OE: conditions de vie difficiles pour les migrants après l’accord entre l’UE et la Turquie

Par Albin Hillert*

Depuis l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie sur les réfugiés, le 20 mars 2016, les îles grecques ont connu de nouveaux changements. Sur ces îles où les réfugiés sont arrivés nombreux au cours des dernières années, et où toute une communauté de travailleurs humanitaires et de bénévoles locaux, nationaux et internationaux avait été mobilisée, la situation est désormais complètement différente.

Mi-avril, le Conseil œcuménique des Églises (COE) s’est rendu sur les îles de Samos et de Chios pour rencontrer les travailleurs humanitaires de l’International Orthodox Christian Charities (IOCC, œuvres caritatives orthodoxes internationales) et d’Apostoli, l’association caritative de l’Église de Grèce, afin d’en savoir plus sur les nouvelles réalités et la situation des réfugiés sur les îles grecques.

Les Églises, premières à intervenir

Fotis Vlachos, coordinateur du programme d’aide aux réfugiés pour l’IOCC-Apostoli, décrit la situation ainsi: «nous traversons une période très délicate. On estime que la Grèce accueille plus de 50 000 réfugiés, et personne ne sait comment les choses vont évoluer. Nous ignorons si l’accord entre l’UE et la Turquie sera maintenu, et dans un avenir proche, tout peut arriver.»

M. Vlachos explique que les autorités de l’UE ont adopté une approche très stricte que l’on pourrait résumer ainsi: tant que l’on ne sait pas qui sont les réfugiés, ils doivent rester dans des centres, les fameux «hotspots», pour être identifiés et enregistrés. Toutefois, nos discussions avec différents intervenants montrent clairement que ces hotspots sont en fait des centres de détention pour une période indéterminée.

«Lorsque les réfugiés ont commencé à débarquer sur les îles grecques, les Églises et les fidèles locaux ont été les premiers à intervenir, raconte Foteini Koutsotheodorou, responsable de projet à Samos. Ils ont apporté aux réfugiés de la nourriture, des vêtements et d’autres formes d’aide.»

Alexandros Briasoulis, responsable de projet à Chios, ajoute: «sur notre île aussi, les Églises locales ont rapidement proposé leur aide lorsque les réfugiés sont arrivés. Mais elles se battent également au quotidien pour aider les Grecs qui vivent dans la pauvreté en raison des difficultés financières qu’a connues le pays», précise-t-il.

L’accord UE-Turquie: un changement radical de la situation

«Depuis l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie, presque tous les bénévoles et toutes les organisations non gouvernementales ont quitté les îles pour protester contre le traitement sévère infligé aux réfugiés, explique Mme Koutsotheodorou. Auparavant, on voyait des réfugiés dans les rues, ici à Samos, et sur le port. À présent, ils sont tous enfermés dans un centre.»

Elle souligne que l’IOCC-Apostoli entretient de bonnes relations avec les autorités et a toujours accès aux centres pour apporter de l’aide aux réfugiés, même si la situation reste complexe.

Interrogée sur les bénévoles qui sont restés, Mme Koutsotheodorou explique qu’«ils peuvent entrer dans les centres, mais doivent faire très attention à ce que leur sécurité soit garantie.»

M. Vlachos ajoute: «cela change tous les jours. Lorsqu’il y a eu des tensions à l’intérieur du centre, on ne nous laisse pas entrer. Les jours où tout est calme, les agents de police qui gèrent les lieux nous autorisent à pénétrer dans le camp.»

«Il y a peu, les réfugiés étaient tellement révoltés contre leurs conditions de vie, qu’ils se sont échappés du centre de Samos, raconte Mme Koutsotheodorou. Mais qu’ont-ils fait? Ils sont allés acheter de la nourriture dans les magasins locaux, ils ont joué avec leurs enfants dans un espace ouvert, et la nuit tombée, ils sont retournés au camp pour se reposer et dormir.»

