RENATE BLOEM MILITANTE DES DROITS DE L’HOMME

Renate Bloem a été présidente de la CONGO, conférence des ONG auprès de l’ONU, porte-voix des sans-voix, à la pointe de la défense des femmes et des enfants....



Interview recueillie par JP Waechter

Renate Bloem est suissesse, membre de l’Eglise Evangélique Méthodiste (EEM). Elle représente depuis 1998 le Carrefour des Femmes mondial au sein de la Conférence des organisations non gouvernementales ayant des relations consultatives avec les Nations Unies (CONGO). Très vite, elle a accédé à la présidence de cette instance onusienne pour deux mandats (1998-2003 / 2003-2008). La Conférence Annuelle ‘08 lui a rendu hommage. Nous cherchons à en savoir plus sur son engagement.

Renate Bloem (RB) : Au cours de mes deux mandats de présidente, j’ai beaucoup travaillé à la défense des droits de l’homme, des droits des femmes et des enfants surtout, avec les autres ONG, toujours ensemble avec elles, jamais seule, parce qu’une voix isolée des autres ne représente pas grand chose. Nous nous sommes engagée dans le cadre de la CONGO ensemble avec les autres ONG pour les aider à prendre part au débat et aux décisions des Nations unies. Et maintenant je suis redevenue simple participante de la CONGO.

eemni : Votre engagement au sein de la CONGO a été de prendre fait et cause pour les femmes et les enfants ?

RB : Mon engagement au sein de la CONGO a consisté plus généralement à défendre la société civile dans son ensemble auprès des Nations unies. Point très important, la charte qui dit :  “Vous êtes le peuple”, pas seulement nous, les gouvernements. Les ONG, la société civile, peuvent avoir une voix de plus en plus forte, exigeante, claire ; la chose est naturellement loin d’être facile, car entre temps il y a plus de 3000 ONG disposant d’un statut consultatif. Elles sont fières de s’unir dans la diversité et cherchent à apporter une contribution constructive. C’est aussi un défi de se voir comme une voix complémentaire à celle des gouvernements. Parfois, nous devons nous élever contre les gouvernements, mais en général les ONG sont là pour répercuter la voix des sans-voix, la voix de toutes et de tous ceux qui n’ont pas de voix et les gouvernements ne les voient pas si facilement. Il est important de prendre en compte la situation des personnes vulnérables en général, mais faisons remarquer que si les femmes peuvent être vulnérables, elles peuvent aussi être fortes. Aussi importe-t-il de voir aujourd’hui comment la femme avec tout ce qu’elle a comme intelligence et force peut contribuer à résoudre tous ces problèmes qui se présentent là devant nous.

eemni : Et le point fort de de la CONGO, c’est de pouvoir unir ces diversités et de faire en sorte qu’elles s’expriment d’une seule voix auprès du grand “Machin” qu’est l’ONU, selon le mot du Général de Gaule.

RB : La CONGO a pour rôle de faciliter les échanges entre ONG. Sa mission consiste à faire en sorte que les droits humains sortent des enceintes onusiennes et "descendent dans la rue", qu'ils soient promus et protégés au niveau national, au niveau de chacun des Etats membres. Notre mission, militants des ONGs et des organisations de la société civile, est de réaliser le trait d'union entre les décisions prises à l'ONU et la réalité des gens dans leur vie de tous les jours, ici ou ailleurs.
Dans ce but, la CONGO organise de petites et grandes conférences ou réunions, suivie après concertation générale d’une déclaration (a Statment), qui constituera une pièce maîtresse dans le débat général. Par exemple, le Conseil économique et social (ECOSOC) se rencontre à nouveau à New York ces jours-ci ; cette institution est aussi une porte d’entrée à l’ONU et mon successeur a essayé de faire un peu la même chose, à savoir réunir parallèlement à l’ECOSOC un forum des ONG à New York et tenter de mettre au point une déclaration finale qu’on va introduire dans les débats et proposer aux gouvernements.

eemni : Vous voulez être une force de propositions et pas seulement de critiques ?

RB : Absolument, nous voulons aussi être une force de propositions. La voix des ONG est souvent plus claire et profonde  sur certains sujets, - bien sûr, les gouvernements abordent aussi ces thèmes, mais nous avons le droit en tant qu’ONG de faire entendre notre voix distinctement. Les gouvernements ont fait un tas de promesses aux sommets de l’an 2000/2005. Il appartient aux ONG de vérifier dans le détail si les gouvernements tiennent ou non leurs promesses.

eemni : Vous êtes leur mauvaise conscience!

RB : Exactement.

eemni : Cet engagement, vous le vivez en tant que chrétienne et en tant que méthodiste.

RB : Tout le monde sait que je suis méthodiste ; en tant que présidente de la CONGO, j’avais l’obligation d’être neutre ; mais ma foi chrétienne ressort surtout de ma manière de vivre, de la façon dont je vis mon engagement, ma relation avec les autres...

eemni : Votre vie et votre engagement témoignent de votre enracinement dans le Christ.  Aujourd’hui le combat pour les droits de l’homme est-il toujours d’actualité ?

