France, Paris: il y a une poussée évangélique selon Réforme

Les évangéliques ont un poids grandissant dans le protestantisme français,; qui le fait remarquer? L’hebdomadaire protestant Réforme dans sa récente édition. Leur influence s’étend aussi au sein de la Fédération protestante de France (FPF); la FPF va-t-elle du coup changer d’identité? Cette question est d’autant plus pertinente que les évangéliques mettent sur pied leur propre structure de rassemblement, le CNEF (Conseil national des évangéliques en France). Bernadette SAUVAGET de la rédaction de Réforme analyse cette évolution en cours.


.....Le protestantisme évangélique, en France comme ailleurs dans le monde, a le vent en poupe, bouleversant les équilibres traditionnels, notamment à l’intérieur même de la Fédération protestante. « Le monde évangélique et pentecôtiste a grandi de manière considérable dans la société française depuis le milieu du XXe siècle, reconnaît volontiers Jean-Arnold de Clermont. Il y représente 40 à 45 % des protestants.» 


Actuellement, la frange la plus dynamique de ce nouveau protestantisme est constituée par les Eglises « ethniques», reflet à leur manière de la mondialisation. En France, il existerait environ 300 Eglises afro-chrétiennes, le plus souvent pentecôtisantes. A Paris intra-muros, les communautés chinoises et coréennes créent, elles aussi, leurs paroisses électives. Ces Eglises « ethniques » font preuve d’une réelle vitalité. Il n’est pas rare que les cultes afro-chrétiens rassemblent entre trois cents et quatre cents personnes par assemblée, tandis que les paroisses luthéro-réformées peinent, elles, à enrayer leur déclin. 


Tournant historique 


Parallèlement à cet essor sur le terrain, les évangéliques ont entrepris depuis 2001 des efforts pour se regrouper et ont constitué le Conseil national des évangéliques en France (CNEF). Un tournant presque historique… 


Ce projet, porté notamment par Stéphane Lauzet, secrétaire général de l’Alliance évangélique française (AEF), signe la grande réconciliation au sein du protestantisme évangélique français, hier très divisé. La Fédération évangélique de France et les Assemblées de Dieu (ADD), pentecôtistes, furent longtemps des frères ennemis. La première a toujours affiché un farouche antipentecôtisme qui avait de quoi refroidir sérieusement la seconde. A sa stricte confession de foi, la Fédération évangélique de France avait ajouté, en 1981, un complément où elle développe ses vues sur le Saint-Esprit, rejetant de la sorte toute Eglise charismatique ou pentecôtiste. Celles-ci sont allées, ces dernières années, frapper à la porte de la Fédération protestante de France. Sans qu’il soit là question de théologie, les relations entre la Fédération évangélique de France et l’Alliance évangélique française n’étaient pas non plus excellentes. Lors des premières réunions – qui ont donné naissance au Conseil national des évangéliques en France –, chacun a donc fait repentance et a demandé pardon à l’autre… 


La nouvelle identité de la FPF


Qu’est-ce qui a permis de réunir les anciens rivaux autour d’une même table ? L’équipe dirigeante de la Fédération évangélique de France a été renouvelée, permettant une reprise de contacts. Le protestantisme évangélique, une nébuleuse où chaque Eglise est très sourcilleuse de son indépendance, a aussi pris conscience de son éparpillement et de son manque de visibilité. « Quand le Conseil national des évangéliques en France a démarré, plus de 60 % des évangéliques n’étaient ni à la Fédération protestante de France, ni à la Fédération évangélique de France, ni à l’Alliance évangélique française », souligne Stéphane Lauzet. Le chantier est important car les évangéliques suscitent dans l’opinion publique doutes et suspicions, tant pour des problèmes supposés de dérives sectaires que de fondamentalisme. 


Si le Conseil national des évangéliques en France tient ses promesses, sa création pourrait bouleverser la donne. Pour la Fédération protestante et, plus généralement, pour le protestantisme français. A la FPF, qui compte déjà dans ses rangs l’Armée du Salut ou la Mission évangélique tsigane (100 000 fidèles), la ligne officielle est celle de l’ouverture en direction des évangéliques. De fait, ils ont un poids de plus en plus important sur l’instance de la rue de Clichy. Actuellement, les discussions se poursuivent pour une adhésion des Assemblées de Dieu (environ 50 000 fidèles), et cinq autres fédérations d’Eglises (adventistes et mouvance pentecôtiste), admises en mars dernier, sont en période de probation avant une intégration définitive prévue en mars 2004. En coulisses, ce choix suscite bien quelques réserves. Mais cette politique a été voulue et soutenue, entre autres, par l’actuel président. Après l’élection en février de Dany Hameau à la tête de la Fédération évangélique de France, une rencontre – c’était aussi une première – a eu lieu avec Jean-Arnold de Clermont. 


Ces derniers mois, la Fédération protestante est aussi montée au créneau à plusieurs reprises pour défendre la mouvance évangélique. Elle est intervenue auprès des pouvoirs publics lorsque les caisses d’allocations familiales ont fait des difficultés pour accorder des bons-vacances finançant des séjours. La FPF a aussi fait entendre sa désapprobation quand Le Nouvel Observateur a publié un dossier sur les protestants évangéliques, les présentant comme la secte qui veut conquérir le monde. Il y a même eu un déjeuner d’explication, rue de Clichy, entre la direction de la rédaction du Nouvel Observateur et des représentants du protestantisme français. 


Le poids grandissant des évangéliques, opposés à l’avortement et le plus souvent conservateurs sur les questions de société, va-t-il infléchir les choix de la FPF, qui a longtemps incarné un christianisme ouvert et libéral, voire la paralyser ? « Le centre de gravité de la FPF a déjà bougé. Le texte qu’elle a publié, en 1999, sur le Pacs en est l’illustration», estime une source interne. L’instance de la rue de Clichy y développait une riche argumentation mais ne prenait pas réellement position. «Sur un certain nombre de questions éthiques, il n’y a pas d’accord généralisé au sein de la société française. La FPF peut être le reflet de tous ces débats», avance, de son côté, Jean-Arnold de Clermont. 


La recomposition du protestantisme français va entraîner certainement une redéfinition de l’identité de la Fédération protestante de France. « Elle sera de plus en plus un lieu de débats internes au protestantisme », parie un pasteur. Reste à voir quel rôle voudra jouer, de son côté, le Conseil national des évangéliques en France (CNEF) et les relations qui se noueront entre les deux structures. Le CNEF sera-t-il une FPF bis? Pour le moment, ses pères fondateurs n’en ont clairement pas la même vision.

Source: Réforme