EEMNI publie le rapport que la pasteure Roswitha Ebner-Golder de la communauté latino-américaine méthodiste de Genève pour le compte de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). Elle évoque ce qu’ont été la vie cultuelle et les études bibliques lors de la 9e Assemblée générale du COE qui se tenait du 13 au 23 février 2006 à Porto Alegre, Brésil.
Rapport sur la vie cultuelle et les études bibliques
“Dieu dans ta grâce, transforme le monde” – le titre de cette assemblée est une prière et marque d’emblée sa tonalité : Ce sera une assemblée qui prie !
Nombreuses sont les occasions durant les plénières, les conversations œcuméniques, les ateliers et les études bibliques où l’on se mettra à prier ensemble. La chapelle est toujours ouverte pour un recueillement personnel. Elle sert de lieu de culte pour la Pré-Assemblée des jeunes. Durant le cours de l’Assemblée, différentes confessions y organisent des services eucharistiques à midi. Des membres de l’équipe d’accompagnement pastoral y offrent également des services d’imposition de mains avec onction d’huile.
Du moins en anglais, les grands rassemblements au début et à la fin de chaque journée portent le nom de « Prayer ». Pour ces moments, à la fois solennels et joyeux, tout le monde se retrouve sous une immense tente à l’entrée de l’université catholique pontificale de Rio Grande du Sud, lieu principal des rencontres de cette assemblée. En ce qui concerne la forme et le contenu, les termes traditionnels « culte », voire « Gottesdienst », choisis en français et en allemand me semblent plus exacts. On aurait aussi pu s’aligner sur l’espagnol et le portugais qui nous invitent à des « célébrations », puisque c’est bel et bien de cela qu’il s’agissait avec la musique superbe aux rythmes de tous les continents, des prières, des lectures bibliques à plusieurs voix et des symboles hauts en couleurs. L’équipe qui a préparé ce cadre liturgique nous a offert des temps de fête, une « festa de la vida » comme le secrétaire général, le pasteur Samuel Kobia, l’a appelée dans son rapport. Le gros recueil de chants et de prières « em tua graça » avec les partitions et de nombreux textes en cinq langues sera un outil précieux pour nos communautés multiculturelles et nos rencontres œcuméniques.
Dans son rapport, Sa Sainteté Aram 1er Catholicos de Cilicie, président du COE, met également l’accent sur la spiritualité, les célébrations, les prières et les études bibliques qui nous font avancer sur le chemin de l’unité. Les échos de la plénière aux deux présentations incluent le désir que cette unité se concrétise dans une célébration commune de la Sainte Cène. Malheureusement, ce souhait ne se réalisera pas encore durant cette assemblée. Aram espère qu’au moins deux pas intermédiaires se concrétiseront plus rapidement : une date commune pour les grandes fêtes chrétiennes actuellement célébrées à des moments différents de l’année civile en Orient et en Occident, ainsi que la reconnaissance mutuelle du baptême qui pour lui ne poserait aucun problème théologique.
« La "festa da vida » commence dès le 10 février entre quelque deux cents femmes réunies pour leur Pré-Conférence. Les cultes et les études bibliques en constituent des points forts et laissent des souvenirs inoubliables. Elles reflètent l’expérience des femmes dans la joie et dans la peine. La danse liturgique y prend une place importante. Par des moments en petits groupes intégrés à des moments clés du déroulement, la diversité de nos contextes est prise en compte et mise en valeur et nous sommes toutes invitées à prendre une part active dans le culte. Ces deux jours et demi de préparation pour l’Assemblée ont donc aussi été un lieu d’expérimentation et d’apprentissage nous proposant de nouvelles formes de liturgie, de chants œcuméniques récemment composés, et d’animations bibliques selon une méthodologie brésilienne.
