Fidji : un village se repent de son passé anthropophage

 Les habitants d'un petit village des Fidji ont hier demandé pardon aux descendants d'un missionnaire britannique tué et dévoré en 1867 par des cannibales, dans l'espoir de lever la malédiction qui se serait depuis abattue sur leur communauté.


Une dizaine de descendants du missionnaire méthodiste Thomas Baker, venus d'Australie, ainsi que le Premier ministre fidjien Laisenia Qarase, ont pris part à une célébration et à une cérémonie traditionnelle organisée hier à Nabutautau où le missionnaire et huit de ses collègues fidjiens avaient été massacrés en 1867 avant d'être mangés par des indigènes de ce village reculé de l'archipel du Pacifique sud.


Le révérend et ses collègues avaient été conduits à l'extérieur du village par le chef Nawawabalavu avant d'être abattus avec de longues haches de guerre. Les corps furent jetés dans un ravin puis récupérés dans une rivière. Celui du révérend aurait été placé au sommet de la pile de cadavres puis dépecé sur un rocher avant de faire l'objet d'un festin.


Selon la légende, le révérend Baker a été dévoré pour avoir osé toucher à un peigne du «ratu», transgressant ainsi une interdiction de toucher à la tête du chef du village. Les historiens mettent en doute cette version, évoquant plutôt une querelle de chefs qui aurait mal tourné. 


Sauf les bottes...


Dans des récits de l'époque, un témoin de ces actes cannibalisme racontait: «Nous avons tout mangé, à l'exception de ses bottes». L'une d'elles est d'ailleurs aujourd'hui exhibée au musée des Fidji.


Depuis ce drame, les quelque 200 membres de la communauté de Nabutautau s'estiment victimes d'un mauvais sort car le village, qui ne dispose ni d'école ni de routes ou d'équipement médical, voit toutes ses demandes de subventions repoussées et le cannabis y fait des ravages. «Nous croyons que nous sommes victimes d'un sort et nous devons demander pardon pour ce qui s'est passé. Une fois cela fait, nous serons à nouveau purs », a récemment déclaré «ratu» (chef) Filimoni Nawawabalevu, petit-fils du chef qui tua le missionnaire.


La famille de Thomas Baker, qui connaissait le destin tragique de leur aïeul, ignorait en revanche que les villageois se considéraient maudits. «Moi et ma famille sommes plus que contents de pouvoir leur venir en aide de quelque manière qu'ils le souhaitent», a affirmé hier Geoff Lester, arrière-arrière petit fils du missionnaire. 


«Rupture de la chaîne de la malédiction»


Au milieu d'un cercle de tentes érigées au coeur du village, la cérémonie s'est ouverte par le rituel du Kava, une boisson traditionnelle. Son point d'orgue a été «la rupture de la chaîne de la malédiction», symbolisée par un lâcher de ballons effectué par la famille de Thomas Baker.


Des jeunes du village ont aussi joué une pièce où le pasteur local Thomas Baravilala brandissait la hache qui aurait servi à tuer le pasteur Baker. Un descendant du religieux, Les Lester, a indiqué que sa famille était stupéfaite par l'importance donnée à cet évènement. «Ils pensaient que ça allait être une petite cérémonie et ils se retrouvent à côté du Premier ministre et du Grand conseil des chefs coutumiers », a-t-il confié.


Une dent de baleine a été remise à la famille du révérend Baker par les chefs coutumiers, rappelant que le missionnaire avait lui aussi effectué un telle offrande, censée alors le prémunir de la férocité des tribus des montagnes. «J'espère que cet évènement sera utile au peuple de Fidji et aux habitants de ce village», a déclaré Geoff Lester, soulignant que son arrière-arrière grand-père «était venu ici en ayant conscience des risques et en sachant ce qui pourrait arriver». Laisenia Qarase a pour sa part qualifié de «très bel acte» l'initiative des villageois de Nabutautau. Il n'a en revanche pas fait mention d'une quelconque rallonge budgétaire pour le village malgré son repentir. 

Source: DNA