de l’aventure de l’Arche de Zoé...

Au service du Maître au Tchad

Betty Fritsch (EEM Munster)

Propos recueillis par JP Waechter

Betty Fritsch, 30 ans, est membre de l’Eglise Evangélique Méthodiste de Munster. Elle vient d’effectuer un séjour de deux ans au nord du Tchad en tant qu’infirmière auprès de l’Orphelinat Bakan Assalam rendu célèbre par la mission que le gouvernement lui a confiée, à savoir la prise en charge des 103 enfants que l’association “L’Arche de Zoé” s’apprêtait à acheminer en France. Responsable des lieux, Betty Fritsch a vécu avec la petite équipe cette situation insolite; pour eemni, elle raconte son aventure.

Présentation

EEMNI : Tu reviens de deux ans de séjour au nord du Tchad, dans cette région limitrophe du Soudan pour un travail auprès de femmes, d’orphelins de mères et d’enfants prématurés. Explique-nous le contexte dans lequel évolue la Mission Protestante franco-suisse du Tchad

Betty Fritsch (BF) : La Mission Protestante franco-suisse du Tchad est implantée à Abéché depuis maintenant une cinquantaine d’années. J’ai été envoyée en tant que missionnaire dans un orphelinat appelé Bakan Assalam, qui veut dire “Hâvre de paix” et donc ma mission à moi a été de travailler en tant qu’infirmière en faisant des consultations maternelles et infantiles et en prenant spécialement en charge des orphelins de mère, les orphelins de mère ne pouvant guère survivre vu l’état de pauvreté et de précarité. Ils ont besoin d’assistance ; il faut les soutenir en leur distribuant du lait, des vêtements et leur chercher une famille d’accueil. Notre but est de les réintégrer dans leur famille la plus proche, auprès de la grand-mère ou bien la tante... C’était important pour nous. C’est un orphelinat spécial, un orphelinat décentralisé, dans le sens qu’on ne prend pas en charge les orphelins dans la structure même.

Contexte agité

EEMNI : Si l’orphelinat est un hâvre de paix, la région est loin de l’être ?

BF : Oui, la région est loin de l’être. Nous avons voulu en tout cas que notre lieu de vie soit un lieu de paix, même si c’était quelques mètres carré.

EEMNI: Parce que des centaines de milliers de réfugiés en provenance du Soudan ont cherché un refuge au Tchad...

BF : En raison de la guerre au Soudan, qui sévit depuis quelques années, il y a des milliers de familles qui viennent se réfugier dans des camps situés à quelque 80 km d’Abéché. On dénombre là-bas un million de réfugiés dans une trentaine de camps, ce qui explique le grand nombre d’ONG sur place, une trentaine rien que sur Abéché et nous-mêmes, nous travaillons à une collaboration avec elles. Parfois, elles nous ramenaient des enfants abandonnés dans les camps ou bien des prématurés. Nous étions la seule structure à accueillir les prématurés dans le secteur d’Abéché.

Collaboration avec les ONG et l’Eglise Evangélique

EEMNI : Et donc votre collaboration avec les ONG était bonne.

BF : Oui, elle était très bonne.

EEMNI  : Comme avec l’Eglise Evangélique du Tchad, dont l’orphelinat était une oeuvre ?

BF : Oui, tout à fait. Sur le terrain, nous sommes une oeuvre de l’Eglise et c’est pour ça que nous avons le droit de travailler. Nous ne sommes pas là en tant qu’ONG, mais en tant que mission, en tant que missionnaires.

L’arrière-plan musulman

EEMNI : Dans un contexte musulman,

BF : Dans un contexte musulman et en travaillant aussi avec des collaborateurs tchadiens chrétiens  et  en collaboration avec les pasteurs et l’Eglise du Tchad.

EEMNI : Cela suppose une très grande adaptation au milieu, à la mentalité, à la culture, à la langue, à la langue pour commencer ?

BF : Tout à fait, pendant la première année, j’ai dû suivre des cours d’arabe avec une Tchadienne. J’avais trouvé quelqu’un qui venait en consultation avec ses enfants ; j’ai passé avec elle deux après-midi par semaine où j’ai pu apprendre la culture, comment faire la boule, qui est la spécialité locale

EEMNI : boule de mil ?

EEMNI : boule de mil, voilà et puis après aller au marché, s’habiller comme des musulmanes avec un tissu qu’on enroule autour du corps de la tête au pied et puis ensuite apprendre la langue arabe.

EEMNI: Le message passe, ça communique entre les uns et les autres ?

BF : Oui, ça communiquait, au début, c’était difficile, mais à la fin, ça porte des fruits.

EEMNI: L’optique d’un musulman n’est pas nécessairement celle de chrétiens ? Comment concilier les deux ? Comment procéder pour toucher les coeurs ?

