COE: entretien avec l’archevêque Anastase de Tinana et de toute l’Albananie, un des présidents du COE

 "IL EST SCANDALEUX POUR DES CHRÉTIENS DE RESTER ISOLÉS"


Par Stephen Webb et Yannick Provost (*)


L'expérience ecclésiale et œcuménique de l'Archevêque Anastase de Tirana, chef de l'Eglise orthodoxe autocéphale d'Albanie s'étend sur tous les continents depuis près de quarante ans. Envoyé pour la première fois en Albanie en 1991, il a su conduire cette Eglise moribonde à un extraordinaire renouveau. L'Eglise orthodoxe constitue la communauté chrétienne la plus importante dans ce pays majoritairement musulman. En 1967, sous le régime communiste, toute pratique religieuse était formellement interdite dans ce pays de 3,7 millions d'habitants. Mgr Anastase découvrit à son arrivée 1600 églises fermées ou détruites et seulement 22 prêtres âgés survivants sur les 440 qui servaient l'Eglise en Albanie avant l'instauration du régime communiste. Depuis lors, l'Archevêque Anastase a déployé des efforts considérables pour faire renaître la vie de l'Eglise, baptisant des milliers de personnes, reconstruisant les églises, les monastères, mais aussi des écoles, des hôpitaux et des centres pour les jeunes.


De 1984 à 1991, Mgr Anastase a été le président de la commission de mission et d'évangélisation du COE (Conseil œcuménique des Eglises) ; entre 1981 et 1990, il a été archevêque d'Afrique de l'Est, développant et organisant l'activité missionnaire dans cette région ; et de 1983 à 1986, doyen de la faculté de théologie de l'université d'Athènes: Théologien de renom et spécialiste de la mission, l'Archevêque Anastase est professeur de l'université d'Athènes et membre honoraire de l'Académie d'Athènes, il a reçu plus de 15 doctorats honoris causa de différentes universités en Europe et aux Etats-Unis.



Comment et à quelle époque vous êtes-vous impliqué dans le mouvement œcuménique, et quel a été votre premier contact avec le COE?


C'est à la demande du Synode de l'Eglise de Grèce que j'ai été envoyé en 1963 à la conférence de Mexico sur la mission et l'évangélisation, ensuite, je me suis très vite impliqué dans le travail œcuménique au niveau international.


Après l'assemblée du COE en 1983 à Vancouver, j'ai été élu président de la commission de mission et d'évangélisation du COE, et j'ai eu à travailler sur le thème "que ta volonté soit faite: en mission sur le chemin du Christ". Je pense que c'est ce thème qui a confirmé mon engagement, et qui a aussi orienté ma vie spirituelle et mon travail.


Comment voyez-vous la situation actuelle du mouvement œcuménique?


Je pense que nous sommes dans une période de transition. Il me semble clair que le mouvement œcuménique n'est ni une institution ni un bâtiment stable... il ressemble plus à une rivière. Une rivière s'écoule dans des environnements différents, depuis sa source elle traverse toutes sortes de paysages, mais cette belle rivière est toujours utile et irrigue tout son environnement.


Nous parlons souvent de crises, de difficultés et de déceptions. Malgré cela, je considère que le mouvement œcuménique constitue quelque chose de très important pour chacun d'entre nous. Nous devons réfléchir ensemble, parler ensemble et agir ensemble, et aussi parfois nous quereller, sans pour autant laisser des intérêts personnels ou séculiers venir polluer la rivière.


Comment voyez-vous votre rôle de président du COE?


Comme président, mon rôle est de participer aux prises de décisions et de soutenir les orientations du Conseil, de faire partager mes riches expériences des décennies passées, de contribuer aux discussions sur la situation actuelle et d'essayer d'être prévoyant afin de faire face aux problèmes à venir.


A l'extérieur du Conseil, mon travail consiste à promouvoir l'œcuménisme et à expliquer le travail du Conseil. Quand on parle d'expliquer les activités du Conseil, cela implique qu'il faut connaître les deux langues: celle propre au COE et celle que le monde extérieur comprendra.


