ACTU : MLK, OBAMA ET DOMATA

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Jean-Claude Girondin est un pasteur antillais analyse ce que MLK, Obama et le mouvement antillais LKP ont de commun avec les deshérités de la terre. Regard lucide, prophétique.

Jean-Claude Girondin est directeur du Département Action et Formation à Agapè France et pasteur de l’Église mennonite de Villeneuve-le-Comte. Dans cette rubrique commune à quatre journaux (Christ Seul, Horizons Évangéliques, Pour la Vérité et En route), il analyse la montée en puissance d’un Obama comme la réponse aux cris des esclaves exploités en écho au combat non-violent d’un Martin Luther-King et le mouvement populaire antillais LKP comme l’expression par son leader charismatique d’une révolte trop longtemps refoulée.

« Nous serons vainqueurs, nous serons vainqueurs,

Nous serons vainqueurs, un jour

Dans le fond de mon cœur, j’en suis sûr :

Nous serons vainqueurs un jour »,

Chant traditionnel afro-américain

L’année 2008 a été ponctuée par un événement historique important : la célébration de l’anniversaire des quarante ans de l’assassinat du pasteur Martin Luther King (1968-2008), l’ardent défenseur des Droits civiques des Noirs américains et des opprimés.


MLK, apôtre de la paix

L’ampleur des manifestations en France nous a montré que la vie de l’apôtre de la paix ne laisse pas indifférents les citoyens français. Car au-delà de la puissance et la pertinence de son message, sa force résidait dans un amour vécu et partagé, même à l’égard de ceux qui ne souscrivaient pas à ses convictions. Pour le leader afro-américain, la force n’est pas dans la puissance, mais dans l’amour.

Son combat fut extraordinaire par l’originalité de la méthode — la résistance non-violente —, ainsi que par les valeurs spirituelles qui le portaient à savoir : l’amour, la paix, la justice et la dignité non seulement des Noirs mais aussi celle de tous ses semblables, créés à l’image de Dieu.

Obama dans sa foulée

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L’élection de Barack Obama le 4 novembre comme quarante-quatrième président des États-Unis est un autre moment fort et historique dans le calendrier des Afro-américains. Elle est, à bien des égards, une illustration éloquente de l’aspiration à la justice de King. Encore que la route vers la justice soit longue pour les Noirs, les Latinos. Au point pour nous d’affirmer que l’arbre (de la justice) ne doit pas cacher la forêt (de l’injustice). Cependant, passer « Des champs de coton à la Maison Blanche » (Nicole

Bacharan), n’est-ce pas un pas considérable pour l’Amérique ?

Un pays qui vient de loin

À ce stade de la réflexion, il apparaît opportun de se rappeler qu’il y a quarante ans dans le pays de l’oncle Sam, les Noirs n’avaient pas le droit de vote — n’étaient-ils pas des mineurs tout comme l’étaient les femmes à cette même date ?

La victoire du candidat démocrate rappelle les paroles prophétiques du rêve de King le 28 août 1963 : « Je rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais à la mesure de leur caractère ». Une prophétie désormais en voie d’accomplissement.

Une victoire de l’Amérique sur elle-même

Toutefois, si certains voient dans cette victoire, hélas ! « une revanche vivante à la tragédie noire  » (Edouard Glissant), pour ma part, j’y vois une victoire de l’Amérique sur elle-même, et une réponse (du Ciel) aux cris des esclaves dans les plantations. Toujours est-il que c’est une victoire qui lave l’Amérique du Nord de la honte et de la culpabilité de la traite, de l’esclavage et de la ségrégation raciale et qui la réhabilite comme nation démocratique et civilisée.

