France: multiples débats sur la différence entre évangélisation et prosélytisme

Deux rencontres majeures se sont tenues récemment à Paris entre chrétiens de plusieurs obédiences autour du délicat problème de l'évangélisation souvent assimilée à du prosélytisme. Quand est-ce qu'on franchit la barre du simple témoignage gratuit et désintéressé pour empiéter sur le prosélytisme?


- Le Salon Religio 2007 eut sa conférence phare autour de "Prosélytisme et Evangélisation" avec comme intervenants le père François Boëdec, rédacteur en chef de "Croire aujourd'hui", le pasteur Gill Daudé, responsable de l'oecuménisme à la Fédération Protestante de France et Laurent Landete de la Communauté de l'Emmanuel. Myriam Delarbre en rend rend compte dans les colonnes du BIP (Bullletin d'Information Protestant - 1642-1er février 2007 ).


- L’Iseo (Institut supérieur d’études œcuménique a organisé à Paris un colloque du 30 janvier au 1er février 2007, avec le concours des Eglises catholique, protestantes et orthodoxes par , à Paris sur le sujet précidément de l'évangélisation et du prosélytisme. Dans son article publié dans l'hebdomadaire Réforme, Bernadette Sauvaget essaie de tracer la frontière qui existe entre évangélisation et prosélytisme à la lumière des débats qui ont eu cours lors du colloque. eemni 


Salon Religio 2007 - « Ne parle de Jésus que si on te le demande, mais vis-le de telle manière qu'on te le demande»


Par Myriam Delarbre


Si après trois jours de salon, je suis partie en emportant une bouteille de vin de messe, j'ai aussi assisté avec 120 personnes à la conférence phare de cette édition 2007 sur « Prosélytisme et évangélisation ». Le père François Boëdec, rédacteur en chef de Croire aujourd'hui et jésuite, a captivé son auditoire. « L'offre du croire dans un monde globalisé correspond à la galaxie de demandes de sens. Dans cette recherche d'équilibre personnel, chacun fait son marché. » « Ils ne croient en rien, mais ils sont prêts à croire à tout» dit le jésuite en citant un pape. « Sensible à l'émotion, au coeur et au corps, l'acte du croire participe à une quête d'identité sur ses valeurs, ce qui me façonne, me donne une histoire et une appartenance à un groupe. » « Croire n'est pas une technique, ni un savoir» rappelle François Boëdec « mais une relation. » Et de convoquer la mémoire de Frère Roger « Ne parle de Jésus que si on te le demande, mais vis-le de telle manière qu'on te le demande. » « Le juste rapport est donc à trouver entre prosélytisme et évangélisation. Le monde attend une manière d'être, on peut combler son attente comme chrétien» encourage François Boëdec, qui suggère 7 attitudes à promouvoir: - le partage plus fort que la possession -la liberté de conscience plus forte que l'embrigadement idéologique - la solidarité plus forte que la solitude - la communication plus forte que l'indifférence - le pardon plus fort que la mort - la fidélité plus forte que le désir de tout vouloir - l'écoute intérieure plus forte que la cacophonie du monde 

Prenant la parole, le pasteur Gill Daudé, responsable de l'oecuménisme à la Fédération protestante de France, a renchéri « La situation actuelle fait ressortir l'aspect missionnaire des Églises tant dans leur identité, que dans leur radicalité. » « Le courant évangélique, explique-t-il, devant un auditoire à 95 % catholique, rappelle aux Églises leur vocation d'annoncer l'Évangile, de se recentrer sur le message. Mais où est-il dans la masse de documents que nous brassons! » Il poursuit « Il n'y a pas de recettes miracle mais du discernement. Nous sommes tous porteurs d'une personne qui est Jésus-Christ, qui lui est la Vérité. Il appelle à toutes les ruptures, à des deuils, une conversion, c'est violent. Alors comment va être accompagnée l'évangélisation? En respectant la liberté de conscience» dit le pasteur réformé. Le soupçon qui pèse sur le religieux produit des effets pervers. « On se base sur ce qu'on connaît, en France: le catholicisme. Sa chez que le mot prosélyte veut dire aller vers, il y avait même une liturgie d'accueil des prosélytes. » Il conclut « Déjà au XIXe, les missionnaires de retour des colonies reviennent avec des questions. Les Chinois interpellent les Églises européennes: vous nous avez apporté le Christianisme très bien, vous nous avez apporté vos 'isme', on s'en serait bien passé! ». « En 1910, la conférence missionnaire d'Edimbourg dénoncera le scandale de la division des Églises, ce radicalisme ecclésial que l'on vit maintenant depuis quatre siècles. » 

