Sa recette: la philosophie d’Ubuntu
Grâce à un sens typiquement africain de la vie, notamment la philosophie d’Ubuntu, le pasteur méthodiste Samuel Kobia compte relever les nombreux défis qui l'attendent comme secrétaire général du Conseil Oecuménique des Eglises (COE). "Si les peuples africains s’occupaient librement de leurs propres problèmes, ils les auraient tous résolus depuis longtemps", affirme, confiant, le Kenyan.
Ubuntu pourrait approximativement se traduire par "faculté de vivre parce que la vie vaut la peine d’être vécue". Et ce sens se révèle chez de nombreux Africains quand les réserves matérielles et financières sont épuisées et qu’ils n'ont plus aucune possibilité de s’approvisionner. D’après Samuel Kobia, qui entrera en fonction le 1re janvier 2004, c’est cette philosophie qui permet à 80% des Africains de vivre alors qu’ils n’ont même pas le minimum vital.
"La philosophie d’Ubuntu reste focalisée sur l’être humain", explique à l'Apic Samuel Kobia, rencontré au siège du COE à Genève. "Trois piliers la sous-tendent. Le premier touche aux relations humaines. L’homme, quel que soit son statut social, doit pouvoir se mettre en rapport avec ses semblables, à partir de ceux du voisinage immédiat". Le pasteur méthodiste met en comparaison la philosophie africaine et la théologie chrétienne, qui recommande de voir en chaque homme l’image de Dieu. "On ne peut voir cette image que quand on est ouvert à l’autre", commente-t-il. Le deuxième pilier, selon Samuel Kobia, concerne la dignité humaine et le respect dû à chaque être humain. "Les violence qui secouent actuellement l’Afrique constituent un frein à cette perspective", regrette le méthodiste. L’abondance de la vie, constitue enfin le troisième pilier de la tradition d’Ubuntu.
Une philosophie qui permet à 80% d'Africains de survivre
Dans la pensée africaine, la vie est comprise dans sa quantité et dans sa qualité. "En termes théologiques, explique le nouveau responsable du COE, je parlerai de la plénitude de la vie. Je crois que cette dernière dimension n’est pas seulement africaine. Elle est universelle. Mais, sur la table de l’humanité, l’Africain apporte inséparablement les trois dimensions." La validité de l’Ubuntu réside dans les relations interhumaines qui font vivre les Africains. "80% d'entre eux n’ont pas de système de sécurité sociale et pourtant ils arrivent à survivre", souligne le pasteur Kobia.
"La principale caractéristique de cette philosophie est, indique le Kenyan, la capacité de l’espoir." D’après lui, l’histoire des Africains, aurait pu les conduire au désespoir voire au suicide collectif. L’esclavage, le colonialisme, le néocolonialisme, les famines, la pauvreté et actuellement le sida, les guerres civiles, … auraient pu décourager les Africains. Pourtant, on les voit encore pleins d’espoir.
Si l’Occident contribue à la détérioration des conditions de vie dans ce continent, les Africains, et notamment leurs dirigeants, ne sont pas moins responsables des horreurs auxquels ils sont confrontés, estime Samuel Kobia. Qui donne pourtant une série d’exemples montrant que bon nombre d'Africains essayent de sortir de l’imbroglio qui a toujours marqué leur quotidien. Ainsi, se réfère-il au panafricanisme qui vise encore à l’émancipation des peuples du continent. Il évoque également le processus de libération des peuples, qui a été conçu et conduit par les Africains eux-mêmes. Le pasteur rappelle enfin que l’apartheid en Afrique du Sud a été supprimé par le génie des Africains, même si le soutien de la Communauté internationale a été d’une très grande importance.
"Aujourd’hui, le monde attend beaucoup du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) qui est une lutte pour le développement de l’Afrique. C’est un véritable défi vu les difficultés économiques que traverse le continent. Mais le pas franchi en ce sens est prometteur", reconnaît Samuel Kobia. Le pasteur kenyan apprécie le passage de l’Organisation de l’Unité Africaine à l’Union Africaine. Il le voit comme une émancipation politique qui vise à l’émancipation spirituelle et économique. En s’inspirant de la philosophie d’Ubuntu, il promet de diriger le COE avec un esprit de consensus dont il hérite de sa région, considérée comme le "berceau de l’humanité".
Des conflits qui suivent la fin de la guerre froide
N'y a-t-il pas contradiction entre ces guerres qui ravagent l'Afrique et l'esprit de consensus qui caractérisent ses habitants? Samuel Kobia ne nie pas que l’Afrique traverse une période difficile. Il relève que la prolifération des conflits suit la fin de la guerre froide. "Je dirais que ce sont des guerres financées par les grandes puissances économiques. Les Africains sont bien sûr complices puisqu’ils échangent leurs matières premières contre les armes fournies par les puissances militaires", explique-t-il. Pour lui, le poids des rivalités des grandes puissances sur le sol africain reste très lourd de conséquences néfastes. "Si les peuples africains s’occupaient librement de leurs propres problèmes, ils les auraient tous résolus depuis longtemps", affirme le pasteur Kobia. Preuve en est la réussite de l’Union Africaine dans sa mission de ramener la paix au Libéria. Selon lui, c’est grâce au consensus africain que le pays a retrouvé son calme. Par le génie consensuel africain, l’Afrique du Sud survit aux horreurs de l’apartheid grâce au mécanisme de la vérité et de la réconciliation.
Face à certaines situations qui semblent défier toute approche consensuelle, comme au Soudan, le successeur de Konrad Raiser au COE reste convaincu que la solution viendra des Africains eux-mêmes. Dans la corne de l’Afrique pour laquelle le Kenyan s’est personnellement impliqué, il est d'avis que tout n’est pas perdu: "Le pas franchi, s’il pouvait être maintenu, pourrait conduire définitivement à la pacification du pays." Le pasteur méthodiste fait confiance en la philosophie d’Ubuntu. Il la voit devenir de plus en plus dynamique et enrichie à la lumière d’autres philosophies. "A l’avenir, dit-il, je peux même dire que c’est cette philosophie qui servira aux Africains de bâtir leur continent, en gouvernant sur des bases plus démocratiques".
Un artisan de la paix en Afrique
Samuel Kobia, âgé de 56 ans, est pasteur de l'Eglise méthodiste du Kenya. Il est marié et père de quatre enfants. Il a fait ses études de théologie au Kenya, puis au Séminaire McCormick aux Etats-Unis. Il a obtenu en 1972 un certificat sur le ministère en milieu urbain, avant de faire une maîtrise en urbanisme à l'Institut de technologie du Massachusetts en 1978. Il a oeuvré à la réorganisation du Conseil chrétien du Zimbabwe en 1980-81, au moment de l'indépendance. Il était vice-président de la Commission du Programme de lutte contre le racisme du COE (1984-1991), et a participé à la fondation du Groupe d'action pour la paix de Nairobi (1987). Il a aussi présidé les pourparlers de paix au Soudan en 1991. En 1992, il a présidé l'Unité nationale d'observation des élections du Kenya. Samuel Kobia a dirigé le Conseil national des Eglises du Kenya avant de rejoindre le COE en 1993 pour diriger l'Unité III "Justice, Paix, Création". Il est actuellement représentant spécial du COE pour l'Afrique.
Elu le 28 août 2003 secrétaire général du COE, Samuel Kobia a décrit sa fonction en citant un proverbe africain: "Si tu veux marcher vite, marche tout seul, mais si tu veux marcher loin, marche avec les autres".
22.10.2003
Déo Negamiyimana
Source: APIC/KIPA