Irlande du Nord, Belfast: vivre avec le terrorisme, l'Irlande du Nord tire la leçon

Beryl Kelly connaît tous les aspects du prix humain des "dommages collatéraux". Il y a 15 ans, cette laïque méthodiste a été victime d'une embuscade au moment où elle sortait sa voiture du garage pour une sortie en famille. L'explosion toute proche d'un bazooka déchira son oreille interne, la laissant inconsciente et ensanglantée. Des années plus tard, elle est toujours traitée pour des douleurs croissantes et des problèmes d'ouïe.


Mais Kelly n'était nullement visée. Le groupe paramilitaire irlandais républicain IRA voulait s'en prendre à une cible "militaire", à savoir des soldats de l'armée britannique en patrouille. Kelly est devenue ce qu'on appelle quelques fois "des dommages collatéraux", une civile qui a eu le malheur d'être au mauvais endroit et au mauvais moment.


Malgré cela et d'autres expériences vécues le long de Springfield Road, une rue explosive de Belfast, Kelly a résisté à l'amertume qui a poussé de nombreux protestants à partir ou à se tourner contre leurs voisins catholiques. Selon cette mère de cinq enfants, ses voisins sont un don du ciel, pas des ennemis.


"Lorsqu'une bombe artisanale explosait ou lorsqu'il y avait des incidents devant ma maison, mes voisins faisaient passer mes enfants par-dessus la haie du fond et les mettaient à coucher dans leurs maisons", raconte-t-elle. "Mes enfants aimaient cela parce qu'ils dormaient dans des lits superposés".


Si vous demandez à Kelly quelles leçons elle a apprises au cours des 30 et quelques années d'"Evénements" marqués par le terrorisme et la violence, elle n'hésite pas une seconde.


"La clé de tout, c'est de nous aider les uns les autres", a-t-elle déclaré au Service de presse évangélique méthodiste. "Nous n'avons jamais demandé qui était catholique ou protestant. Nous voyions simplement un besoin et nous y répondions".


Au cours des dernières trois décennies, près de 4'000 personnes ont été tuées dans ce conflit qui a opposé les catholiques aux protestants d'Irlande du Nord et a vu se multiplier les groupes paramilitaires ou terroristes des deux côtés de la ligne de démarcation religieuse. Un fragile processus de paix tente de déplacer le conflit du terrain militaire à celui des solutions politiques. Mais le terrorisme continue à faire partie de la vie quotidienne en Irlande du Nord. 


"Si seulement nous avions écouté il y a 30 ans", se dit le pasteur Harold Good, président de la Conférence méthodiste irlandaise et membre de la Commission des droits humains d'Irlande du Nord. "Même les meilleures personnes de nos églises ont dit qu'il n'y avait qu'à y aller en force et mettre de l'ordre. Mais ce n'est pas si simple. … Nous avons appris qu'il n'y a pas de solution militaire à notre problème”


Brendan Bradley, un catholique, a perdu un frère plus jeune, une soeur plus âgée, un oncle, un neveu et un cousin, victimes des Evénements, tués par des gens appartenant à toutes les parties au conflit. Bradley passe maintenant le plus clair de son temps au Centre pour les survivants de traumatismes, qu'il a contribué à créer à Belfast-Nord. A l'extérieur du centre, on entend fréquemment les hélicoptères de surveillance de la police scrutant une des zones de tout Belfast les plus marquées par la violence. A l'intérieur, le centre offre toutes sortes de services, de l'écoute et des conseils entre quatre yeux à des programmes post-scolaires pour les enfants du voisinage.


Alors que Bradley s'asseyait pour aider un garçon de 8 ans qui s'escrimait sur un devoir de mathématiques, il nous expliqua que deux réponses fausses ne donnent jamais une réponse juste. Quand il s'agit du terrorisme, un peu de "juste" et beaucoup de "faux" s'additionnent pour donner une justice qui coûte très cher. 


En 1975, quelques jours après le meurtre de son frère Francis, âgé de 17 ans, on a informé Bradley de ce que deux personnes seraient tuées pour venger la mort de Francis. "J'ai dit que je ne voulais pas de ça, mais on m'a dit que ce n'est pas à moi d'en décider”


Evoquant les attaques terroristes aux USA, Bradley dit qu'il comprend pourquoi les Américains se doivent de répondre au défi. Mais il espère aussi que les erreurs et les souffrances des catholiques et des protestants d'Irlande du Nord serviront d'avertissement contre une réaction motivée par la vengeance.


"La vengeance ne sert à rien. Que vous faut-il pour vous sentir mieux? Dix cadavres? Deux cents cadavres? Deux mille? Un pays entier? Où voulez-vous mettre de l'ordre? C'est comme l'alcoolisme."


Pour les méthodistes et pour beaucoup d'autres Irlandais, la communauté interconfessionnelle de Corrymeela et son organisation-soeur, le Réseau médiation, ont fourni une contribution très précieuse quant à la manière de résoudre des conflits. Doug Baker, un Américain travaillant pour le réseau, dit que les terroristes qui ont attaqué les Etats-Unis doivent rendre des comptes, mais qu'il faut aussi les comprendre.


"Rien ne justifie cette [attaque contre les USA], mais il y a des choses qui pourraient aider à comprendre. … Si vous voulez débarrasser le monde du terrorisme, consacrez un maximum d'énergie à éliminer les facteurs qui le motivent, plutôt que de simplement investir dans des mécanismes destinés à le prévenir".


