Voici successivement les voeux formulés en ce début janvier 2014 par François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF) et par Etienne Lhermenault, président du Conseil national des Évangéliques de France (CNEF).
Vœux de la Fédération Protestante de France Maison du Protestantisme
9 janvier 2014
François Clavairoly
Mesdames et Messieurs les représentants des Cultes, Chers amis membres de la Fédération,
Et vous tous nos partenaires,
Monsieur le Premier Ministre,
C’est avec une grande joie que je vous adresse ces mots de salutations et de bienvenue à la Maison du Protestantisme, au nom de la Fédération protestante de France et de chacun de ses membres présents ici-même dans le salon Boegner, du nom de l’un de nos pasteurs qui aura tant marqué secrètement l’histoire de ce pays.
C’est aussi avec une certaine gravité que je veux saluer à travers votre présence parmi nous la présence de la République, une présence qui nous honore et qui rappelle avec clarté combien l’autorité de la République est une réalité dont le protestantisme français reconnait la valeur et la promesse. La valeur, qui s’exprime notamment dans sa devise résonant à nos oreilles protestantes affutées comme les mots même de l’évangile, liberté, égalité, fraternité, et la promesse qui évoque l’horizon d’un vivre ensemble enfin réconcilié. Si je commence ainsi mon propos avec quelque accent de solennité, c’est sans aucun doute parce que je ne suis pas coutumier de tels discours, vous le comprendrez aisément. Mais c’est aussi, pour être plus sérieux, parce que la situation m’y oblige, en quelque sorte. Et voici pourquoi :
C’est qu’au moment où notre pays traverse des temps difficiles, au moment où beaucoup de nos contemporains éprouvent ce sentiment désagréable du désarroi, devant les mutations et les crises, et qu’ils sont bousculés par les remises en questions des choses qu’ils croyaient à tort sans doute inamovibles ou intouchables, je veux exprimer devant vous, en forme de vœux, l’expression de notre conviction que je résumerai par trois mots: la confiance, la responsabilité et la persévérance.
Monsieur le Premier Ministre, devant le désarroi, les protestants choisissent la confiance. Et ils acceptent l’avenir non pas comme une menace mais comme le lieu d’une promesse encore inaccomplie à laquelle ils seront associés, la promesse d’une vie partagée où le plus vulnérable est accueilli et non pas humilié, où celui qui n’est pas attendu est pourtant reçu, soigné, relevé. C’est le sens de leurs engagements par l’action sociale, caritative et solidaire. Ils comptent sur le soutien de la République qui est ici l’affaire de tous et de vous en particulier, dans l’intérêt général.
Devant les discours qui, parfois caché derrière le paravent de l’humour ou de la pensée politique, distillent la haine, encouragent le dénigrement systématique d’autrui et des institutions de ce pays, et finalement versent méchamment, comme par hasard, dans le racisme et l’antisémitisme, les protestants protestent et contestent. Je veux vous le dire aujourd’hui sans hésitation aucune, en présence des représentants de la communauté juive que je salue fraternellement.
Citoyens de ce monde et de ce pays, les protestants ne sont pas particulièrement les bons élèves de la République comme on pourrait le croire ou le dire, pour ajouter qu’ils seraient sages et ne feraient pas entendre parler d’eux. Car ils restent vigilants et sentinelles. Et ils disent leur étonnement et leur déception quand la République n’est pas celle qu’ils veulent construire. Facilement alertés quand le plus petit, le minoritaire, l’étranger ou le plus fragile est menacé, ils agissent. Et ils comptent être entendus et clairement soutenus par vous dans leur action auprès de ces personnes.
Deuxièmement, devant la tentation de la démission et de la dérision qui dégrade la valeur même du politique, les protestants choisissent la responsabilité. Ils votent. Avant cela, ils délibèrent, et Dieu sait si leurs délibérations sont agitées et nombreuses. Mais ils votent. Et ils comptent que les responsables politiques qu’ils élisent soient dignes de leur confiance. Il y a là une exigence de réciprocité qui honore la démocratie.
Ils lisent aussi les projets de loi, notamment le projet de loi ESS, suivent l’actualité et s’intéressent à ce que le cadre la loi 1905, notamment, ne soit pas lui aussi dégradé, ce qui serait un comble, alors même qu’ils sont pratiquement les seuls dans ce pays -quelle situation étrange- à l’utiliser pour l’expression de leur culte.
