France: projet de loi sur l’immigration: Jérôme Martinez (Cimade) s’explique sur l’indignation éthique des associations chrétiennes

Jérôme Martinez, délégué Ile-de-France de la CIMADE (service œcuménique d'entraide), répond aux questions de Bérénice Rocfort-Giovanni, du Nouvel Observateur, sur la nouvelle loi sur l’immigration sévèrement critiquée sur le fond par une cinquantaine d’associations chrétiennes.


Comment réagissez-vous aux déclarations de Nicolas Sarkozy qui affirme que l'immigration choisie est un rempart contre l'extrême droite?


- Au contraire, ce système d'immigration choisie est néfaste, car il ramène l'étranger à sa seule valeur utile. Il va favoriser, à terme, l'émergence de nouveaux sans-papiers. L'extrême droite, elle, instrumentalise le problème de l'immigration et ne veut en aucun cas proposer des solutions. Ce projet de loi va maintenir les étrangers dans la précarité, et ce n'est pas ainsi qu'on peut combattre l'extrême droite. De plus, mettre des barrières toujours plus hautes ne réglera pas le problème. Prenons l'exemple des Etats-Unis. Leur politique de contrôle des frontières au Mexique est très répressive, et pourtant, on compte plus de 11 millions de clandestins dans le pays.


Quelle contribution peuvent apporter les Eglises et les associations religieuses dans la lutte contre le projet de loi sur l'immigration?


-Nous nous efforçons de faire passer un message d'alerte qui a une valeur morale. Ce projet de loi est une atteinte au principe même du respect de l'individu. Notre indignation est éthique.


C'est la question de la pauvreté dans son ensemble qui nous révolte, pas seulement celle des immigrés. Nous faisons un travail de terrain pour aider les exclus. Notre démarche est la même que celle des associations laïques, mais nous intervenons avec nos propres convictions. L'accueil de l'étranger participe du fondement même d'une société. Nous avertissons autant le gouvernement que les chrétiens à ce propos. Mais notre action ne se résume pas à une simple alerte, c'est aussi une réaction à ce qui se passe aujourd'hui. Nous mesurons déjà sur le terrain les effets de la répression en matière d 'immigration. Le message que lance ce projet de loi aux étrangers ne va en rien aider la société. 


Les associations ne pallient-elles pas les carences de l'Etat, qui peine à défendre et à protéger les immigrés? 


-Nous jouons un rôle de soutien et d'intervention sur des terrains que l'Etat n'investit pas. Il est certain que nous préférerions que l'Etat, qui s'est désengagé, intervienne beaucoup plus. C'est nous qui gérons les situations de précarité au quotidien. Beaucoup de sans-papiers ont peur de s'adresser aux services sociaux, de crainte d'être dénoncés.


Les étrangers ne vont plus se faire soigner, car ils pensent que les services sociaux collaborent avec la police. Des pathologies graves, telles la tuberculose, risquent de se propager au sein de cette population. Le projet de loi va conforter les immigrés dans cette clandestinité. Les associations veulent, elles, garantir les droits sociaux et sécuriser l'immigration. Malheureusement, ce thème ne ressurgit qu'au moment des batailles électorales et les problèmes de fond ne sont jamais traités. Une démarche de débats serait souhaitable en dehors des enjeux électoraux. Les pays d'origine, les ONG et les associations doivent y être associés. Il faut avoir une attitude réaliste face à l'immigration. Les flux migratoires ont toujours existé, il est nécessaire de les prendre en compte et de se donner les moyens d'intégrer les étrangers qui sont déjà sur le territoire. A commencer par les sans-papiers qui travaillent au noir. En les régularisant, ils pourraient participer à la richesse du pays en pays des cotisations sociales. Au lieu d'expulser les immigrés, la solution serait plutôt de construire des logements.


La France n'est pas un pays du tiers-monde, elle a la capacité de proposer une meilleure intégration. 


Le mardi 2 mai 2006

Source: Nouvel Obs