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De plus, le soir de l’élection, en voyant couler des larmes de joies sur le visage de bon nombre d’Américains blancs et noirs, je me suis rappelé ces paroles de King : « Un jour, même là, en Alabama, les petits garçons noirs et les petites filles noires pourront mettre leur main dans celle des petits garçons blancs et des petites filles blanches, comme des frères et sœurs ». À vrai dire, plus j’y pense, plus je crois que Dieu a honoré le courage de ce prophète (nabi en hébreu) de l’espérance qui avait foi en Dieu et en son pays. Son principe de non-violence (inspiré d’un autre géant de la spiritualité : le Mahatma Gandhi) est fondé sur la conviction que l’univers est du côté de la justice. Bien plus, c’est une confiance profonde en un avenir basée sur l’idée selon laquelle Dieu est toujours pour la vérité et pour la justice (Ps 85).

La mort de King le 4 avril 1968 provoqua une onde de choc dans le monde entier en plongeant ses contemporains qui l’avaient honoré du Nobel de la paix dans le désarroi.

Un événement planétaire

L’élection d’Obama a eu un écho imprévisible dans le monde grâce au Tout-Monde — concept d’Edouard Glissant pour signifier la globalisation de notre terre. Elle a (re) donné l’espérance à tous les damnés de la terre ; en particulier aux Noirs américains « entrés dans la puissance étasunienne, [qui en constituent] un de ses fondements, mais [sont] aussi comme un de ses manques » (Glissant) (Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, L'intraitable beauté du monde. Adresse à Barack Obama, Ed. Galaade, 2008).

Certes, tout n’a pas changé, et il reste du chemin à parcourir, mais l’Amérique de 2009 ne ressemble pas à l’Amérique des années cinquante et soixante. Les USA sont une nation en pleine mutation anthropologique ; et ce changement n’est pas sans lien avec le combat pour les droits sociaux et la prière et des esclaves des plantations pour sa totale transformation économico-psycho-sociale.

Un sujet de reconnaissance

Enfin, relevons que Martin Luther King a toujours cru en son pays et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a combattu si énergiquement les injustices sociales et économiques. Et c’est sur ce terrain-là que cette action de grâce d’un esclave-prédicateur prend tout son sens : « Seigneur, nous n’sommes pas c’que nous devrions être, nous n’sommes pas c’que nous voudrions être, nous n’sommes pas c’que nous serons. Mais, grâces te soient rendues : nous n’sommes pas c’que nous étions » (Serge Molla, Les idées noires de Martin Luther King, Genève, Ed. Labord et Fides, 2008).

La lutte des Antillais

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Un parallèle peut-être établi, sans sombrer dans l’anachronisme, entre ces luttes pour l’émancipation que menèrent les esclaves du pays de Lincoln et la lutte des populations antillaises pour plus de dignité au sein de le res-publica hexagonale. Toutes proportions gardées, ces Afro antillais sont des fils et des filles de damnés de la terre qui ont permis à l’Europe d’être prospère. La trajectoire de Frantz Fanon illustre l’empathie d’un de leurs fils pour d’autres damnés de l’histoire.

Ces peuples aspirent à une figure prophétique, au sens wébérien, en qui ils placeraient leur entière confiance. Elie Domota, leader guadeloupéen du mouvement social LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon : Alliance contre le vol et les profits abusifs), jusque-là inconnu, est accueilli en tant que tel. Il me semble important de souligner que la protestation sociale du LKP est le produit d’une conscience communautaire plus qu’un talent individuel. Elle atteste une colère, une révolte collective. Mais il est avant tout une révolte populaire trop longtemps refoulée qu’Elie Moïse Domota a pu mettre en forme à un moment donné. La majorité des Guadeloupéens ont le sentiment qu’il exprime exactement ce qu’ils pensent et ressentent, leurs souffrances, leurs humiliations, leurs espoirs déçus : c’est le retour du refoulé. L’Histoire nous montre clairement que tout mouvement, quel qu’il soit, a besoin pour réussir d’une voix qui sache emporter l’adhésion des sans-voix, et parler au cœur et à la raison de ceux qui ont un pouvoir de décision politique et juridique.

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