"POURQUOI NE POUVONS-NOUS PAS DÉJÀ CÉLÉBRER, VIVRE ET OEUVRER ENSEMBLE?"
Par Stephen Webb (*)
Mary Tanner, de l'Eglise d'Angleterre, est une éminente théologienne et auteure, engagée dans le mouvement œcuménique depuis plusieurs années à divers titres. Elle a notamment dirigé des études et des rencontres qui ont fait date et a présidé la Cinquième Conférence de Foi et constitution du COE à Saint-Jacques-de-Compostelle, Espagne, en 1993.
Elue à la présidence du Conseil œcuménique des Eglises (COE) avec sept autres collègues lors de la Neuvième Assemblée de Porto Alegre, Mary Tanner évoque dans cette interview les promesses et les défis qui attendent le mouvement œcuménique, le rôle du COE et sa conviction qu'il faut lutter pour parvenir à la pleine communion eucharistique.
Comment vous êtes-vous engagée dans le mouvement œcuménique?
Je puis dire que j'y suis engagée depuis toujours. La famille de mon père était méthodiste et celle de ma mère catholique romaine. Mes parents sont devenus anglicans, mais dans ma jeunesse, j'ai souvent assisté à des services méthodistes et catholiques romains. Pendant la guerre, j'ai fréquenté une école du dimanche baptiste. Ainsi, dès ma tendre enfance, je me suis familiarisée avec diverses traditions. A l'université, j'ai participé activement au Mouvement chrétien des étudiants. Mon premier contact avec le COE remonte à 1974, lorsque j'ai été invitée à la réunion de la Commission plénière de Foi et constitution à Accra, Ghana. J'y étais suppléante de mon professeur, Geoffrey Lampe, œcuméniste engagé qui tenait beaucoup à faire participer de jeunes théologiens et des femmes au mouvement œcuménique. Je peux dire que cette réunion a changé ma vie.
Voilà des années que vous participez au mouvement œcuménique à divers titres. Qu'espérez-vous accomplir en qualité de présidente du COE?
J'espère être l'ambassadrice fidèle et efficace de la communauté des Eglises, toujours à l'écoute de ce que les autres ont à dire. Dans cette époque de rupture et de violence, j'espère pouvoir faire passer le message que pour les chrétiens, témoigner ensemble du pouvoir réconciliateur de l'Evangile est une voie plus crédible et authentique que vivre dans la division. Nous devons être ensemble pour témoigner, servir, agir pour vaincre la violence et contribuer à protéger et à sauvegarder la création. Nous devons aussi redoubler d'efforts pour dépasser tout ce qui nous empêche d'être ensemble dans la communion eucharistique. Le COE est le lieu privilégié où aider les Eglises à accomplir tout cela, tout en nous écoutant les uns les autres avec plus d'attention, au lieu de nous contenter de voir les choses dans notre propre optique.
Comment jugez-vous la situation actuelle du mouvement œcuménique? Quel est le rôle du COE?
Dans la situation actuelle du mouvement œcuménique, je discerne des signes d'espoir, mais aussi de nouveaux défis et tensions.
Les efforts en vue d'élargir la communauté fraternelle dans le cadre du Forum chrétien mondial, qui comprend les catholiques romains, les évangéliques et les pentecôtistes à côté des Eglises membres du COE, représentent une initiative notable. Le Comité central vient de lancer d'importantes activités communes concernant le Moyen-Orient et les migrations et a mis l'accent sur la lutte pour la paix grâce à l'organisation d'un Rassemblement œcuménique international pour la paix, qui devrait constituer le point culminant de la Décennie "vaincre la violence" en 2011. Le dialogue avec les fidèles d'autres religions fait l'objet d'une attention accrue. On voit se dessiner des progrès en direction d'une communion plus étroite entre luthériens, réformés, méthodistes, vieux-catholiques et anglicans, ainsi que dans certains dialogues théologiques bilatéraux, comme celui qui se déroule entre les luthériens et les catholiques romains. Le dialogue entre ces derniers et les orthodoxes devrait bientôt reprendre. Il y a donc des signes encourageants qui montrent que l'œcuménisme ne passe pas par une période de glaciation; j'y ajouterai la contribution des jeunes à l'Assemblée de Porto Alegre et au Comité central, qui témoigne d'une vie et d'une énergie nouvelles.
