La préfecture de police fidjienne a rejeté mercredi la demande de manifestation présentée il y a quelques jours par l'influente église méthodiste fidjienne. Cette église était à l'origine d'une première manifestation anti-gay qui avait rassemblé plusieurs milliers de personnes dans la banlieue de la capitale Suva.
Depuis le début de l'année, le débat sur l'homosexualité s'est enflammé à Fidji, notamment à la suite du verdict, rendu par le tribunal administratif de Lyon (France), autorisant un citoyen fidjien d'origine indienne à résider dans ce pays.
Ce dernier, en situation irrégulière, avait contesté sa reconduite à la frontière en affirmant que s'il devait rentrer à Fidji, il serait victimes de persécutions homophobes.
Depuis, l'église méthodiste avait multiplié les déclarations homophobes, décriant les actes " contre nature " et en particulier le concept de mariage entre personnes du même sexe.
À Fidji, alors que la Constitution, dans sa dernière version de 1997, protège tout individu contre toute discrimination, notamment en raison de son " orientation sexuelle ", un article du Code Pénal datant de 1944 condamne toujours les " actes contre nature ".
Inoke Devo, préfet divisionnaire de la région Centre (où se trouve la capitale Suva) et habilité à délivrer les permis de manifester, a basé son refus sur le fait qu'une nouvelle manifestation homophobe (qui aurait dû avoir lieu le 19 novembre) ne ferait qu' " encourager la discrimination et la haine " contre la communauté gay et lesbienne de Fidji.
Par ailleurs, en début de semaine, Shaista Shameem, directrice de la Commission des Droits Humains de Fidji, avait annoncé son intention de poursuivre en justice l'église méthodiste si cette manifestation devait avoir lieu.
L'église méthodiste, pour sa part, a pour la première évoqué la possibilité d'engager un dialogue avec les représentants de la communauté homosexuelle de Fidji, regroupée autour d'une association des " minorités sexuelles ".
Carlos Perera, coordinateur de cette association, affirme quant à lui que la multiplication de ce genre de manifestations représentait un " danger " croissant pour cette communauté, qui pourrait bientôt, selon lui, être contrainte de se réfugier dans la quasi-clandestinité.
" Il y a deux, ils sont même allés jusqu'à faire publier une annonce dans un journal, dans laquelle ils estimaient que les homosexuels devraient être lapidés à mort ", a-t-il déclaré à Radio Australie.
Un débat passionné
Andrew Hughes, chef des forces de police de Fidji, a déclarait en septembre dernier que ses hommes ne consacreraient pas leur temps à se lancer à la poursuite des homosexuels, en vertu d'un article du Code Pénal (pénalisant la sodomie) supplanté depuis 1997 par la Constitution qui protège les individus contre toutes formes de discriminations, notamment en raison de leur " orientation sexuelle ".
En août, la Haute Cour fidjienne confirmait la prééminence de la Constitution, provoquant la colère du lobby religieux (dont l'influente église méthodiste fidjienne) qui condamne des actes jugés " contre nature ".
Cette église a depuis annoncé son intention d'organiser une " anti-Gay pride ", comme elle l'avait déjà fait en juin dernier, pour faire entendre son point de vue.
La communauté religieuse musulmane de Fidji a également condamné les actes homosexuels.
L'Australien Andrew Hughes a déclaré à la télévision nationale que ses hommes avaient " autre chose à faire que de gaspiller leurs ressources pour se lancer à la poursuite des homosexuels".
" De plus, être homosexuel, ça n'est pas un délit en soi ", a-t-il ajouté, en nuançant toutefois : " Nous pouvons procéder à une interpellation si on nous présente des preuves de sodomie, ce qui est condamné par le Code Pénal ".
Le Vice-Président de la République fidjienne, Ratu Joni Madraiwiwi, a pour sa part défendu publiquement ces dernières semaines le droit des homosexuels à jouir de leur vie privée.
Le débat a été relancé à Fidji par une décision en appel de la Haute Cour de la ville de Lautoka (Ouest de l'île principale) en faveur d'un couple d'homosexuels arrêté en début d'année par la police en vertu d'un article du Code Civil datant de 1944.
Les deux hommes, un Australien, Thomas MacCosker, et un Indo-Fidjien, Dhirendra Nadan, avaient été condamnés chacun à deux ans de prison pour " actes contre nature ".
Le Haute cour avait alors annulé leur condamnation, estimant que les dispositions de la Constitution de 1997 garantissaient à tout individu le droit d'exprimer ses orientations sexuelles.
Plusieurs associations de défense des droits humains se sont élevées contre les commentaires adverses : le Women's Action for Change (WAC, action des femmes pour le changement), par la voix de sa directrice Noelene Nabulivou, se déclare " horrifié par ces attaques contre les droits humains et contenues dans ces déclarations ", condamne les " dérives fondamentalistes " et rappelle le principe de séparation de l'Église et de l'État.
Carlos Pereira, qui dirige à Fidji le mouvement de défense des droits des minorités sexuelles (Rights of Sexual Minorities), déclarait la semaine dernière à la télévision nationale son inquiétude face aux réactions provoquées par la décision de justice de la semaine dernière.
Le gouvernement fidjien, depuis, ne cache pas ses intentions : la décision de la Haute Cour devrait être une nouvelle fois mise à l'épreuve devant le plus haut tribunal de l'archipel : la Cour Suprême.
Laisenia Qarase, Premier ministre fidjien, déclarait en septembre que son gouvernement s'emploierait désormais à faire en sorte que les " actes contre nature " entre gays et lesbiennes " restent condamnables ".
" Personnellement, je pense que toute législation qui n'est pas conforme à la loi de Dieu doit être amendée (…) Et que cet acte soit commis en privé ou en public ne cange rien à l'affaire ", a-t-il ajouté.
Son garde des Sceaux (Attorney General), Qoriniasi Bale, affichait pour sa part récemment dans les colonnes du quotidien Fiji Times son désaccord avec le jugement de la Haute Cour.
" Les dispositions de la Constitution ne reviennent pas à légaliser l'homosexualité ou à cautionner la sodomie. Elles sont là pour protéger conte les discriminations ", a-t-il estimé.
Aux termes de l'article 38 de la Constitution de 1997, tout individu a le droit d'être traité également devant la loi et " ne peut faire l'objet de discriminations injustes, directes ou indirectes, en raison de ses caractéristiques ou circonstances personnelles, qu'elles soient avérées ou supposées, y compris sa race, son origine ethnique, sa couleur, son lieu d' origine, son genre, son orientation sexuelle, sa naissance, sa langue maternelle, son statut économique, son âge, son handicap ou ses opinions, croyances, dans la mesure où ces opinions ou croyances ne causent pas de mal à ou portent atteinte aux libertés d'autrui ".
10/11/2005
Source: Tahiti presse