LETTRE A MARTIN LUTHER KING

Pour la 33e fois consécutive, l’évêque White écrit une lettre à feu le pasteur MLK et s’entretient à coeur ouvert de la situation des droits de l’homme dans son pays. En 2009, il ne faillit pas à la tradition et s’émeut de la nomination surprise d’Obama à la tête des Etats-Unis.

Dans sa lettre à Martin Luther King, un évêque se réjouit de l'élection du premier président des Etats-Unis afro-américain


L’évêque Woodie White et Barbara Thompson animent une discussion au cours d'une réunion de l'ancienne Juridiction Centrale de l'Église Méthodiste en charge de la lutte contre la ségrégation raciale en 2004. White écrit une lettre à chaque date anniversaire de feu le pasteur Martin Luther King Jr. Une photo UMNS de Mike DuBose.

Note du rédacteur: Chaque année, l'évêque évangélique méthodiste Woodie W. White écrit une "lettre d'anniversaire" au pasteur Martin Luther King Jr. où il note les progrès de l'égalité raciale aux États-Unis. L’évêque White a été le premier chef de l'exécutif de la Commission sur la religion et la race de l’EEM/UMC.

Par l’évêque Woodie W. White*

Cher Martin,

J'ai commencé à vous écrire le jour anniversaire de votre naissance en 1976 ! Mais jusqu'à présent, mon coeur ne brûlait pas de joie comme aujourd’hui à la rédaction de cette lettre. Cette joie dépasse tout entendement! 

Le soir du 4 avril 1968, à l’annonce de ton tragique décès, j'ai été totalement effondré. Des millions de personnes ont partagé leur peine. C'était comme si le temps lui-même avait pris fin. L'espoir a disparu, et la confusion totale s’est imposée. 

Le soir du 4 novembre 2008, quatre décennies plus tard, à l’annonce de l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats Unis - le 44e de l’histoire - le premier noir américain à être élu - ce fut la joie à l’état pur! Des milliers ont poussé des vivats dans le Grant Park de Chicago, de même que des millions d'autres à travers l'Amérique. Nous avons pleuré, sans honte, hommes et femmes, personnes de toutes les ethnies et croyances. 

Martin, ça a été un moment inoubliable! Alors même que j'écris, il m’est difficile de contenir ma joie ou de retenir mes larmes. Vous devez comprendre. 

Quand je regarde le Président élu Obama, sénateur de l'Illinois, donner des conférences de presse, désigner les membres de son cabinet ou aborder une question urgente devant la nation, cela me semble encore tenir du rêve. Mais c’est réel. L'Amérique a élu un homme de couleur à la plus haute fonction politique du monde! 

Hier encore, les Noirs se battaient pour le droit de vote. Beaucoup sont morts en cherchant à obtenir ce droit. État par État, les changements sont survenus. Mais presque personne ne s’était imaginé qu’un jour un Noir serait élu président de la nation.


White adressait sa 33e lettre au leader des droits civils assassiné. 
 Une photo UMNS de Lisa Kelley. 

Ces journées de marches et de protestations ont visé des objectifs simples mais importants : pouvoir manger à un comptoir, essayer un vêtement avant de l'acheter, fréquenter une école dans le quartier où vous vivez, être embauchés pour occuper un emploi pour lequel vous êtes qualifiés, et, oui, exercer le droit le plus fondamental de la citoyenneté, le droit de vote.

Nous avons cherché à être acceptés, et à être traités comme des personnes et des citoyens à part entière dans notre propre nation. 

Si vous pouviez le voir, Martin, vous reconnaîtriez en M. Obama un homme doté de dons inhabituels, de grâce et de caractère. Il a annoncé son intention de demander la nomination de son parti par un froid matin de janvier, en face du State Capitol à Springfield, Illinois, l'État qu'il représente au Sénat. 

Springfield, vous vous en souviendrez, a été le lieu de deux jours d'émeutes en 1908. Les émeutiers blancs ont incendié les maisons et les entreprises de résidents noirs, entraînant la fuite de milliers de personnes. Huit personnes - noirs et blancs - ont été tragiquement tués. 

