ENroute, fin de vie, faim d’espérance: (3) Régis Teissonnière

 Régis Teissonnière, directeur de la Maison de Retraite de Valleraugues (30), répond aux questions de Colette Guiot.


Chaque année se déroule sous l'égide des Nations Unies une semaine des personnes âgées. Le thème retenu cette année porte sur le rôle important que les personnes âgées jouent dans les familles, la communauté et la société.


1 Selon Koffi Annan, les personnes âgées sont la valeur ajoutée du monde en devenir. Partagez-vous son analyse?


Comme le dit Koffi Annan au travers de certains de ses propos, les personnes âgées sont la valeur ajoutée au monde en devenir. En effet, de par leur participation active au sein de la société, elles apportent une valeur ajoutée en terme de civilisation et d’épanouissement sociétal. Au travers de leur vécu, heureux ou pas, les personnes âgées sont toujours actrices aujourd’hui comme hier. En ce sens elles sont à la fois porteuses de mémoire et force de proposition dans ce monde, dont nos concitoyens d’aujourd’hui doivent tenir compte quant à la part qui leur revient dans la construction de leur devenir.


2 Les personnes âgées souffrent souvent de stéréotypes périmés donnant d’elles l’image d’êtres fragiles, qui ont besoin de soins et d’affection. N'oublie-t-on pas trop vite que, bien souvent, loin d’en recevoir, ce sont les personnes âgées qui prodiguent soins et attention aux autres, tels ces grands-parents qui s’occupent de leurs petits–enfants quand les parents sont partis travailler? Qu'observez-vous dans vos maisons de retraite?


Le vieillard, autrement dit la personne âgée, a bénéficié pendant de nombreux siècles d’une image positive, parfois même attendrissante car porteuse de sagesse. Depuis plusieurs décennies, c’est le coté négatif, autrement dit fragile, reflétant parfois la déchéance de l’être humain, qui a primé dans les réflexions. Je crois qu’il est grand temps de revenir au juste équilibre redonnant à la personne âgée l’image qu’elle mérite, à savoir à la fois qu’elle est source de sagesse, d’affection, d’accompagnement, de soins, de solidarité, malgré les traces physiques et psychiques dues au labeur de la vie. Dans les institutions, parfois les personnes âgées sont capables de s’accompagner entre elles en fonction de leur état de dépendance. De même, elles savent recevoir et donner de l’affection envers leurs enfants ou petits-enfants quand les relations sont restaurées. Ce comportement se retrouve parfois envers le personnel appelé à les accompagner quotidiennement ou les visiteurs, par exemple, les enfants de l’école du village en visite au sein de la structure.


3 Même quand ils bénéficient d'une prise en charge permanente, vos résidents sont-ils capables de prodiguer des soins et des attentions aux autres?


Une personne âgée bénéficiaire d’une prise en charge permanente sait se rendre utile à certains moments de la journée. Par exemple, un résident, même très dépendant mais encore un peu lucide, peut sonner ou appeler le personnel si un autre résident glisse sur son fauteuil.


4 Jugez-vous suffisant le rôle des personnes âgées dans les familles, les communautés et la société? Que faire pour améliorer leur sort et favoriser leur épanouissement?


Il est certain que de nos jours, le rôle des personnes âgées n’est pas suffisant tant dans les familles, les communautés et la société. Même si certaines personnes âgées s’impliquent fortement dans leurs familles, au risque d’en être déstabilisées, la majorité d’entre elles n’a que peu ou pas la place qui lui revient, entraînant ainsi des formes de rejets de la part de l’entourage. La triste situation de l’été 2003 n’a fait que mettre en exergue un problème transversal quant au rôle des personnes âgées au sein des familles, des communautés et de la société. La prise en compte du vécu et du potentiel de ces personnes, parallèlement à leurs attentes d’aujourd’hui, implique une sensibilisation de tous les individus quant à la place attribuée aux vieux. Une réflexion suivie d’actions spécifiques doit redonner à la personne âgée le rôle qui lui est dû à tous les niveaux de la société. Les communautés chrétiennes ne peuvent pas faire l’économie d’une telle démarche, fondamentalement biblique.


