Ce jeudi 8 décembre, une délégation représentant le collectif "Place aux droits", conduite par le pasteur Jean-Paul Nunez, de la Cimade, a déposé entre les mains du secrétaire général du Conseil Constitutionnel, qui l'a enregistrée, une requête signée par 5219 citoyens et plus de 70 organisations et syndicats, demandant au Conseil Constitutionnel de déclarer inconstitutionnelle la loi du 18 novembre 2005 relative à l'état d'urgence.
Que dit cette requête ?
La France est un Etat de droit, qui ne cesse de se fissurer ! La vitrine a pourtant belle allure : sur les présentoirs, figure en bonne place un Conseil constitutionnel chargé de vérifier que les lois votées par le Parlement respectent les droits et libertés des citoyens.
Pour jouer son rôle, le Conseil constitutionnel doit évidemment être saisi. En l'état actuel du droit, seuls le Président de la République, les Présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat ou plus de 60 députés et sénateurs peuvent soumettre une loi à son contrôle. Or c'est bien ici que le bât blesse. Il y a quelques années, les parlementaires de la majorité et de l'opposition s'entendaient pour ne pas déférer devant le Conseil constitutionnel la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, malgré le caractère liberticide d'un grand nombre de sesdispositions. Récemment, le Garde des Sceaux Pascal Clément faisait part du risque d'inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi relative à la lutte contre la récidive. Qu'à cela ne tienne, le ministre tenait son "remède" : "il suffira pour [les parlementaires] de ne pas saisir le Conseil constitutionnel" a t-il déclaré dans des propos rapportés par la presse.
Doit on alors s'étonner que la loi du 18 novembre 2005, qui proroge l'état d'urgence pour une durée de trois mois, n'ait fait l'objet d'aucun recours devant le Conseil constitutionnel ? Dans l'esprit de nombreux élus et responsables politiques, le souci de consensus politique autour des thématiques sécuritaires, l'obsession de remporter les prochaines élections passent manifestement avant la garantie des droits des citoyens. La non saisine du juge constitutionnel tend à devenir une pratique qui s'enracine dangereusement dans le fonctionnement de l'Etat de droit.
Le respect scrupuleux des droits et libertés constitutionnels, qui s'impose aussi au législateur, constitue le socle du pacte républicain. Or la mise à l'écart du Conseil constitutionnel témoigne d'une dangereuse évolution. Rien ne doit plus faire obstacle au durcissement des politiques répressives et sécuritaires et surtout pas les droits des citoyens. Cette saisine citoyenne du Conseil constitutionnel contre la loi du 18 novembre 2005 prorogeant l'état d'urgence, qui n'a aucun fondement juridique, prend ici valeur de symbole. Elle témoigne de ce que nous n'entendons pas rester sans voix devant cette évolution, et voulons au contraire devenir des acteurs de la protection des droits et libertés en France. Elle appelle plus fondamentalement à une réforme des modes de saisine du Conseil constitutionnel, les carences du système actuel ne pouvant plus perdurer.
Sur l'inconstitutionnalité de la loi du 18 novembre 2005 prorogeant l'état d'urgence instauré par le décret du 8 novembre 2005.
L'état d'urgence est un régime d'exception utilisé jusqu'alors dans des situations exceptionnelles (Algérie en 1955 ou Nouvelle-Calédonie en 1985, (par exemple). Il donne des pouvoirs très étendus aux autorités investies d'une compétence en matière de police : pouvoir d'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixées par arrêté ; d'instituer par arrêté des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; d'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics ; d'ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans certaines zones ; d'interdire à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre ; d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ; de prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales.
L'instauration de l'état d'urgence est ainsi par nature et par principe très dangereuse pour l'exercice des libertés publiques. Or, pour être conformes à la Constitution, les atteintes portées à ces libertés doivent ne pas être disproportionnées et s'avérer comme strictement nécessaires au rétablissement de l'ordre public. La liberté est en effet la règle et les restrictions apportées à la liberté ne doivent rester que l'exception.
Malgré la nature des événements qui se sont déroulés ces dernières semaines, la situation n'était pas telle que la prorogation de l'état d'urgence constitue une nécessité impérieuse. La maîtrise des violences pouvait être garantie par l'exercice des pouvoirs ordinaires dévolus à la police administrative et ce d'autant plus que les violences, très localisées, décroissaient rapidement.
Pour D. de Villepin, la prorogation de l'état d'urgence constitue « une mesure de précaution » qui ne prendra fin que lorsque le calme « seradurablement rétabli ». De son côté, N. Sarkozy déclarait il y a quelques jours qu' « au nom de l'efficacité dans la restauration de la paix publique, il est sage, il est raisonnable d'envisager la prorogation de l'état d'urgence pour une période de trois mois ». « Précaution » qu'il peut être « raisonnable » de prendre, l'état d'urgence ne constitue plus une mesure strictement exceptionnelle dans l'esprit des responsables du gouvernement. Il est utilisé comme un mode normal de gestion des crises et violences urbaines, susceptible d'être demain étendu à l'ensemble des conflits sociaux et d'instaurer insidieusement un régime d'exception permanent.
Nous condamnons avec vigueur les atteintes inadmissibles portées à nos droits et libertés par la loi du 18 novembre 2005 et demandons au Conseil Constitutionnel d'en prononcer la censure intégrale."
8 décembre 2005
Source: Cimade