Mais on constate aussi des signes de fragilité et l'existence de nouveaux défis. Dans le domaine de l'éthique, notamment, certaines questions risquent de susciter de nouvelles divisions au sein des Eglises et entre elles. Nous sommes tous mis en demeure de réfléchir à notre manière d'utiliser les sources de la tradition chrétienne pour déceler la volonté du Christ pour l'Eglise d'aujourd'hui et d'affronter de nouvelles formes de fondamentalisme. La question de l'interprétation des Ecritures est au cœur de quelques-uns des problèmes les plus aigus qui se posent à nous. Reste encore le défi d'examiner nos préoccupations communes avec ceux qui, souvent, semblent moins intéressés par l'unité telle que l'a définie le mouvement œcuménique classique et qui, pourtant, ont beaucoup à nous enseigner en matière d'engagement chrétien et de passion évangélisatrice.
En ce qui concerne le rôle du COE, j'accorde la priorité au devoir du Conseil d'appeler les Eglises à l'unité visible. La recherche de l'unité des chrétiens ne peut être dissociée de celle de l'unité de l'humanité et du souci de la sauvegarde et de la dignité de la création. Elle ne peut pas non plus être dissociée de la justice, du terrorisme et de tout ce qui affecte la dignité de la vie. L'un des défis lancés aux Eglises membres du COE consiste à continuer à affirmer cette vision intégrée.
Comment votre participation au culte d'une paroisse enrichit-elle votre foi et quelles relations établissez-vous entre cette expérience intime et les grandes préoccupations mondiales qui sont les vôtres en tant que présidente du COE?
Voilà plus de trente ans que notre famille vit dans la paroisse d'une cité dortoir proche de Londres. La vie cultuelle de la communauté m'a enrichie et la paroisse a soutenu mes activités œcuméniques par ses prières et par l'intérêt manifesté pour mes voyages et mes rencontres avec d'autres chrétiens. J'ai pu transmettre un peu de mes expériences œcuméniques dans mes écrits et mes prédications. Réciproquement, partout où il m'est arrivé de participer aux cultes d'autres Eglises locales, j'ai apporté les salutations de ma paroisse. J'aime à rappeler que les océans séparent mais que l'eucharistie, dimanche après dimanche, rassemble - c'est pourquoi il est si important de travailler à réaliser la pleine communion eucharistique. Dans notre paroisse, nous avons un forum de Churches Together où des catholiques romains, des anglicans, des méthodistes et d'autres se rencontrent régulièrement. L'œcuménisme local revêt une grande importance, mais il doit se nourrir de ce qui se passe dans l'ensemble de la communauté œcuménique, tant nationale qu'internationale.
Qu'emporterez-vous de Genève pour inspirer ou guider les Eglises d'Angleterre ou d'Europe?
Il y a de nombreux éléments du dernier Comité central qui peuvent aider et interpeller les Eglises britanniques. Les deux points forts du message du secrétaire général, le pasteur Samuel Kobia, la migration et le Moyen-Orient, représentent certainement des domaines dans lesquels ces Eglises feraient bien de s'inspirer des réactions et des expériences de celles d'autres régions. Les questions d'actualité qui ont retenu notre attention - les enfants pris dans les conflits, le commerce équitable, notre réaction face au VIH et au sida, les problèmes qui se posent au Soudan, à Sri Lanka ou aux Philippines - méritent qu'on s'y arrête. Il est très facile de se considérer comme une île et de s'occuper avant tout de soi-même, mais le COE est un espace qui nous incite à dépasser nos préoccupations et priorités immédiates. Je pense aussi que le processus de sept ans inspiré par le document Appelés à être l'Eglise une sera très enrichissant. J'espère que les Eglises britanniques s'engageront plus fortement dans la Décennie "vaincre la violence", dans le cadre de l'accent spécial sur l'Europe en 2007 et dans la perspective du Rassemblement mondial qui viendra clore la Décennie.
Le Comité central publie des déclarations adressées aux Eglises locales; arrive-t-il que des membres de votre paroisse vous chargent de messages pour les responsables des Eglises mondiales?
Ce que j'entends le plus fréquemment, c'est: "Dites-leur de foncer! Pourquoi ne pouvons-nous pas célébrer ensemble, vivre ensemble et oeuvrer ensemble maintenant déjà?" De nombreux laïcs ne comprennent pas pourquoi il faut tant de temps aux responsables d'Eglises et aux théologiens.
20/09/2006
(*) Stephen Webb est responsable des médias pour le Synode de la Nouvelle-Galles du Sud de l'Eglise unie d'Australie.
Source: Conseil oecuménique des Eglises (COE)