Par Bartholomée Ier, patriarche oecuménique (*)
Quelles étapes devons-nous franchir pour parvenir à la transformation? Dans cet article sur le thème de la 9e Assemblée du COE (du 14 au 23 février 2006), "Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce", Sa Toute Sainteté Bartholomée Ier, patriarche œcuménique, se penche sur cette question et réfléchit à la découverte de soi et à la guérison de la communauté et de la terre.
La transformation, guérison du cœur
La Philocalie, anthologie classique de textes chrétiens des premiers siècles consacrés à la prière, souligne ce paradoxe étonnant: c'est par le silence qu'on parvient à la transformation. "Quand tu trouveras le silence dans ton cœur, tu découvriras Dieu dans le monde entier." En d'autres termes, la transformation débute avec la prise de conscience que Dieu est au cœur de toute vie. "Arrêtez, et sachez que je suis Dieu." (Psaume 46, 11) Grâce au silence, nous prenons conscience que la grâce de Dieu est beaucoup plus proche et peut contribuer à nous définir bien mieux que nous ne le faisons. La transformation du cœur est la prise de conscience profonde que "le Règne de Dieu est parmi nous" (Lc 17,21).
Toutefois, la transformation intérieure exige un changement radical ou, pour utiliser le vocabulaire théologique, la metanoia, qui est un changement d'attitudes et de présupposés. Nous ne pouvons pas être transformés si nous n'avons pas d'abord été purifiés de tout ce qui s'oppose à la transformation, si nous n'avons pas compris ce qui défigure le cœur humain.
Un tel processus de découverte de soi ne peut provenir que de la grâce de Dieu et débouche en fin de compte sur un respect authentique de la nature humaine, avec tous ses défauts et ses échecs, en nous-mêmes comme chez les autres. Il prépare la voie au respect de tous les êtres humains, quelles que soient leurs différences au sein de la société et de la communauté mondiale. Grâce à la transformation intérieure, ces différences sont accueillies avec joie, respectées et acceptées comme les morceaux unique d'un puzzle sacré; elles constituent un élément du profond mystère de la création merveilleuse de Dieu.
La transformation, guérison de la communauté
La transformation du cœur débouche sur la guérison de la communauté, car la transformation est une vision relationnelle et compassionnelle. Comme il est regrettable que nous autres chrétiens dissociions souvent la spiritualité de la communauté!
Lorsque nos cœurs sont transformés par la grâce divine, nous voyons le monde différemment et sommes incités à agir généreusement. Par la grâce transformatrice de Dieu, nous avons la capacité de chercher des solutions aux conflits par le biais d'échanges ouverts, sans recourir à l'oppression ni à la domination.
Ainsi, par la grâce divine, nous avons la possibilité aussi bien d'aggraver les maux dont souffre notre monde que de contribuer à sa guérison. Quand prendrons-nous conscience des effets néfastes de la violence sur notre environnement spirituel, culturel et écologique? Quand admettrons-nous le caractère évidemment irrationnel des agressions militaires, des conflits nationaux et de l'intolérance raciale, qui sont autant de manifestations d'un manque d'imagination et de volonté?
La transformation implique que nous renoncions à l'indifférence pour manifester notre compassion aux victimes de la pauvreté et de l'injustice sous toutes ses formes. En tant que communautés de foi et responsables religieux, nous devons imaginer et mettre en œuvre d'autres manières d'agir qui rejettent la violence et encouragent la paix. On se souviendra de notre époque à cause de tous ceux et celles qui se sont voués à la guérison et à la transformation de la communauté; notre monde sera modelé par ceux et celles qui croient en "ce qui convient à la paix" (Rm 14,19) et le recherchent.
Cette transformation est notre unique espoir de briser le cercle vicieux de la violence et de l'injustice - vicieux justement parce qu'il est le fruit du vice. La guerre et la paix constituent des manières opposées de résoudre les conflits et en fin de compte, elles résultent de nos choix.
Faire la paix est un choix de l'individu et des institutions, en même temps qu'un changement individuel et institutionnel, qui requiert lui aussi la metanoia - un changement d'orientations et de pratiques. Faire la paix nécessite un engagement et du courage; cet acte exige de nous la volonté de devenir des communautés transformatrices et de rechercher la justice, condition préalable de la transformation du monde.
La transformation, guérison de la terre
Au cours des deux dernières décennies, le Patriarcat œcuménique a fait de la sauvegarde de l'environnement naturel une priorité de son ministère spirituel et pastoral. La transformation du cœur et de la communauté est indissolublement liée à la guérison de la terre. La relation entre l'âme et son Créateur et les relations entre les humains impliquent inévitablement des relations équilibrées avec le monde de la nature.
Notre manière de nous traiter les uns les autres reflète notre manière de traiter notre planète, tout comme notre manière de réagir aux autres reflète notre respect pour l'air que nous respirons, l'eau que nous buvons et la nourriture que nous consommons. De même, la protection que nous accordons à notre environnement naturel révèle l'authenticité de notre prière et de notre culte.
En effet, chaque fois que nous limitons notre vie religieuse à nos seules préoccupations, nous négligeons la vocation prophétique de l'Eglise d'implorer Dieu et d'invoquer l'Esprit divin pour le renouveau de notre cosmos pollué. En fait, c'est le cosmos tout entier qui est l'espace dans lequel la transformation s'opère.
Quand nous sommes transformés par la grâce divine, nous pouvons vraiment reconnaître l'injustice dont nous sommes les acteurs et non seulement les observateurs passifs. Lorsque nous sommes touchés par la grâce de Dieu, nous pleurons sur la catastrophe que nous avons causée en ne partageant pas les ressources de notre planète.
C'est pourquoi, comme la transformation du cœur et de la communauté, la prise de conscience écologique découle aussi de la grâce de Dieu et exige la metanoia, changement d'habitudes et de styles de vie.
Paradoxalement, nous devenons plus conscients des conséquences de nos actes pour les autres et pour la création lorsque nous sommes disposés à renoncer à quelque chose. Car en vidant notre cœur de nos désirs égoïstes, nous y faisons de la place pour la grâce de Dieu. La théologie orthodoxe parle à ce propose de kenose de l'Esprit.
C'est pourquoi l'éthique ascétique est un élément essentiel de la spiritualité chrétienne orthodoxe: en apprenant à renoncer, nous apprenons peu à peu à donner; en apprenant à sacrifier, nous apprenons surtout à partager. Mais nos efforts de réconciliation et de transformation sont souvent entravés par notre refus de renoncer à nos habitudes bien ancrées d'individus ou d'institutions, par notre refus de renoncer soit à une consommation gaspilleuse soit à un nationalisme orgueilleux.
Une conception du monde transformée nous permet de distinguer la portée durable de nos manières d'être sur les autres, notamment sur le pauvre, image sacrée de Dieu, et sur notre environnement, empreinte silencieuse de Dieu.
(*) Sa Toute Sainteté Bartholomée Ier, archevêque de Constantinople, Nouvelle Rome, et patriarche oecuménique, "Premier parmi ses égaux", c'est-à-dire les primats chrétiens orthodoxes, est considéré comme le chef spirituel de quelque 250 millions de fidèles dans le monde entier. Ses efforts pour concilier l'écologie et la spiritualité lui ont valu le titre de "patriarche vert"; il est reconnu pour ses efforts incessants en vue de promouvoir le dialogue et la réconciliation entre les mondes chrétien, musulman et juif.
26/01/2006
Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)