TEMOIGNAGE DE DEUX RESPONSABLES ALGERIENS


Deux responsables d’églises en Algérie répondent à nos questions. Ils nous en disent plus sur la situation de l’Eglise aux lendemains de l’application de la loi religieuse sur les cultes non musulmans.

Cela fait plus de 6 mois que les autorités algériennes commencent à appliquer la loi religieuse sur les cultes non-musulmans. Par dizaines, des communautés chrétiennes se voient notifier surtout en Kabylie un avis de fermeture et à titre personnel divers chrétiens sont poursuivis à cause de leur foi. Ces persécutions affectent toutes les églises du pays, y compris l’église évangélique méthodiste. Ses délégués étaient présents à la Conférence annuelle ‘08 à Bâle à la fin juin. Deux responsables d’église nous en disent plus. Pour des raisons de sécurité, nous n’indiquons pas leurs noms et prénoms, juste leur initiale.

eemni : S. et A., Vous vivez un moment crucial dans votre pays : depuis le début de l’année s’applique une loi religieuse concernant les cultes non-musulmans en Algérie qui réduit considérablement votre marge de manoeuvre. Vos communautés respectives ont fait l’objet d’une fermeture en attendant leur homologation par les autorités. Je résume la situation...

A : Oui, en ce moment même, beaucoup de communautés ne fonctionnent pas, càd qu’elles n’organisent plus leur culte hebdomadaire à cause des notifications de fermeture envoyées par les services de la Préfecture, Sous-Préfectures et Commissariats. Les autorités surveillent étroitement les communautés, celles qui travaillent, celles qui ne travaillent pas. Voilà, maintenant nous n’en savons pas plus.

eemni : Et parallèlement, vous déposez les statuts de vos communautés respectives espérant obtenir incessamment sous peu cette fameuse autorisation d’exister au grand jour ?

S : Oui, c’est notre véritable espoir en Dieu, c’est vrai. Pour notre communauté, il m’a fallu courir 18 fois, 35 km à chaque fois, pour aller à la Préfecture. A la 18e fois, la Direction régionale administrative a accepté le dépôt du dossier mais nous a prévenus que le dossier serait transmis au Ministère des Affaires religieuses à Alger.

A : Les autorités ont demandé aux communautés de cesser leurs activités, de se régulariser, mais jamais jusqu’ici les autorités n’ont donné de direction claire sur le processus de régularisation à suivre, puisqu’il n’y a actuellement aucun service sur le territoire national habilité à procurer ce genre d’autorisation.

S : J’ajoute qu’on nous a laissé entendre que cela dépassait les compétences de la Préfecture.

eemni : On peut craindre, on peut même redouter des réactions négatives de la part des autorités ? Vous ne tirez pas cette conclusion aujourd’hui ?

A : Si l’Algérie était un pays isolé, les services de répression auraient déjà commencé leur travail. La proximité de l’Algérie avec l’Europe et en plus la vitesse de circulation de l’information freinent l’Etat algérien à faire usage de moyens de répression comme il en a l’habitude.

eemni : On a bien compris votre attitude et le choix des communautés méthodistes, à savoir le respect des autorités ; vous entreprenez diverses démarches dans l’espoir d’être reconnus de la part des autorités ; il y a aussi chez vous plus ferme que jamais la volonté de vivre votre foi dans ce pays, dans le respect de la culture, de la religion dominante, dans le respect des personnes ?

A : Oui, c’est vrai, nous n’avons jamais cherché à cultiver l’aggressivité ; en règle générale, sur les lieux mêmes où nos communautés se réunissent, nous entretenons d’excellentes relations avec la population.

eemni : D’un côté, il y a les autorités et leurs dispositions qui compromettent la vie au quotidien de chaque communauté chrétienne et de l’autre il y a la perception de la population. Vos voisins, qu’est-ce qu’ils en disent ? Comment le vivent-ils ? Jettent-ils sur vous un regard suspicieux ou au contraire vous respectent-ils ?

S : La population est attachée aux chrétiens, mais la répression  et surtout le terrorisme ont installé un climat de peur et de crainte. La peur et la crainte demeurent toujours dans le coeur des personnes. Mais si ces personnes en étaient libérées, l’évangélisation en Algérie, surtout en Kabylie, toucherait la majorité de la population.

eemni : Qu’est-ce que vous dites à ceux qui prétendent que vous l’avez cherché : “vous faites du prosélytisme” ?

A : Nous ne sommes pas plus prosélytes que Jésus, càd que nous répondons à ceux qui nous en font la demande. Si quelqu’un vient nous poser des questions sur les lieux de notre église, évidemment que nous n’allons pas nous cacher ; mais nous ne faisons pas de prosélytisme sur la voie publique.

eemni : Une chrétienne a été traduite devant un tribunal, pour seul motif qu’elle était chrétienne  Est-elle un cas isolé, la seule à qui est reprochée son passage de l’islam au christianisme ?

A : D’autres procès sont en cours pour les mêmes motifs. En fait, les autorités ont pour objectif de faire un barrage à ce souffle, à ce mouvement de l’Esprit. Elles s’en prennent à quelques uns, pensant décourager les autres. En fait, c’est le contraire qui est en train de se produire, parce qu’il y a un courant de sympathie qui est allé bien au-delà de nos frontières.

eemni : A ceux qui nous lisent, quel appel lanceriez-vous à ce jour ?  Que nous dites-vous, à nous qui vivons dans des pays plus aisés et libres ?

A : Je pense que les problèmes spirituels existant en Algérie ne sont pas inférieurs à ceux qui existent dans les pays d’Europe. Chaque pays a ses problèmes. J’espère aussi que les chrétiens de partout prendront conscience de l’enjeu de ce combat qui se joue chez nous et prendront leur responsabilité dans la prière, surtout dans la sensibilisation des communautés et des familles à tous les niveaux, je pense qu’il appartient à tout le corps du Christ de se mettre en mouvement.

Interview réalisée à Bâle le 29 juin 2008

eemni