5 Dans vos établissements, travaille-t-on à réduire le fossé entre les générations, à mettre en présence des personnes âgées des enfants? Met-on à l'écart ou met-on à contribution les anciennes et les nouvelles générations dans les maisons de retraite dans le souci de préserver le lien intergénérationnel?


Dans la Maison de Retraite Evangélique, le lien intergénérationnel fait partie intégrante du projet d’établissement. En ce qui concerne l’animation, de nombreux échanges avec les enfants de l’école sont périodiquement organisés soit sur la structure, soit sur le groupe scolaire. Cependant, le constat que je fais sur les générations de jeunes, lycéens ou étudiants n’est pas le même. Cette tranche de la population craint souvent de rencontrer des personnes âgées, surtout quand elles sont dépendantes. Est-ce par pudeur, crainte, ou par manque d’accompagnement de la part de leurs aînés ? Cette remarque vaut aussi pour de nombreux étudiants en théologie appelés à accompagner, dans leur ministère pastoral ultérieur, des personnes âgées valides ou dépendantes. Faut-il envisager au sein des œuvres chrétiennes davantage de stages propres à développer les liens intergénérationnels ? 


6 Votre souci majeur de directeur de maison de retraite, allier une gestion saine à l'accompagnement des personnes âgées empreint d'humanité?


En tant que directeur de maison de retraite, l’un de mes objectifs principaux est d’avoir une gestion saine de la structure, tant sur le plan financier que sur le plan humain. Cependant, gérer seulement en ne vouloir voir que des résultats mesurables peut paraître parfois utopique. En effet, l’accompagnement des personnes âgées dans une œuvre chrétienne demande aussi une dose d’humanité, tant envers les résidents ou leurs familles, qu’envers les personnels et les autres partenaires extérieurs. Cette part d’humanité, au demeurant peu quantifiable, se résume dans la transposition pratique de l’enseignement de Jésus-Christ au travers des relations humaines que tout un chacun est appelé à avoir en faisant cas de l’autre.


7 Le plus d'une maison de retraite chrétienne et méthodiste de surcroît


Sans vouloir s’enorgueillir du bien fondé des œuvres chrétiennes, je pense qu’une maison de retraite chrétienne (sans distinction d’appartenance) est appelée à apporter un plus dans l’accompagnement des personnes âgées durant tout leur séjour, en particulier en période de ce que l’on nomme la fin de vie. Cette dernière demande souvent, en plus des projets de soins thérapeutiques médicamenteux, une écoute, des échanges, une compassion active, une préparation paisible tant pour le résident que pour son entourage. Ceci dit, un encadrement chrétien engagé implique une équipe globalement adhérente aux valeurs fondatrices de l’institution, formulées dans la politique définies par le conseil d’administration. Cependant, tout œuvre chrétienne ne peut faire l’impasse d’une intercession fidèle et régulière de la part des adhérents et amis de l’association, ainsi que des communautés ou particuliers qui soutiennent de près ou de loin l’institution.


8 Votre attente des Eglises, un engagement bénévole accru?


En tant que directeur chrétien, ce que j’attends de l’Eglise, c’est qu’elle prenne d’abord conscience qu’elle est porteuse d’un message de solidarité, d’entraide et de salut envers tout individu. Ensuite qu’elle se lève et reprenne son engagement social en complément de son témoignage dans la cité et dans la société. Chaque chrétien doit être apte à donner à la fois des deux mains, à savoir le réconfort de la parole de vérité et le réconfort physique et matériel. Sans cette dualité, le témoignage chrétien resterait boiteux. Fort de cet engagement, chaque membre d’une communauté peut s’impliquer bénévolement dans une œuvre chrétienne, mettant ainsi ses capacités, ses dons, ses moyens au service du prochain dans un contexte social et médico-social, selon que le Saint-Esprit le lui mettra à coeur. N’oublions pas que l’histoire est là pour nous rappeler que de nombreuses œuvres sociales, caritatives et humanitaires sont issues de dénominations ou mouvements chrétiens.


N.B. Les mots « vieux ou vieillards » sont appelés à être restaurés dans leur sens initial


Propos recueillis par Colette Guiot

Source: EEMNI