Ils choisissent la responsabilité quand il faut représenter les communautés chrétiennes naissantes, issues de l’immigration principalement francophone, ou les nouvelles Eglises qui peinent à trouver leur place dans le corps social et dans la commune, et ont du mal à comprendre qu’elles puissent encore se laisser soupçonner par l’administration d’être des sectes alors qu’elles sont aussi des lieux symboliques forts d’intégration et de socialisation, y compris avec leurs fragilités et leurs maladresses.
Ils réfléchissent aux sujets d’éthique contemporains, sans hystériser le débat, vous l’avez heureusement remarqué, dernièrement, mais en le nourrissant de réflexions et de voix avisées. Le protestantisme est une ressource citoyenne riche et non pas une menace pour la société. A cet égard, une contribution de la Fédération sur la question de la fin de vie sera diffusée lundi. Et d’autres sujets encore nous attendent, pour 2014.
Et tenant ce propos, soudain, je mesure combien l’état d’esprit dans notre pays a évolué en quelques années, combien le mot même de religion ou de confession a été maltraité, où l’on est passé d’une France assez tranquillement catho-laïque (qui ne nous convenait pas d’ailleurs) à une France enfin délibérément multiconfessionnelle mais où la laïcité s’est alors sentie tellement menacée devant ce foisonnement, qu’elle en est devenue elle-même vulnérable et poreuse à la tentation intégriste. Je forme le vœu que la laïcité reste le cadre de notre vivre ensemble, comme l’écrivait Paul Ricoeur, et qu’elle garde la main avec une tranquille assurance pour que l’espace public soit réellement celui de l’échange, de la confrontation des idées et des convictions au lieu d’être compris comme un lieu risqué qu’il faudrait maintenir neutre, contrôler ou pire préserver de tout débat.
Car si les citoyens qui sont aussi des hommes et des femmes structurés par des convictions et éprouvés par des doutes, forgés par des traditions et modelés par des usages, élevés par des spiritualités et des pensées, ne peuvent pas débattre ensemble, alors oui, nous guette le ghetto, le communautarisme et le repli sur soi. La cité, autrement dit la commune, est, et elle doit demeurer le lieu privilégié où se vit et s’expérimente ce qui nous est commun, pour que nous puissions communiquer à défaut de communier.
Ne faisons pas de la commune le lieu d’exclusions et de fractures confessionnelles en plus d’autres fractures tout aussi douloureuses, mais le lieu d’une fraternité apaisée.
Et puis, je veux terminer par la persévérance. La persévérance partagée. Non pas l’obstination de celui qui, seul contre tous veut avoir raison, mais celui qui avec foi veut partager ses raisons et grandir avec les autres, ancré dans le réel et tendu vers l’avenir. Car foi et raison comme des sœurs, dialoguent, s’enrichissent et se saluent mutuellement.
Devant les désirs inavoués d’abandon et de renoncement intellectuel et militant, les protestants choisissent donc la persévérance. Ici, mais aussi au loin, dans les difficultés.
A Bangui, pour la paix, en lien avec les musulmans et les autres chrétiens, l’imam, le prêtre et le pasteur ensemble, à Haïti, malgré toutes les raisons de baisser les bras dans un pays dévasté où nous avons des solidarités, au Moyen Orient où les chrétiens sont victimes et réfugiés comme tant d’autres. Notre service de mission suit la situation de près.
Dans les hôpitaux, de même, où meurt le malade à qui l’aumônier lui- même tient la main, se vit la question de la persévérance dans l’accompagnement. Et nous sommes reconnaissants que les instances de gouvernance du système de santé cherchent à pérenniser un partenariat renforcé avec les cultes et donc aussi avec la FPF au sein de ces établissements.
Persévérance encore, quand devant la difficile question de la peine et de la prison, il faut pourtant se réjouir qu’un projet de loi ose envisager que la peine, précisément, ne rime plus forcément avec incarcération, dans une perspective qui ouvre d’autres possibilités pour la société que le tout sécuritaire dont on voit l’impasse, avec des prisons qui sont pleines mais vide de sens. Comment ne pas envisager enfin avec sagesse que la justice puisse être aussi restaurative et réparatrice et non plus seulement punitive.