Laurent Landete, de la Communauté de l'Emmanuel, a rappelé que « l'évangélisateur était le témoin d'une rencontre qui appelait à une vie fraternelle ». Et de formuler « Le prosélytisme, c'est l'évangélisation sans vivre de Lui, l'évangélisation, c'est vivant de Lui, le redonner aux autres, sans évasion. » Il témoigna, devant un parterre ému, que trois personnes de son entourage professionnel et familial étaient « sur le chemin du Christ» après l'avoir entendu témoigner de l'amour et de la chaîne de solidarité communautaire déployée autour de son couple et de sa famille à l'annonce de l'arrivée d'une dégénérescence handicapante chez un de ses 6 enfants. « Si c'est ça l'Église alors je veux bien essayer» ont-ils dit. « L'Esprit saint nous montre quand les portes sont ouvertes ou fermées » termine-t-il dans un sourire. (MD) 


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Eglises concurrentes

 

par Bernadette SAUVAGET

 

... La chute du communisme a, de fait, avivé les tensions entre chrétiens : les Eglises orthodoxes accusant à la fois l’Eglise romaine et les mouvements évangéliques de venir indûment chasser sur leurs terres. Depuis vingt ans, l’explosion du pentecôtisme, met, lui, en Afrique ou en Amérique latine, l’Eglise catholique face à des mouvements protestants qualifiés parfois de « sectes ». Par ailleurs, la réélection de George Bush en 2004 provoqué une prise de conscience, celle du poids, aux Etats-Unis, de la droite religieuse et, à l’international, de l’explosion pentecôtiste. Mais si les lignes de fracture apparaissent entre Eglises, elles sont aussi manifestes à l’interne même des institutions. Que doit-on privilégier, le témoignage ou l’annonce ? La question se pose à chacun. 


Au cœur de cette problématique, la France, laïque et républicaine, affiche ses particularités. L’irruption de l’islam sur la scène sociale a ravivé la crainte du prosélytisme et de l’embrigadement religieux. A tort, sans doute… S’il y a bien une action missionnaire musulmane, menée essentiellement dans les banlieues par le mouvement Tabligh, né au Pakistan au cours des années 20 et à tonalité très fondamentaliste, ses cibles prioritaires demeurent les populations maghrébines elles-mêmes, surtout les deuxième et troisième générations issues de l’émigration, qui ont délaissé leur pratique religieuse. Il s’agit davantage d’une « réislamisation » que d’une « islamisation »


Désormais, l’opinion publique française, sans faire le tri, assimile de plus en plus évangélisation et prosélytisme. « La société a changé, c’est clair. Si les Eglises font du travail social, elles sont aussi soupçonnées de prosélytisme. Cela nous questionne sur la gratuité », affirme Gill Daudé, responsable du service œcuménique de la Fédération protestante de France. 


Quelle éthique ? 


Quoi qu’il en soit du terrain français, dans un contexte de globalisation du religieux, la concurrence et la compétition entre Eglises chrétiennes et entre religions semblent bel et bien inévitables à l’échelle de la planète. En fait, le « prosélytisme, c’est souvent l’évangélisation des autres », souligne Jacques-Noël Pérès, spécialiste de patristique et membre du conseil d’orientation de l’Iseo. « En Europe, face à la sécularisation, chaque Eglise reprend conscience de sa vocation missionnaire et de sa tradition propre de foi, ajoute pour sa part Gill Daudé. Cela fait ressortir les identités religieuses de chacun et les met en contradiction. » 


Rude temps pour l’œcuménisme, alors? Face à la question de l’évangélisation et du prosélytisme, le dialogue œcuménique apparaît a contrario comme un impératif catégorique. « L’œcuménisme est au cœur de tout cela », soutient Gill Daudé. 


