EEM: le mouvement évangélique en Suisse selon l’évêque Patrick Streiff

Dès 2002, le site d’actualité religieuse suisse, Religioscope, avait publié l’entretien que Patrick Streiff a accordé au sociologue Jean-François Mayer en octobre 2001. Connu pour sa connaissance des mouvements de renouveau dans le protestantisme, le pasteur Patrick Streiff a été élu en avril dernier évêque méthodiste de la Conférence Centrale de l’Europe du Centre et du Sud (CCECS). Nous reproduisons cet article fort instructif sur la réalité des églises et mouvements évangéliques en Suisse.


RELIGIOSCOPE - Une perspective historique révèle des mutations importantes entre l’évangélisme du 19ème siècle et l’évangélisme contemporain. Quels sont les grandes transformations intervenues en un siècle dans l’évangélisme et la manière d’être évangélique?


Patrick Streiff - Au 19ème siècle, l’évangélisme s’est surtout manifesté contre le libéralisme qui existait dans les Eglises réformées. Les évangéliques se sont efforcés de regrouper les personnes mécontentes de cette tendance libérale. Par la suite, il y eut aussi une approche plus orientée vers l’écoute et l’étude de la Parole, qui ressort beaucoup plus nettement au 19ème. Aujourd’hui, avec tous les changements intervenus dans la société, l’accent est mis sur ce que l’on voit. On ne peut plus à présent imaginer réunir les gens au culte pour écouter une heure de prédication.


RELIGIOSCOPE - L’arrivée du pentecôtisme marque également les mutations du paysage évangélique. A quel moment est-ce qu’il arrive en Suisse, et notamment en Suisse romande?


Patrick Streiff - Le pentecôtisme arrive au début du 20ème siècle en Suisse, avant la Première Guerre mondiale. Son arrivée entraîne rapidement des scissions au sein même des Eglises évangéliques. Les Eglises évangéliques classiques rejettent le pentecôtisme naissant et s’efforcent de critiquer des pratiques ou événements qui se sont produits dans leur propres églises. Par exemple, l’aspiration à de nouvelles expériences de l’Esprit, les phénomènes de guérisons ou de prophétie. On remarque une réserve de plus en plus affirmée vis-à-vis de ces manifestations. Cela entraîne, et peut-être plus spécialement en Suisse alémanique, le fait que l’on rejette le pentecôtisme, de crainte que ce mouvement ne provienne d’en bas et non de l’Esprit de Dieu.


RELIGIOSCOPE - A ses débuts en Suisse, le pentecôtisme se développa-t-il dans des milieux déjà évangéliques ou convertit-il des gens extérieurs à ce milieu?


Patrick Streiff - Il y eut, pour citer un exemple, des scissions au sein d’églises méthodistes à l’arrivée du pentecôtisme. Une partie, par exemple, de ce qui est aujourd’hui l’Eglise apostolique évangélique, côté Suisse alémanique, naquit de telles scissions.


RELIGIOSCOPE - En milieu catholique, l’évangélisme déconcerte souvent par l’importance faible qu’il accorde à l’Eglise-institution, alors que celle-ci a une très forte importance dans le contexte catholique. Les déplacements d’une Eglise évangélique à une autre se font aisément, au gré des déménagements, par exemple. Par rapport à un auditoire catholique, comment expliqueriez-vous cet accent complètement différent mis sur l’appartenance à l’Eglise comme institution, et qu'y a-t-il donc qui unit malgré tout les évangéliques?


Patrick Streiff - Les évangélique se fondent sur une certaine tradition à l’intérieur des Eglises protestantes, où, à partir du 18ème siècle, on commença davantage à voir l’Eglise comme quelque chose relatif à l’invisible - l’Eglise invisible. Celle-ci se crée par la communion de tous ceux qui sont véritablement croyants. Dans ce sens, pour les évangéliques, il s’agit d’une communion vécue entre les croyants. Ce corps du Christ est surtout une réalité invisible, ressentie peut-être entre frères et sœurs dans le milieu évangélique. Evidemment, il existe là un manque, car il me semble un peu simple de voir l’ecclésiologie seulement sous cet aspect d’Eglise invisible.


RELIGIOSCOPE - Vous avez noté dans vos recherches que, durant longtemps, les régions catholiques de la Suisse ont été peu touchées par les courants évangéliques. Alors que dans d’autres pays européens, on voit, dès la fin du 19ème, des missions évangéliques s’implanter avec plus ou moins de succès dans des zones catholiques. A quel moment en Suisse des zones catholiques ont-elles commencé à être touchées et pour quelles raisons ?


Patrick Streiff - Il m'est difficile d'avancer une explication à l’absence d’évangéliques dans les cantons catholiques. Cependant, il me semble que dès les années 1970, on commença à constater une présence d’églises évangéliques dans ces cantons. J’estime que cela pourrait avoir un lien avec les débuts du mouvement charismatique, mouvement qui a aussi bien touché les évangéliques dans les églises libres, que les Eglises réformée ou catholique. Des congrès charismatiques furent organisés, où catholiques et réformés se retrouvaient et se comprenaient souvent mieux entre eux qu’avec certains membres de leurs propres Eglises. C’est un élément qui a certainement favorisé une implantation de l’évangélisme dans les cantons catholiques.


Source: EEMNI/Religioscope