Observer le centre de Samos

En tant qu’employés du COE, nous ne sommes pas autorisés à entrer dans le centre de Samos pendant notre visite, mais nous pouvons prendre des photos de l’extérieur, tant que personne n’y est identifiable. On nous informe que la situation est très sensible et que des émeutes peuvent éclater si les réfugiés pensent avoir affaire à des journalistes, car beaucoup d’entre eux souhaitent raconter leur histoire, et montrer au monde entier la dure réalité de l’endroit où ils vivent.

Pendant que nous observons le centre, à l’extérieur, nous rencontrons des bénévoles restés sur l’île pour aider les réfugiés de différentes façons. Jan Henrik Swahn, un bénévole suédois, raconte: «nous préparons et distribuons gratuitement des sandwichs aux réfugiés depuis plusieurs mois, mais depuis sa création, le centre est totalement fermé, et on ne sait pas quoi faire.»

«Il semble que l’UE ait décidé que les réfugiés devaient rester enfermés, sans liberté de circulation. En attendant une décision sur leur réinstallation, ils ne peuvent pas sortir du camp», ajoute M. Swahn.

Jenny Graham, une bénévole irlandaise, vit la situation de la même façon. «Ce camp fermé est une honte, s’écrie-t-elle. Toutefois, si les réfugiés sont à l’intérieur, je me dois d’être là.»

Les difficultés d’aujourd’hui et de demain pour l’IOCC-Apostoli

«Actuellement, l’une de nos missions, qui s’avère complexe, est de convaincre les réfugiés que la meilleure chose à faire est de demander l’asile ici, en Grèce. Ainsi, ils auront la possibilité de démarrer rapidement une nouvelle vie», explique M. Vlachos.

«Toutefois, nous constatons qu’après avoir déposé leur demande d’asile, les réfugiés peuvent rester un à trois mois dans ces camps avant d’être réinstallées», ajoute-t-il.

«Le problème est que ces centres n’ont pas été conçus pour l’accueil de longue durée, mais pour un hébergement de survie de quelques jours, le temps que l’enregistrement soit effectué, poursuit M. Vlachos. Lorsque vous restez dans un camp pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, la quantité de nourriture se révèle insuffisante, et le manque d’information devient une source de frustration.»

À Chios, la situation est encore plus complexe, affirme Alexandros Briasoulis. L’île héberge actuellement un centre fermé, le camp de Vial, et un centre ouvert, le camp de Souda, où les réfugiés peuvent se déplacer librement. Après sa création, le camp de Vial s’est retrouvé tellement surpeuplé que les agents de police locaux ont dû ouvrir les portes, et n’avaient tout simplement pas la capacité de maintenir tous les réfugiés au même endroit.

En outre, «à Chios, la communauté locale insiste pour qu’il n’existe aucun camp fermé sur l’île, précise M. Briasoulis. Ici, beaucoup de familles sont arrivées de Turquie il y a deux ou trois générations seulement. La population défend donc vigoureusement la liberté de circulation des réfugiés.»

«Aujourd’hui, le problème est que personne ne sait comment la situation va évoluer, ajoute M. Briasoulis. Les réfugiés sont très peu informés, et les travailleurs humanitaires disposent de peu de renseignements.»

Toutefois, pour M. Vlachos, «il est clair que l’approche et la présence à long terme de l’IOCC et d’Apostoli sur ces îles portent leur fruit, et qu’une partie de l’aide destinée aux réfugiés leur parvient. Il s’agit désormais de connaître les besoins des réfugiés, et de savoir comment ceux-ci ont changé avec l’évolution de la situation politique.»

«En fin de compte, le problème n’est pas tant la situation sur les îles grecques et dans les camps de réfugiés que ce qu’il se passera ensuite, lorsque les personnes auront été réinstallés et que nous devrons les intégrer à la société», conclut-il.


21 avril 2016



COE