En fait, Elaine Neuenfeldt qui nous présente cette méthode à la Pré-Assemblée des femmes est l’auteure d’un des chapitres du petit livret envoyé aux participant-e-s en automne 2005. Le COE nous avait alors invités à utiliser ces textes avec nos communautés pour nous préparer au thème de l’Assemblée. Cette démarche nous permet de nous mettre en route ensemble avec nos églises afin de nourrir notre réflexion commune lors des rencontres en groupe tout au long de l’Assemblée. Les textes, lus pendant les cultes communautaires, ont été rassemblés en cinq langues dans un petit livret par la Société biblique du Brésil. Ce fut un outil précieux pour les études bibliques parce que pas tout le monde n’apportait une Bible. Ces études bibliques se donnait de manière diverse : en grands groupes linguistiques pour les visiteurs et les participants aux ateliers « Mutirao » et en petits groupes de partage entre délégué-e-s. J’ai animé l’un de ces derniers.
Le temps consacré aux études bibliques chaque matin (75’) était assez long pour pouvoir approfondir tantôt les échanges comme l’étude du texte. On nous propose de partir du vécu de chaque membre du groupe : le contexte d’où l’on vient et les expériences qu’on fait pendant l’Assemblée se confrontant ainsi au texte biblique qui est aussi analysé et commenté par les membres du groupe. Ces temps d’échange en profondeur, de partage exégétique et de prière spontanée des un-e-s pour les autres furent les moments plus denses et précieux d’un œcuménisme pratiqué au ras des pâquerettes. J’ai l’impression qu’ils ont contribué à réduire des tensions et à créer le climat propice pour la prise de décisions par consensus.
Le dimanche 19.2., l’Assemblée participe aux célébrations des paroisses locales. Avec 25 autres, j’assiste au culte de la « Paróquia Evangélica Imigrante » de São Leopoldo, une ville universitaire à 30 km du centre de Porto Alegre. En fait, il s’agit d’une des paroisses de l’Eglise luthérienne fondée par des immigrant-e-s allemandes au début du 19 s. Ils nous accueillent très chaleureusement pour leur célébration eucharistique et le repas de midi. Bärbel Wartenberg-Potter apporte le sermon en commémorant les cent ans de la naissance de Dietrich Bonhoeffer, son mari Philippe, qui a assisté a toutes les AG du COE, offre une salutation suivie par un chant suisse joué au cornet par Regula Wloemer de la Communauté de travail Eglise et agriculture de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse. Au repas, je suis assise entre deux musiciennes, filles d’anciens pasteurs de la paroisse, qui se réjouissent de pouvoir pratiquer leur allemand et me racontent l’histoire mouvementée et conflictuelle de l’installation des « gauchos » dans cette région du Brésil. Deux jeunes couples nous font la démonstration des costumes et des danses typiques de ces migrants.
En parallèle aux réunions de l’Assemblée, où malheureusement la cible de 25 % de jeunes de moins de 30 ans n’a pas été atteinte, un congrès œcuménique réunit 110 étudiant-e-s de théologie à l’Ecole supérieure de théologie de São Leopoldo. 60 d’entre eux viennent de différentes régions du Brésil, 30 d’autres pays d’Amérique latine et du Caraïbe, 20 représentent le reste du monde. Leur programme, sous la direction de Rudolf von Sinner, professeur d’origine bâloise à l’Ecole supérieur de théologie, dure jusqu’au 25 ce qui me permet de suivre l’une de leurs tables rondes concernant l’étude biblique et de participer à leur célébration de clôture. Comme beaucoup d’autres délégué-e-s et intervenant-e-s de l’AG du COE, Gerald West, professeur d’Ancien Testament et d’Herméneutique biblique africaine à l’Université de KwaZulu-Natal en Afrique du Sud, a accepté de donner une conférence à ce congrès : « Reading the Bible Ecumenically ». Il parle des trois types de lecture biblique énumérés dans le document « Kairos » : lecture de l’Etat, lecture des Eglises et lecture prophétique. Contrairement à ce que disait le document du temps de l’Apartheid, West admet que les trois lectures s’inspirent du texte biblique dont elles se réclament. Par contre, la première, influencée par le courant « davidique » et « hérodien », tend à maintenir le statu quo, ce qui dans le contexte actuel sud-africain signifie par ex. l’acceptation de la pauvreté marginalisant une grande partie de la population, surtout des personnes vivant avec HIV/AIDS. La lecture ecclésiale de « pharisiens et de scribes » est une lecture prudente, de prière plutôt que d’action, qui ne s’engage guère dans la lutte pour des changements sociopolitiques. Par contre, au courant des 15 dernières années, des biblistes d’Amérique latine tels qu’Elsa Támez au Costa Rica et les membres du CEBI (Centre des études bibliques) au Brésil proposent une théologie prophétique, locale, incarnée dans la souffrance et dans les luttes des secteurs pauvres, marginalisés et discriminés de leur peuple et inspirée par l’enseignement et la pratique de Jésus.