Cet événement a incité les dirigeants à convoquer une réunion à New York et à créer une nouvelle organisation de lutte contre le racisme. Le résultat a été la création de l'Association nationale pour la promotion des gens de couleur. 

L'organisation s’apprête à fêter le 100e anniversaire de sa fondation, la même année où la nation est le témoin de l’accession au pouvoir de son premier président noir ! 

L'élection de M. Obama est beaucoup plus importante que le transfert de pouvoir d'un parti à l’autre. Son importance dépasse de loin la crise économique actuelle, où les Américains se tournent vers le gouvernement pour trouver direction et leadership. 

Cette élection aura un impact dans un domaine qui a été au cœur du fiasco américain en tant que nation. Je pense qu’elle mettra un terme à l'idéologie agonisante du "ils" (ndlr “les Noirs”). 

Le racisme américain est fondé sur une déclaration souvent implicite d'infériorité et de supériorité innées. Il est fondé sur l'allégation selon laquelle la race est le facteur déterminant dans la capacité et la réalisation d’un être humain. 

Mais aujourd'hui, les Américains ne peuvent plus affirmer que les "ils" (ndlr les Noirs) sont incapables d'occuper ce poste ou d'exercer ce rôle. La réalité a toujours été que, si une personne en particulier est en mesure ou non d'atteindre un certain but, généraliser cette observation à un groupe de personnes est manifestement injuste et totalement inexact. 

On ne peut guère considérer la communauté blanche comme étant monolithique dans ses attitudes raciales. A vrai dire, les choses ne se sont jamais présentées de cette façon, même quand cela semblait être le cas. 

L'élection du président Obama est le résultat du vote et du soutien de personnes d'une large diversité raciale et ethnique. Il a récolté plus de fonds que personne jusqu’ici dans une campagne politique. Il a rassemblé plus de monde que jamais à ses meetings de campagne. Il a gagné des voix dans des régions où son parti politique était traditionnellement défait. 

On ne peut plus dire que les "ils" (ndlr les Noirs) ne voteront pas, ni que l’on soutient ou accepte une personne en raison de sa race ou de sa couleur. Certains iront, d’autre non, mais les "ils" cessent d’être normatifs. 

Cela dit, il serait naïf de conclure que le racisme et l'intolérance en Amérique sont morts. Ils sont très vivants. Le racisme a du mal à mourir. Mais son emprise sur l'esprit et le cœur des Américains, Martin, n'est pas aussi profonde ou aussi large que vous l’avez vécue.

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Le pasteur Martin Luther King, Jr.

Nous avons besoin de contester toujours et encore toute forme d'injustice, d'intolérance et de racisme chez les individus et dans les institutions. L'élection de M. Obama devrait nous encourager à continuer plutôt qu’à mettre fin à ces efforts! 

Permettez-moi une remarque personnelle, Martin, je dois dire un mot au sujet de notre ami, Joe Lowery, qui a été parmi les premiers dirigeants des droits civils à approuver la candidature de M. Obama. Il est apparu souvent comme une voix isolée criant dans le désert. Mais quand il a fait campagne pour M. Obama dans l'ensemble du pays, nous avions l’impression de vivre le tandem Moïse, Josué, avec le révérend Lowery, 87 ans, exhortant et appuyant la nouvelle direction de M. Obama, 47 ans. 

Joe prononcera la bénédiction à la prestation du serment lors de la cérémonie d’investiture de M. Obama comme président des États-Unis d'Amérique. Ce sera un moment émouvant! 

Bien que cette lettre soit plus longue que je ne le pensais, je n'ai pas dit tout ce qui était dans mon coeur. Mais je suis conscient que ce moment de joie et de fête a été rendue possible par ce que vous et tant d'autres ont fait et dit. 

A bien des égards, Martin, nous sommes une nation meilleure, des personnes meilleures que celles que vous avez quittées. Pas parfaites, mais meilleures. Et d'une certaine façon, la nation est en mouvement au-delà du Rêve (The Dream)! 

Merci et bon anniversaire, Martin. 

We are overcoming! Oui, nous sommes vainqueurs !

Woodie

* Evêque White à la retraite et en résidence à la Faculté de théologie Candler, à Atlanta.

13 Janvier 2009

Traduction eemni

umns