RB : La situation présente est difficile : on a fait quelques pas en avant à l’ONU. On est parvenu à ouvrir quelques portes. Mais divers pays dans le monde ont publié des lois très restrictives pour les ONG. Nous sommes placés devant le défi suivant : devoir garder ce qu’on a obtenu, conserver les acquis, que nous avons déjà dans la Charte et devoir rappeler constamment aux gouvernements le droit des ONG à rester sur la place et leur devoir à les consulter. Et dès qu’il y a une petite défaillance, ou qu’une ONG se permet un écart, alors tout de suite les portes se ferment. Aussi faut-il veiller que les ONG restent à l’avenir dans tous les rouages de l’ONU.

Aujourd’hui se posent des problèmes trans-nationaux (comme le climat) ; il est absolument clair que tout le monde doit travailler ensemble et dans les différents secteurs. Il faut sortir de son propre secteur, même si vous avez toujours travaillé dans ce secteur-là pour nouer des alliances avec d’autres acteurs, même s’ils travaillent différemment, et sur un autre projet que le vôtre. Il convient par exemple de travailler conjointement sur la thématique des droits de l’homme et du développement car les droits humains, civils et politiques ne peuvent être disjoints des droits économiques, sociaux et culturels. Les deux forment un tout.

Tant qu’on ne respecte pas la dignité de chacune, chacun, on ne peut parvenir au moindre développement durable, voilà une vérité élémentaire. Il faut toujours mettre l’homme, la femme au milieu de ce que vous faites, voilà ce qu’il faut aussi rappeler aux gouvernements, c’est clair. Le développement durable a pour corrolaire le respect de la dignité de chaque être humain.

eemni : A la recherche du développement durable appartient aussi la lutte contre la pauvreté extrême.

RB : Exactement, la  pauvreté extrême est une sorte de violation de tous les droits. En cas de pauvreté extrême, vous n’avez accès à rien du tout, vous n’avez pas accès à la formation, vous n’avez pas le droit de vous battre, l’indispensable vous manque. Vous êtes en situation de pauvreté extrême, quand vous n’avez accès à rien du tout. La pauvreté extrême, ce n’est pas seulement un manque économique, c’est aussi un défaut spirituel, c’est aussi un défaut de santé, c’est le fait de manquer de tout. Il importe alors de voir que nous pouvons travailler ensemble avec tout le monde, se battre ensemble pas seulement pour le droit de nourriture... C’est assez complexe, mais notre monde est complexe. Nous avons des institutions comme les Nations unies, démocratiques en substance, car c’est toujours une nation, un vote, et non pas un dollar, un vote comme dans d’autres institutions. Ensuite, toutes les nations en font partie. Parfois nous sommes désespérés, parce que cela ne fonctionne pas toujours aussi bien que nous le souhaitons, raison pour laquelle il faut une patience de longue haleine, un engagement à toute épreuve....

eemni : Et c’est là qu’intervient votre ressourcement personnel dans la prière pour tenir dans la durée ?

RB : Absolument. Il faut avoir du courage. Un verset m’a accompagné toute ma vie ;  Esaïe 41, 10 ne sois pas effrayé, 

car je suis avec toi ; 

ne sois pas angoissé, 

car moi je suis ton Dieu. 

Je t'affermis, 

je viens à ton secours, 

pour sûr, je te soutiens | de mon bras droit | qui fait justice.

ER: Merci beaucoup Renata, pour ces mots d’échange.

Un peu d’histoire

CONGO a été créé en 1948. Trois ans à peine après la fondation de l'ONU, les ONG qui venaient d'obtenir le statut consultatif auprès du Conseil économique et social (ECOSOC) - selon l'article 71 de la Charte - ont ressenti le besoin de s'associer, pour mieux défendre leurs intérêts et faire entendre leur voix à chaque fois que des sujets importants étaient discutés à l'Organisation. La Conférence des ONG ayant des relations consultatives avec les Nations Unies venait de voir le jour et allait désormais être plus connu sous le nom de CONGO. A ce jour, 500 ONG sont membres de la CONGO, sur les 2'200 ONGs environ accréditées actuellement auprès de l'ECOSOC. Celles-ci peuvent donc être formellement "consultées" par l'ECOSOC et ses commissions fonctionnelles sur des questions économiques et sociales relevant de leur domaine de compétence. Elles peuvent informer les délégations gouvernementales afin d'orienter leur prise de décision, sans bien entendu jamais se substituer à celles-ci.

Les ONGs à l'ONU constituent des groupes de pression et de lobbying en faveur, de tel ou tel sujet. La contribution efficace des ONGs à des causes comme l'instauration de la Cour pénale internationale, la lutte contre .les mines antipersonnel ou l'annulation de la dette du Tiers-Monde est connue de tous. Les ONG exercent aussi une fonction de contrôle, car elles veillent à rappeler aux gouvernements les engagements auxquels ils ont souscrit lors des conférences internationales et s’efforcent d'en "surveiller" la mise en oeuvre (cf les engagements pris lors de l’Assemblée du Millénaire et des Objectifs de développement du millénaire (ODM, MDGs en anglais) autour de huit objectifs en matière de lutte contre la pauvreté, de santé, d'éducation, de genre, d'environnement et dé partenariat international).

eemni