Thomas F. Best (*)
Bien que le mot, au premier abord, ne dise pas grand-chose à la plupart des gens, l'ecclésiologie occupe une place centrale dans chaque communauté chrétienne. Les réponses données aux questions ecclésiologiques par les Eglises influencent la vie quotidienne des fidèles et déterminent la quête de l'unité des chrétiens.
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Georges et Anne, jeunes parents, se posent la question: "Allons-nous demander que notre petite fille soit baptisée, ou devrions-nous attendre et la laisser décider elle-même si elle veut faire partie de l'Eglise?"
Ruth accompagne son amie Irène à l'église. Ruth ne peut pas participer à l'eucharistie parce que son Eglise et celle de Irène ne sont pas en communion. "Je ne comprends pas bien, dit-elle, puisque nous partageons le même baptême en Christ, pourquoi ne pouvons-nous pas communier ensemble?"
Sans peut-être en avoir conscience, ces chrétiens posent des questions ecclésiologiques, des questions qui touchent à ce qu’est l'Eglise et pour quoi elle existe dans le monde.
Pour parler simplement, l'ecclésiologie recouvre la conception qu'une Eglise a d'elle-même, sa manière d'organiser sa vie et ses rapports avec les autres Eglises. L'ecclésiologie concerne aussi les limites d'une Eglise: quelles sont les croyances ou les attitudes qui font qu'une personne se trouve à l’intérieur ou en dehors de cette Eglise?
Le mouvement œcuménique repose sur des convictions ecclésiologiques: la première, c’est que l'unité des Eglises en Christ est plus forte que toutes les différences de croyance et toutes les tragédies historiques qui les séparent; la seconde, c’est que l'unité voulue par le Christ doit être à la fois visible et réelle (Jean 17,20-21).
C'est pourquoi, chaque fois qu'il y a des divisions entre les Eglises - lorsqu'elles ne peuvent pas célébrer leur culte ensemble, ni partager la communion, lorsqu'elles ne reconnaissent pas réciproquement leurs ministères ou que leur témoignage et leur service communs dans le monde sont entravés - ce sont des questions ecclésiologiques qui se posent, auxquelles il convient de donner des réponses ecclésiologiques.
> Un peu d'histoire
Il n'est donc pas surprenant que le mouvement œcuménique se soit trouvé confronté à des questions d'ecclésiologie dès ses débuts.
Lorsque les Eglises ont cherché une base commune pour leur confession, leur témoignage et leur service, elles ont commencé par pratiquer une "ecclésiologie comparée". Chaque Eglise a exposé ses convictions et on a relevé les similitudes et les différences pour en faire la base de la compréhension mutuelle.
C'est là l'origine de la fameuse Déclaration de Toronto, formulée en 1950, qui souligne que le Conseil œcuménique des Eglises (COE) doit être le lieu où des ecclésiologies différentes, voire divergentes, peuvent se rencontrer en vue du dialogue et de la collaboration dans la mission et le service.
Par la suite, on est passé à la méthode dite "de convergence", qui représentait un véritable bouleversement: l'ecclésiologie comparée a pris pour références non seulement le passé et le présent mais aussi l'avenir. Dès lors, les discussions visaient à faire en sorte que les Eglises, à l'avenir, s'efforcent de se rapprocher plutôt que de continuer à s'éloigner.
Pour ce faire, il fallait donner une nouvelle profondeur au dialogue. Il ne suffisait plus de relever les différences - baptême des enfants ou des adultes, ordination des femmes au ministère de la parole et des sacrements -, il s'agissait de discerner à quel moment les différences étaient devenues des divisions, de recenser les causes de celles-ci et de s'efforcer ensemble de les surmonter.
Au seuil d'un changement radical
Nous oublions quelle évolution fondamentale le mouvement œcuménique moderne représente: des Eglises qui, pendant 100, 500 ou 1000 ans, ont vécu et célébré leur culte séparément tendent à le faire désormais ensemble, et cette tendance est toujours plus marquée et irréversible.
Cela a modifié la conception que bien des Eglises ont d'elles-mêmes: elles se considèrent réellement comme une partie du corps du Christ, comme de véritables Eglises en elles-mêmes mais incomplètes sans les autres Eglises. C'est ainsi que l'expérience commune des Eglises est devenue la "matière première" de l'ecclésiologie.
Cela ne va pas sans conséquences! Nous pourrions bien nous trouver au seuil d'un autre changement, le plus radical de tous: le passage à une ecclésiologie - conception fondamentale de l'Eglise et de sa mission - élaborée par les Eglises ensemble plutôt que chacune pour elle-même.
Une telle ecclésiologie partirait du fait que les Eglises sont une en Christ, plutôt que de le considérer comme le but à atteindre. Elle s'inspirerait largement du vécu de chaque Eglise, mais aussi de l'expérience œcuménique des Eglises, acquise par leur confession, leur témoignage et (si possible) leur culte communs, accomplis ensemble plutôt que séparément.
Cette ecclésiologie obligerait aussi chaque Eglise à se poser un certain nombre de questions: la conception que nous avons de nous-mêmes favorise-t-elle l'unité de l'Eglise? Quelle part de notre ecclésiologie a été élaborée pour justifier et maintenir notre séparation avec les autres Eglises? Comment rendons-nous l'unité qui est la nôtre plus visible et plus réelle?
A Porto Alegre, en février 2006, la 9e Assemblée du Conseil œcuménique des Eglises s’est attaquée à la tâche difficile de mettre au point une déclaration sur l'ecclésiologie. ...
Ce n'est pas par hasard qu'il soit intitulé "Invitation aux Eglises", car il les appelle à un dialogue nouveau et approfondi. Il les appelle à être l'Eglise une, à rendre visible dans l'Esprit l'unité que Dieu leur a donnée en Christ. Et en plus, il les met au défi d'affronter ouvertement leurs divisions, de les nommer et de travailler à les surmonter.
> Faire ce qu'il faut
Il y a quelques années, on m'a raconté une histoire qui montre bien pourquoi l'ecclésiologie - la conception que chaque Eglise a d'elle-même et de ses rapports avec les autres Eglises - est si importante pour les chrétiens, pour les Eglises et pour le mouvement œcuménique.
C'est l'histoire d'une vieille paroissienne dont le village avait reçu une aide alimentaire de la part du prêtre du village voisin pendant une disette. Lorsque celle-ci fut passée, elle se partit pour le village voisin afin de remercier les habitants de leur générosité.
Mais lorsqu'elle se rendit à l'église desservie par le prêtre pour le saluer et le remercier personnellement, elle ne put pas participer à la communion, parce que son Eglise et celle du prêtre n'étaient pas d'accord sur certains sujets. La femme alla alors trouver son évêque et lui posa la question suivante: "Comment pouvons-nous partager la nourriture matérielle qui nous empêche de mourir de faim, mais pas la nourriture spirituelle que le Christ lui-même nous offre? Je pense que lorsque le Christ reviendra, il nous nourrira de ses mains - car c'est cela qu'il faut faire!"
L'ecclésiologie consiste, pour les Eglises, à "faire ce qu'il faut", à vivre "comme il faut", à être l'Eglise une qui confesse, prie, témoigne et sert ensemble et d'un seul cœur.
(*) Le pasteur Thomas F. Best, de l'Eglise chrétienne (Disciples du Christ) [Etats-Unis], est directeur de la Commission de Foi et constitution du COE.
02/11/2005
Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)