En ce qui concerne plus particulièrement les Eglises orthodoxes, il s'agit pour moi de les aider à comprendre la responsabilité qui est la leur vis-à-vis du monde chrétien, de ne pas rester isolés dans leurs propres communautés. Nous devons affirmer notre existence en tant qu'Eglise orthodoxe comme partie vivante du monde moderne dans lequel nous vivons.


Avec les autres Eglises, mon rôle consiste plutôt à rendre cohérent notre témoignage orthodoxe et à montrer ce que nous pouvons apporter dans les projets du COE. Je pense en particulier que notre spiritualité et à notre vision de la foi et du témoignage de l'Eglise peuvent constituer un apport spécifique de l'Eglise orthodoxe au mouvement œcuménique.


Pouvez vous nous dire quelques mots sur la situation actuelle en Albanie?


L'Albanie est un pays très particulier. Ce fut le seul état dans lequel toute religion a été complètement hors la loi pendant 23 ans. La génération actuelle porte encore les marques de cette époque. Grâce à Dieu, la liberté religieuse est maintenant totale. L'Eglise orthodoxe est repartie de rien, du chaos. Mais maintenant nous avons une Eglise très vivante et vivifiante. Nous essayons aussi d'avoir des activités dans le domaine social, dans celui de la santé, de l'éducation, du développement agricole, de la culture et de l'environnement.


Nous ne constituons pas une communauté fermée sur elle-même, mais nous faisons partager aux autres ce que nous sommes. L'Eglise orthodoxe en Albanie n'est pas majoritaire, mais elle a une présence forte dans notre société. Nous avons de bonnes relations avec les autres communautés religieuses, y compris avec les musulmans qui sont majoritaires. Je pense que nous avons les meilleures relations entre communautés de tous les Balkans.


Ce n'est pas suffisant de parle de coexistence, il faut parler de coopération. Et les différentes religions doivent se regrouper en période de crise. Pendant la crise au Kosovo, quand les réfugiés ont commencé à affluer en Albanie, tous étaient musulmans, nous avons voulu être avec ceux qui souffrent et partager leurs difficultés. Nous avons fait appel aux organisations œcuméniques, et il y a eu une très bonne mobilisation. Travaillant avec une organisation proche du COE, ACT (Action of Churches Together) nous avons pu apporter de l'aide à plus de 33 000 personnes. Ce n'était pas seulement un symbole, mais une décision très importante pour l'ensemble des Balkans.


En Albanie, nous insistons sur le fait que nous ne voulons pas que le champ religieux soit récupéré par des forces obscures, nous devons utiliser la religion pour guérir les blessures et rendre les cœurs plus humains.


Comme président du COE, quel message voulez vous transmettre aux Eglises?


Je n'aime pas trop parler de message, mais plutôt de faire partager mes préoccupations, parce que je suis aussi une personne active dans une Eglise locale très concrète. Nous devons toujours nous exprimer avec amour, respect et humilité, soutenus par la prière. Ma première préoccupation est de faire comprendre que nous devons être et demeurer ensemble. Tout isolement voulu serait une grande faute et même un péché. Il est scandaleux pour des chrétiens de rester isolés.


Nous ne devons pas laisser les problèmes fondamentaux aux mains d'acteurs extérieurs. Par exemple, dans le passé, nous avons laissé la question des droits humains, de la justice sociale ou de l'attention aux plus démunis à d'autres courants de pensée. Maintenant, ce serait une faute grave de laisser ces questions aux mains d'autres courants, religieux ou non, alors que nous chrétiens serions associés à ceux qui détiennent le pouvoir, restant indifférents à l'injustice, à la pauvreté et à l'absence de dignité pour certains.


Nous devons être participants et co-acteurs lorsque la grâce de Dieu est à l'œuvre pour transformer le monde. Nous devons accepter ce rôle. Pour nous chrétiens, en tant que membres de l'Eglise, notre responsabilité première est sans doute d'être vraiment ce que nous prétendons être: le corps vivant du Christ. L'Eglise doit être une matrice de liberté pour tous, et le peuple chrétien créatif, responsable, plein d'amour et d'énergie.



(*) Stephen Webb est responsable des médias pour un synode de l'Eglise unie d'Australie.

Yannick Provost, orthodoxe, est responsable des publications au Conseil œcuménique des Eglises


14/09/2006

Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)