Ces dernières années, l’Eglise catholique en France a développé ses dialogues avec la mouvance évangélique. Comme ailleurs. En Amérique latine, par exemple, où elle est de plus en plus menacée par le pentecôtisme dans ses bastions traditionnels. La meilleure façon de clarifier les accusations réciproques, dont celle, lancée de part et d’autre, d’acheter d’une certaine manière les fidèles par une contrepartie sociale (l’instruction des enfants, les soins de santé…). Est-ce suffisant pour éviter les confrontations ? L’avenir le dira. 


En définitive, le pari serait de définir une sorte d’« éthique de l’évangélisation». Quelques critères peuvent être posés. D’ores et déjà, dans leur action missionnaire, les baptistes français pratiquent une sorte de « gentlemen’s agreement ». « Dans nos recherches pionnières, nous privilégions des zones où il n’y a pas déjà d’Eglises évangéliques », explique le pasteur David Razzano, du département évangélisation de la Fédération baptiste, l’un des intervenants du colloque. L’autre « critère » : ne pas aller « débaucher » des chrétiens déjà enracinés dans une paroisse, une Eglise… L’apprentissage, en quelque sorte, de l’altérité.


Un certain nombre de contributions sont accessibles sur le site internet www.catho-theo.net, la revue de théologie en ligne de l’Institut catholique de Paris. 


Débat de première importance"


Le colloque est "d’une importance particulière pour nos Églises", a souligné le métropolite Emmanuel, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France.

Avec un véritable enjeu œcuménique :  "La diversité des réponses traverse autant les Églises qu’elle les sépare", a relevé le pasteur Jean-Arnold de Clermont, le président de la Fédération protestante de France qui n’a pas caché le malaise des Églises face à ces mots d’évangélisation et de prosélytisme. Car si, comme l’a souligné Mgr Maurice Gardès, président du Conseil épiscopal pour l’unité des chrétiens, "l’identité de l’Église est fondamentalement missionnaire", l’évangélisation, elle, fait peur. "Dans le contexte actuel, il peut y avoir une tentation de crainte et de timidité", a-t-il regretté.


La montée de nouvelles formes d’évangélisation fait aujourd’hui peur aux Églises, dans un contexte de crainte à l’égard des sectes…  « Les inquiétudes de la société, autant que celles des grandes Églises, perturbent gravement l’image de la religion acceptable dans les limites de la République", a relevé Danièle Hervieu-Léger, présidente de l’École des hautes études en sciences sociales. 

 

"On sera toujours considérés comme une secte, mais ce n’est pas grave : cela a toujours existé, relativisait le pasteur de Clermont.  Plus grave serait de s’autocensurer."


Laïcité et liberté de parole sur la place publique


Pour lui, la vraie question aujourd’hui est celle de la laïcité :  "Est-elle un véritable espace public, où toutes les religions ont une légitimité pour parler? Ou va-t-on vers une privatisation du religieux, où aucune expression de celui-ci n’est permise ? ", a-t-il interrogé. " Le témoignage seul du chrétien ne questionne plus. Il doit redonner sens au prosélytisme."


Selon le sociologue Sébastien Fath, le succès des évangéliques vient de ce que les Églises traditionnelles ont cessé toute évangélisation systématique. 


"Les grandes Églises ont privilégié la recherche dogmatique, vers laquelle elles ont poussé leurs meilleurs cerveaux. Les Églises évangéliques ont préféré investir la question de l’évangélisation."  Un objectif moins prestigieux, mais qui leur procure une meilleure réactivité aux changements sociaux !


Source: BIP/Réforme/InfoCatho/eemni