La situation est assez dramatique en Argentine, nous écrit Etienne Rudolph, le gouvernement ne sait plus vraiment vers qui se tourner. Le ministre de l'économie a démissionné et il n'y a personne qui veut bien prendre sa place... Les prix grimpent de façon alarmante: chaque jour, ce sont plusieurs dizaines de centimes sur des produits de base. Les banques sont fermées depuis 6 jours, plusieurs stations d'essence n'ont plus de gasoil ni même d'essence... La situation est tendue, des manifestations ont lieu un peu partout, même là où nous habitons, avec des débordements malheureux... "Dieu se souvient-il de l'Argentine ?" entend-t-on ici et là... Et pourtant, il est plutôt nécessaire que les argentins se souviennent de Dieu... En partant de l'histoire d'Esaü et de son plat de lentilles, l'évêque émérite d'Argentine Etchgoyen précise le sens et l'enjeu de la grave crise que traverse l'Argentine.
"Un plat de lentilles"
Le récit biblique nous apprend qu'Esaü était le fils aîné d'Isaac. Un jour, il était revenu des champs fatigué et affamé. Son frère Jacob avait préparé un appétissant plat de lentilles. "Donne-moi à manger de cet excellent plat de lentilles parce que je suis très fatigué", l'a supplié son frère Esaü. La réponse n'a pas été celle attendue: "Vends-moi d'abord ton droit d'aînesse." Esaü avait le choix entre deux possibilités: mourir de faim ou continuer de jouir de son droit d'aînesse. Finalement il s'est décidé pour le plat de lentille et le bout de pain que lui proposait son frère. C'est comme cela qu'il a perdu ses droits.
Toutes proportions gardées, cette vieille histoire peut être comparée avec l'histoire de la dette extérieure de notre cher pays au cours des trois dernières décennies. Nos gouvernements successifs, commençant par un violent processus militaire, ont cédé peu à peu nos droits ainsi que nos libertés politiques en échange de plats de lentilles que nous accordait le FMI en guise de prêts. Le jeu s'est répété des dizaines de fois et aujourd'hui l'empire qui nous dirige et le pouvoir économique qui nous opprime ont décidé de dire: "Stop! On arrête de fournir des lentilles!... sauf s'ils obéissent au pied de la lettre à nos recommandations.·La faim et la marginalisation importent peu somme toute... nous vivons une époque où les droits de l'argent piétinent la vie..."
Au-delà d'être malheureuse aux yeux de la communauté internationale, notre histoire est très triste et douloureuse... et peut aussi être celle d'autres nations dépendantes. Chemin faisant, nous avons perdu, et nous ont été pris, nos droits économiques et sociaux ensemble avec notre liberté de décision. Nous savons que tout cela ne s'agit pas d'un "hasard historique" mais d'un plan élaboré et très bien exécuté de l'extérieur et de l'intérieur du pays, favorisé par la complicité et la corruption de beaucoup qui ont étalé et étalent encore leur pouvoir. Quand de telles choses arrivent, la marginalisation et la famine apparaissent.
Dans ce contexte, combien précieux sont les nombreux efforts solidaires mettant du pain dans les mains de tellement d'enfants pauvres! Quelle valeur a le travail d'environ 3 millions de personnes volontaires qui, dans tout le pays, mettent à disposition du temps et même de l'argent pour le service de tellement de personnes nécessiteuses...
Mais d'un autre côté, quelle indignation de voir que notre Congrès National doit obéir aux ordres de ceux qui s'affirment abusivement, et avec tant de violence, propriétaires des lentilles ! Combien la douleur est vive de voir le mur construit par les banques s'accaparant ainsi de l'argent appartenant au peuple! Quelle indignité qu'une fois de plus, notre gouvernement s'est fait utiliser par les mêmes oppresseurs pour punir un pays frère comme Cuba lui imposant un contrôle au sujet des Droits de l'Homme, alors que ces mêmes oppresseurs ne sont pas disposés à accepter ces mêmes contrôles chez eux!
Les connaisseurs et experts en économie et politique pourront toujours indiquer le chemin de la sortie de la crise, qui sera certainement long, mais quel que soit ce chemin, s'il n'est pas consolidé par la vérité, la justice et l'éthique, il ne mènera nulle part.
Pendant ce temps, nous en sommes là, sans droits et sans lentilles...
Aldo M. Etchegoyen, Evêque Emérite de l'Eglise Méthodiste.
Buenos Aires, 22 avril 2002.
(Traduction : Etienne Rudolph)
Source: EEMNI