C’est cette théologie, une herméneutique de suspicion par rapport à l’agenda politique cachée derrière l’interprétation du texte, qui a inspiré des lectures bibliques proposées à l’Assemblée générale de Porto Alegre et une bonne partie des sermons prononcés. Elle propose des textes rarement lus comme l’histoire de Tamar en 2 Samuel 13, et elle risque une interprétation nouvelle pour des textes connus. C’est cette lecture biblique qui est pratiquée dans son institution sud-africaine et à plusieurs endroits au Brésil. Plusieurs participant-e-s d’autres pays africaine affirment que c’est également le cas là où ils étudient. Ce ne semble pas évident de la transférer en Europe. Njambura Njoroge explique que son cercle de théologiennes africaines travaille avec le slogan « African Woman Rise»! Il s’agit de la parole que Jésus adresse à la fille de Jaïrus. La double histoire de guérison de la femme souffrant d’hémorragies pendant douze ans et de la résurrection de cette adolescente du même âge sert de paradigme aux Africaines qui peinent et meurent sous le poids de nombreuses discriminations et marginalisations.
Le samedi matin 25.2.06., je me rends à la célébration de clôture. Elle réunit les participant-e-s et intervenant-e-s au congrès sous une tente au milieu du campus. D’une manière très habile et émouvante, ce culte inclut les formalités des certificats, des remerciements, des cadeaux et des adieux avec les éléments d’une liturgie communautaire partagée entre beaucoup de célébrant-e-s de dénominations diverses. Le sermon de Rudolf von Sinner sur Luc 14,15-24 illustre la lecture populaire, prophétique adapté au public présent : en tant que théologien-ne-s et responsables d’Eglises, plusieurs d’entre nous refuseraient probablement d’accepter l’invitation au festin du Royaume aujourd’hui avec des excuses « pastorales», « théologiques » ou encore « ecclésiales » comme : « Je suis en train de construire un temple plus grand, je suis engagé dans une campagne pour gagner de nouveaux membres », etc.
La célébration termine avec une « Agape », la solution « œcuménique » proposée par le congrès face au problème épineux de la communion eucharistique. On se donne mutuellement du pain et du jus de raisin bénis durant la célébration, mais le célébrant catholique romain nous explique à plusieurs reprises qu’il ne s’agit pas d’une Sainte Cène ! Ce rituel ressemble à celui de la bénédiction du pain offert par des orthodoxes à l’AG du COE. Là encore, on nous a averti plusieurs fois qu’il n’était pas question d’une eucharistie et tout le monde a reçu le pain à la sortie d’une des prières du soir. Ni l’une ni l’autre de ces solutions n’est satisfaisante. Néanmoins, je me rends compte que pour beaucoup de fidèles souhaitant une vraie Eucharistie oecuménique, ces substituts signifient un pas dans la bonne direction et un « mieux que rien».
28-2-06
Source: EEMNI