Oecuménisme : le pasteur Gilles Daudé s’interroge sur les conséquences réelles du document romain sur le dialogue oecuménique

 Faut-il vraiment se décourager?


Après le Motu proprio réhabilitant la messe en latin, la Congrégation pour la doctrine de la foi a publié le 10 juillet un second document : Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine sur l'Eglise. Ce texte a soulevé un certain nombre de réactions dans les églises protestantes et orthodoxes. Avec le recul, Gill Daudé, responsable du service oecuménique de la FPF, s'interroge dans les colonnes du Bulletin d’information protestante (BIP N°1654) sur les conséquences réelles du document romain sur le dialogue oecuménique. 


Si l'on peut se demander à quoi il servira en interne, le document catholique prend le risque de décourager les acteurs oecuméniques, on l'a assez dit. Mais je me demande s'il aura quelque effet. Au moins pour deux raisons.


La première, c'est que, dans ses affirmations les plus radicales, il ne correspond pas au vécu de bien des chrétiens, qu'ils soient oecuméniquement engagés ou qu'ils aient été confrontés par la force des choses au brassage des populations et des confessions.


Ils savent que les Églises protestantes (pour ne parler que d'elles) ne sont pas que vide ecclésial sans consistance (ce que dit aussi le document), que leurs ministères ne sont pas rien, que leur cène-eucharistie représente quelque chose, qu'ils s'inscrivent eux aussi dans la continuité de l'Église du Christ... Et cela même lorsque les formes sont différentes, et même si les protestants se plaisent à forcer leurs traits de minoritaires pour exprimer leur identité en miroir d'un catholicisme majoritaire, surtout lorsque s'y affirment ses tendances exclusivistes.


À titre d'exemple, un philosophe me disait sa difficulté avec la prétention romaine à détenir la vérité de manière exclusive obligeant ses interlocuteurs alors facilement accusés de relativisme, à se démarquer en définissant autrement leur rapport à la Vérité... qui ne se résume pas au relativisme pour autant! On pourrait en dire autant en ecclésiologie et autres sujets théologiques.


L'expérience de terrain va donc plus loin que ce texte: le dialogue, la prière et les engagements communs nous ont sortis des préjugés exclusifs.


Ainsi, la démonstration se fait « naturellement» que l'insistance de ce document sur la pleine identité de l'Église du Christ avec l'Église catholique, n'est pas en prise avec le réel de nos vies ecclésiales.


On peut même penser, si l'on est optimiste, que ceux qui pourraient se réjouir d'un tel recentrage, fatigués un jour du bétonnage de leur identité, finiront bien par découvrir qu'ils ne sont pas les seuls fidèles dans le monde de la foi.


La seconde raison pour laquelle ce document ne me paraît pas tenir, c'est qu'il semble ne pas coller avec la démarche plus équilibrée du Concile. Il semble que l'intention majoritaire des Pères était au dialogue, non à la crispation identitaire. On ne peut guère l'effacer d'un trait de plume.


Trois exemples de débats qui ont présidé à l'élaboration des textes conciliaires (Nous nous appuyons sur les témoignages d'Hébert Roux, observateur français au Concile pour le compte de l'Alliance réformée mondiale, sur notre travail au comité mixte luthéroréformé/catholique. Voir aussi Hervé Legrand, « Quelques réflexions ecclésiologiques sur l'Histoire du Concile Vatican II)) de G. Alberigo, Revue de Science philosophique et théologique, 2006/3 p 495.) :


a- on a cru que Vatican II portait un jugement de foi (donc définitif) lorsqu'il disait que le ministère des Églises de la Réforme comportait un « defectus », d'où il s'ensuivrait qu'elles sont privées de la substance de l'Eucharistie puisque ce ministère y préside. Outre le fait qu'on a traduit par « absence» alors qu'il signifie « manque» (pourquoi ?), le texte français a traduit ut credamus par« nous croyons que ces Églises n'ont pas conservé la substance propre et intégrale du ministère...(Décret sur l'oecuménisme Unitatis Redintegratio 22) ». Or les rapports des débats conciliaires montrent qu'il s'agit au contraire d'une opinion ouverte au débat, et non d'une position de foi arrêtée d'avance. Le §22 du décret sur l'oecuménisme conclut d'ailleurs à la nécessité du dialogue comme les rapports du débat (Acta Synodalis III,2,335) le précisent: leur volonté de signifier (dans leur eucharistie) leur pleine communion avec le Christ et d'annoncer la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne, ces éléments positifs doivent servir de fondement au dialogue.


b- de même avec l'expression « communauté ecclésiale ». Loin d'être un déni du caractère d'Église aux Églises protestantes, le rapport du débat préalable au vote montre qu'il s'agissait bien de donner un caractère ecclésial à ces communautés considérées jusque là comme de simples agrégats d'individus. Plus que cela, dit le rapport des débats, l'unique Église du Christ y est présente, quoique imparfaitement, un peu à la manière dont elle l'est dans les Églises particulières (=les diocèses) et elle y agit d'une certaine manière selon ces éléments ecclésiaux (Ibid. III,2,335 5). Ce dont on trouve l'écho dans l'encyclique Ut unum sint de Jean Paul II que reprend le dernier document de la Congrégation pour la doctrine de la Foi.


c- Enfin (mais ceci est plus connu), les actes synodaux qui retranscrivent les débats, permettent d'établir qu'on a bien recours à l'expression subsistit in sur l'intervention spéciale du cardinal Lienart qui refusait le verbe « être». Pour éviter l'identité exclusive entre l'Église du Christ et l'Eglise catholique et ouvrir au dialogue. Le débat fut vif entre ceux qui voulaient revenir au « est » et ceux qui voulaient « que ne soit pas diminuée l'ecclésialité des autres Églises ». Mais la ligne fut maintenue. Le vote est sans ambiguïté: 1903 voix contre 17. La volonté de dialogue a largement prévalu, avec toutefois, comme point de départ, la conscience d'être en substance l'Église du Christ, mais sans exclusive... on est sur le fil du rasoir. 

C'est sur ce fondement-là que les dialogues théologiques entre nos Églises se sont engagés, et cela correspond à l'expérience des chrétiens engagés sur le terrain. Le nouveau texte, s'il n'annonce rien de nouveau, donne cependant le sentiment d'accentuer, jusqu'aux limites de la cassure, l'écart entre, d'un côté une volonté réelle de dialogue, et de l'autre, un resserrement de l'identification de l'Église du Christ à l'Église catholique.


Aux nombreux courriers qu'il a reçus, le cardinal Kasper, président du Conseil Pontifical pour l'unité des chrétiens, a répondu en réaffirmant la volonté de dialogue, notamment sur nos divergences quant à la définition de l'Eglise, car c'est de cela qu'il s'agit.


Reste que l'on pourrait réactiver entre nos Églises la méthodologie du Concile, c'est-à-dire consulter les partenaires oecuméniques avant nos déclarations et décisions, ou tout au moins tenir compte des multiples dialogues oecuméniques sur le sujet. C'est donc sur ces deux axes (l’expérience de terrain et les possibilités de dialogue que le Concile donne à cette Église) que nous poursuivons nos engagements avec l'Église catholique et le débat théologique sur la Nature et la mission de l'Église(Dernier texte du COE, Foi et Constitution, auquel participe l'Église catholique).


Gill Daudé


PS. On peut trouver d'autres éléments d'analyse sur les pages web du service oecuménique, notamment des extraits de textes des théologiens Jean Bosc et Hébert Roux. 

Source: BIP N°1654