Trevor Williams, qui est à la tête de Corrymeela, est même plus direct. "Quand Paul nous a dit d'aimer nos ennemis, ce n'était pas seulement bon pour eux; c'était aussi bon pour nous".


Williams déclare que ceux qui peuvent nous en apprendre le plus sur nous-mêmes sont nos ennemis. "En tant que protestant, j'ai besoin des catholiques pour m'aider à comprendre qui je suis. ... J'ai besoin qu'il me disent pourquoi ils sont fâchés contre moi".


Dans la partie Est de Belfast, les chantiers navals qui naguère procuraient du travail sont maintenant silencieux. L'intérêt pour les paramilitaires protestants y est grand. Le pasteur Gary Mason est responsable de la Mission de Belfast-Est. Sa paroisse méthodiste n'est pas seulement un lieu où l'on s'assemble pour le culte; c'est aussi une oeuvre missionnaire qui offre aux gens des services d'aide à la recherche d'emplois, à la jeunesse, aux familles et à la communauté de tout le secteur. 


Ici, le slogan de Williams d'"aimer vos ennemis" resterait en travers de la gorge de tous ceux qui se sentent abandonnés et isolés. Mason rappelle qu'après les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone, on se mit à réfléchir dans sa paroisse.


"Les gens ont regardé les images venant des Etats-Unis et ont dit: 'Nous ne voulons pas finir comme cela'". Mais il note avec regret que cet état d'esprit n'a pas duré, dans un endroit où la violence a été la norme pendant tant d'années.


Pas loin de l'église de Mason, un haut-gradé de l'une des milices paramilitaires protestantes a déclaré au Service de presse évangélique méthodiste qu'il "ne pouvait en croire ses yeux" quand il a vu ce qui se passait à New York. "Je suis profondément choqué par ce type de terrorisme".


Il conseille aux Américains d'engager une action militaire qui, par la force des choses, sera sans pitié et cruelle.


"Il faut combattre la terreur par la terreur", dit-il. Puis il ajoute: "Vous ne pouvez pas vaincre un terroriste. Ce sera une longue guerre - il y aura beaucoup de souffrance".


Relevant qu'au sein sa propre petite communauté, il y a des vues très différentes sur la manière de résoudre les conflits, Mason a appris qu'un futur pacifique se construit en développant une relation à la fois. Son conseil au peuple américain est de commencer à bâtir des passerelles de compréhension mutuelle entre les gens au sein leurs propres communautés.


"Amenez des médiateurs dans vos églises; mettez des chrétiens et des musulmans ensemble; qu'ils s'écoutent les uns les autres, qu'ils entendent leurs histoires, leurs souffrances respectives… En fin de compte, ce qui est nécessaire, c'est un processus d'écoute et d'apprentissage"


Le besoin de l'écoute et d'une réflexion critique n'a pas grandi facilement dans un milieu où chaque mort suscite plus de guerre encore pour le venger. Le pasteur et théologien méthodiste Johnston McMaster, de l'Ecole oecuménique irlandaise, a décrit ce processus comme étant très douloureux, quelque chose que seules trois décennies de violence ont finalement conduit les Irlandais à entreprendre.


"Il faut beaucoup de temps pour s'engager dans un processus de réflexion critique - et certains se sentent plus à l'aise en vivant avec les vieux stéréotypes", explique-t-il. ”Je n'approuve pas le mal, mais nous devons nous demander ce qui pousse un jeune homme en colère à poser une bombe ou à lancer un avion sur un immeuble".


Bertie Laverty est une catholique que son propre processus de réflexion critique a conduite à mettre un visage humain sur les protestants qu'auparavant, elle ne voyait que comme "l'ennemi". Laverty est la coordinatrice du projet Quatrième printemps, un centre communautaire conjoint catholique-protestant. L'église méthodiste de Springfield, où le centre est installé, est l'un des quatre partenaires oecuméniques du projet.


Laverty n'avait jamais rencontré un protestant avant d'entrer à l'université. Dans le quartier exclusivement catholique où elle a grandi, il était habituel que la police houspille et batte les jeunes hommes et même son propre père. Elle reconnaît que si elle avait été un garçon, elle aurait rejoint les rangs de l'IRA. Elle se souvient: "Quand un policier était tué, mes amies et moi organisions une fête".


Elle passe maintenant ses journées à lancer des ponts entre les communautés séparées de Belfast-Ouest. Elle a des catholiques et des protestants pour amis. Récemment, elle a découvert que la femme d'un de ses amis protestants avait été tuée, il y a plusieurs années, par une bombe posée par des terroristes républicains. A l'époque, dit-elle, les protestants étaient des gens dont je ne me souciais guère. 


Laverty dit qu'elle voit maintenant les choses d'un oeil différent. Bien qu'elle comprenne ce qui pousse au terrorisme certains membres de la communauté catholique nationaliste, elle ne l'approuve pas. Elle a, dans l'intervalle, trouvé sa place pour traiter les problèmes qui motivent le terrorisme; travailler sur une base individuelle avec des mères, des pères, des enfants et d'autres personnes qui vivent le long de Springlfield Road.


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*Kathleen LaCamera, l’auteur de l’article, est une correspondante basée en Angleterre du Service de presse évangélique méthodiste


4 octobre 2001

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