Dans les colonnes du quotidien catholique la Croix, Elodie MAUROT rend compte de la conférence présentée, jeudi 2 mars, par le sociologue Sébastien Fath sur l’invitation de l’association des journalistes de l’information religieuse (AJIR). Pour le chercheur, les protestants évangéliques français connaissent une « relative prospérité ».
D’où vient ce regain d’intérêt pour les évangéliques français ? Pour Sébastien Fath, il s’explique par « la relative prospérité des Églises évangéliques qui surprend, étonne et attire les observateurs ». Alors que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les effectifs des autres Églises n’ont cessé de chuter, les Églises évangéliques, elles, sont passées de 50 000 membres à la fin des années 1940, à 350 000 membres aujourd’hui (400 000 si l’on inclut les Églises dites « ethniques » issues de l’immigration).
Mais encore faut-il savoir de quoi l’on parle quand on utilise le terme «évangélique». « Il ne s’agit pas d’une Église, mais d’une multiplicité d’Églises, de courants, de dénominations, voire de sectes », prévient Sébastien Fath, qui n’hésite pas à parler de « nébuleuse évangélique ». Le sociologue propose quatre critères pour définir ce courant : le biblicisme, le crucicentrisme, la conversion et l’engagement.
Le biblicisme rattache le courant évangélique à la grande famille du protestantisme, mais, spécificité évangélique, la centralité de la Bible s’accompagne d’une lecture normative du texte biblique. « La Bible est lue comme un “code de la route” qui dit comment croire et agir dans tous les domaines de la vie », souligne Sébastien Fath. Ce biblicisme s’accompagne d’une grande méfiance, voire d’un refus, des médiations critiques des sciences humaines.
Comment expliquer l’essor de ces Églises évangéliques en France ?
Autre caractéristique : le crucicentrisme. Dans les milieux évangéliques, la centralité de la croix s’accompagne d’une lecture sacrificielle de la mort de Jésus-Christ. Elle distingue nettement un « avant », marqué par le péché des hommes, d’un « après », marqué par la grâce. On retrouve cette césure temporelle dans les récits de conversion individuelle. L’ « après-conversion » est marquée par un fort engagement personnel dans des Églises dites « de professants ».
Bien que partageant ces grands traits, le courant évangélique français, né au début du XIXe siècle, reste marqué par la diversité et l’éclatement. Deux grandes familles se distinguent et rivalisent d’influence : la famille piétiste orthodoxe (150 000 membres) et la famille pentecôtiste charismatique (200 000 membres).
Les piétistes orthodoxes mettent l’accent sur la piété personnelle, la lecture de la Bible et la recherche de la perfection chrétienne. Ils se méfient du spectaculaire et du merveilleux, à la différence des pentecôtistes charismatiques qui insistent, eux, sur l’efficacité de l’agir divin et du Saint-Esprit, les miracles, le parler en langues et la prophétisation.
Une question reste posée : comment expliquer l’essor de ces Églises évangéliques en France, au pays de Descartes et de la sécularisation ?
Pour Sébastien Fath, plusieurs facteurs concourent à la relative prospérité des groupes évangéliques : l’accent mis sur l’efficacité de la foi dans le quotidien, le caractère festif de leurs cultes, l’importance et le soutien de la communauté, qui conduit certains observateurs à parler d’ « Églises providence ». S’y ajoute le cadre structurant et rassurant des normes prescrites et l’univers de certitudes créé par l’appartenance au groupe, qui attirent « pour le meilleur ou pour le pire », précise le chercheur.
Entre suradaptation à la modernité et rejet des valeurs modernes
Pourtant ce succès n’est pas sans cacher certaines fragilités, dont la vulnérabilité aux dérives sectaires. Celles-ci peuvent être de deux types : « la dérive de la communauté insulaire » où, dans la surenchère à la pureté et à la sainteté, la communauté se coupe du reste de la société, et « la dérive du leader charismatique autoritaire » qui finit par substituer sa parole à l’autorité de la Bible.
Ce vaste panorama laisse toutefois de nombreuses questions ouvertes, qui ont nourri le débat, jeudi dernier. Ainsi, que peut-on dire de l’origine et de la trajectoire des chrétiens évangéliques ? Si la géographie de l’évangélisme français montre qu’il s’est surtout implanté dans les régions du protestantisme historique (Gard, Ardèche, nord-est de la France), une étude plus fine permettrait de savoir si l’essor évangélique est une « histoire protestante » ou une forme de remise en cause de la sécularisation.
Les relations paradoxales des évangéliques avec la modernité mériteraient également une étude qualitative approfondie. Les Églises évangéliques oscillent en effet entre suradaptation à l’hypermodernité (utilisation des méthodes du marketing pour l’évangélisation, gestion démocratique des communautés, conception des cultes comme des shows musicaux) et rejet des valeurs modernes (refus de la libéralisation des mœurs, formes d’anti-intellectualisme et d’anti-rationalisme).
Finalement ce petit groupe, très minoritaire (0,5 % de la population française), a encore bien des secrets à livrer et son étude peut en dire beaucoup sur les recompositions contemporaines du religieux.
05-03-2006
Source: La Croix