Citoyen de ce pays et en même temps citoyen du Royaume qui vient, ou, pour adapter cette formule en un langage contemporain, citoyen
de la République française et citoyen de la République des cieux, possédant légitimement en quelque sorte cette double citoyenneté, le protestantisme multicolore de ce pays, qu’il soit évangélique baptiste, luthérien, réformé, pentecôtiste, qu’il soit cévenol ou Douala, alsacien ou Coréen, poitevin ou marocain, un protestantisme ni clandestin, donc, ni hautain, il se veut fournisseur de sens et de questions vives.
Confiant, responsable et persévérant, il proteste publiquement de sa foi, c’est-à-dire qu’il conteste l’injustice et atteste en même temps d’un pardon et d’une promesse irréfragable sur toute vie humaine, et donc sur la nôtre.
Que ces vœux se réalisent, et ce sera une bénédiction, pour vous, vous que notre prière accompagne, notre prière au nom du Christ, dans l’exercice de l’autorité qui est la vôtre, et pour vous tous et toutes qui êtes venus ce soir, mes amis, fidèles et proches, et nouveaux venus, connus et à connaitre. Vous tous que je salue, frères et sœurs, représentants des cultes et des autorités de ce pays. Vous les acteurs engagés de la Fédération protestante de France, les présidents d’Eglise et d’œuvre, ainsi que tous les responsables. Mais je m’arrête ici, car alors se terminerait l’allocution et commencerait une prédication ou une objurgation !
Je vous remercie de votre attention et de votre patiente écoute.
En guise de conclusion, un geste, ce cadeau qui vous placera peut- être devant un abîme de perplexité: c’est l’encyclopédie du protestantisme.
*******
Lettre du CNEF
aux responsables d’Églises et oeuvres du CNEF
Bagneux le 14 janvier 2013
LIBRE DE LE DIRE
2014 devrait être, pour le Conseil national des évangéliques de France, l’année de la liberté de conscience et d’expression.
Ce qui nous conduit à envisager de communiquer sur cette question, c’est l’analyse que nous faisons de l’évolution de la société. De la remise en cause du mariage dans ses fondements au désir d’ouvrir la voie au suicide assisté en passant par la propagation de l’idéologie du genre, tout est l’occasion de propos sévèrement critiques à l’égard d’autres convictions, surtout si elles sont religieuses.
A entendre les nouveaux moralistes, il n’y aurait de valables et d’acceptables que les opinions soi-disant libres de tout déterminisme, c’est-à-dire conformes à un idéal laïque largement revisité. Outre qu’une telle idolâtrie de la liberté est une autre forme de déterminisme, elle porte en elle des germes liberticides que nous ne pouvons ignorer. Dans cette perspective, la laïcité quitte le terrain juridique de mode de régulation des relations entre les Églises et l’État et de garantie du libre exercice des cultes pour aborder celui des convictions avec pour mission d’imposer ses choix à tous1. Les tenants de ce nouvel ordre « religieux » - car c’est bien de cela qu’il s’agit - voudraient que les croyants renoncent à ce que leur foi ait la moindre implication dans leurs choix éthiques et dans leur vie de tous les jours, ni témoignage jugé comme scandaleusement prosélyte, ni prise de position envisagée comme terriblement « réactionnaire », ni objection de conscience considérée comme outrageusement déplacée. La liberté de culte se réduirait alors au droit de célébrer Dieu dans nos foyers et entre les quatre murs de nos églises (quand encore les municipalités veulent bien accepter leur érection !), mais passerait par profits et pertes la liberté d’expression qui lui est pourtant indissociable. En effet que deviendrait une liberté de culte sans liberté d’expression sinon un décor en trompe-l’œil où tout semble présent mais rien n’est réel !
Parce que nous estimons que ces acquis formidables et pourtant si fragiles de notre civilisation sont aujourd’hui malmenés, nous voulons alerter les décideurs de la nation et informer le public sur la question. Et parce que nous croyons que la liberté d’expression n’est pas seulement une question de droit au sens juridique, mais aussi une question d’obéissance à l’ordre du Seigneur, nous voulons poursuivre notre œuvre de témoignage et d’implantation de nouvelles Églises évangéliques.
Mes vœux pour 2014, c’est que chacun de nous reste libre de dire à tout homme que « l’Évangile est une puissance pour le salut de quiconque croit » et use de cette liberté !
Étienne LHERMENAULT
1. Lire l’excellente tribune de Jean Baubérot, "La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres", Réforme n° 3539 du 5 décembre 2013.
FPF / CNEF / EEMNI