BF : C’est toujours un défi, on n’a jamais gagné, c’est un terrain délicat, où il faut beaucoup de respect de l’autre, où il faut beaucoup d’amour, beaucoup de temps et de persévérance aussi. Les missionnaires qui sont là depuis des dizaines d’années sont parfois découragés justement qu’ils ne voient pas forcément les fruits qu’ils aimeraient voir. Mais quand même beaucoup de gens font la différence par exemple entre les ONG et la mission etpuis entre leur travail et  celui que nous faisons auprès de la population, - nous sommes proches des gens, nous allons visiter les orphelins dans la brousse et là aussi le faisons dans une optique d’évangélisation. Notre but est de montrer  que nous sommes différents par l’approche, par l’amour que nous pouvons donner à travers Jésus. Moi-même, je me dis que si j’avais pas eu d’amour pour les Tchadiens je n’aurais pas pu faire le travail que le Seigneur m’avait confié, parce qu’il y avait beaucoup de difficultés, de haine des fois, beaucoup de réticences et c’est vrai qu’il y avait aussi beaucoup de pression de la part de l’islam. Ce combat spirituel n’était pas à négliger. Souvent, nous avons dû nous protéger nous-mêmes, faire appel à la puissance de Dieu et même jeûner aussi pour être libérés et puis pour faire autorité aussi. On va dire que c’est un combat de tous les jours.

Les enfants de l’Arche de Zoé

EEMNI : Comme si vous n’aviez pas assez à faire avec vos enfants habituels, les enfants du secteur, voici qu’un beau jour d’octobre 103 enfants débarquent ; on vous les emmène comme sur un plateau : maintenant, c’est vous qui vous en occupez... Les enfants de l’arche de Zoé ? !

BF : La ministre des Affaires Sociales est venue nous rendre visite, à Anne-Marie et à moi-même pour nous demander si nous étions d’accord pour accueillir ces enfants dans notre structure; Sur le coup, nous nous sommes regardées, nous étions très étonnées et surprises de cette demande. Il y avait plein de structures ailleurs où ils auraient pu loger facilement ces enfants; Et en plus, nous étions la seule structure chrétienne dans un environnement musulman (99% de Musulmans), ils nous demandent d’accueillir ces enfants. En même temps, nous étions réjouis et puis nous ne pouvions surtout pas refuser de donner suite à cette demande.

EEMNI : Et quelque part, c’était une forme de reconnaissance du travail accompli ?

BF : C’était une forme de reconnaissance du travail accompli et pour nous c’était Dieu qui nous confiait ces enfants. Nous nous disions : si le Seigneur nous confie ces enfants, c’est une bénédiction aussi pour eux, c’est un moyen aussi de les avoir à côté de nous et d’en prendre soin comme Dieu nous le demande.

EEMNI : Vous avez donc relevé le défi par la grâce de Dieu ?

BF : On a relevé le défi grâce à l’aide aussi d’un collaborateur tchadien qui a travaillé avec nous, Saleh, un chrétien d’arrière plan musulman, qui, tout petit, venait déjà à l’orphelinat et participait au club avant de se convertir à l’âge de 16/17 ans et de suivre une école biblique et des études avec le soutien de la mission avant de travailler dans la structure depuis un an. Pour nous, c’était une vraie bénédiction, car comme équipe réduite nous nous demandions comment nous allions faire, mais Dieu avait déjà tout prévu, il avait son plan ; il suffisait juste de lui faire confiance. David, le représentant de la mission, est venu de Djamena pour nous aider dans les prises de décision et les discussions avec les ONG partenaires.

EEMNI : Ce qui me frappe de l’extérieur, de la France, c’était la discrétion de votre équipe !

BF : Oui, exactement, c’était là notre mot d’ordre, la discrétion. Nous ne voulions surtout pas nous mettre en avant.

EEMNI : Car les rares fois où il était question du ministère de la mission, c’était en termes très sobres et positifs. 

BF : Tout à fait. Nous ne voulions pas être mêlés à l’affaire judiciaire et rester le plus neutre possible et juste montrer quel était notre but, prendre correctement en charge, le mieux possible, ces enfants.

L’élu du coeur en plein désert

EEMNI : C’était une des surprises, mais ce n’était pas la seule de cet automne. Qu’est-ce qui t’est tombé du ciel en plein désert ?

BF : (éclats de voix) un Munstérien !

EEMNI : Pas du fromage ?!

BF : Non, pas du fromage, un vrai Munstérien, l’élu de mon coeur exactement, que j’ai rencontré à l’orphelinat même. Un miracle !

EEMNI : Vous avez tant de km pour vous connaître et vous aimer !

BF : Les miracles de l’amour, ce qui montre à quel point le Seigneur a de l’humour et combien il fallait persévérer dans sa voie dans l’attente de l’élu de notre coeur... Nous ne savions pas quand, nous faisions confiance au Seigneur tout en priant et voilà que le temps de Dieu est arrivé et nous en sommes très contents ; nous le prenons avec joie.
EEMNI : Et bientôt, vous allez conjuguer le service de Dieu et du prochain ensemble ?

BF : Oui, c’est ça !

EEMNI : Eh bien, bon vent, bénédiction de Dieu sur votre vie, sur votre ministère ! Merci beaucoup ! 

eemni