Etre pasteur en Algérie - Interview du surintendant Hugh Johnson

Nous reproduisons l'interview du pasteur Hugh Johnson réalisé le 12 septembre 2001 et diffusé depuis sur le site des «Protestants dans la ville» . Nous remercions son webmaster de nous en autoriser la publication, qui fera découvrir aux lecteurs d'EEMNI les joies et les difficultés du ministère pastoral en terre musulmane.


Hugh Johnson et sa femme, tous deux Américains, lui sudiste expansif et elle nordiste réservée sont tombés amoureux de ce coin de la Drôme, du paysage, de la lumière et des gens - «que l'on peut aimer facilement» - dès les premiers jours passés chez des amis... Mais comment peut-on être pasteur de l'Église protestante francophone en Algérie en étant méthodiste américain? Hugh Johnson rit et propose de faire un détour par son histoire familiale. Sa mère est descendante d'un Indien cherokee qui refuse de suivre la nation cherokee déplacée du Tennessee et de la Caroline en Oklahoma. Installé dans une ferme tout au fond d'une vallée près d'une rivière il eut neuf filles.


- «Un jour, deux jeunes gens ont découvert ce fermier et proposé leurs bras en échange de la nourriture et du logement. Et ils sont tombés amoureux... Pas question, a dit le Peau-Rouge, de donner ses filles à des "Anglais" - c'est ainsi qu'on nommait les Blancs -analphabètes. Le monde à l'envers ! Qu'à cela ne tienne, ont répondu les filles amoureuses et elles leur ont appris à lire, dans la Bible. Je suis le petit-fils de l'un des couples!» 


Son grand-père, longtemps ouvrier agricole, loue ses bras aux uns et aux autres, avant d'acheter de la terre loin dans la montagne, au fond d'une vallée... On y travaille dur pour vivre mais le grand-père accepte que la mère de Hugh aille à l'école et à l'université où elle y rencontre son père.


Et si Hugh est méthodiste, c'est parce que son père était baptiste ! Sa mère, méthodiste, avait accepté de devenir baptiste en se mariant. Mais l'Église du père est si sectaire qu'à la première sainte cène, on écarte sa femme de la communion parce qu'elle n'est pas baptisée dans cette paroisse ! Du coup, le père devient méthodiste.


- «Et j'en suis content!», sourit Hugh Johnson. 


Petite-fille de Cherokee, fille de fermier et première femme de la région à avoir fait des études universitaires, sa mère, dont il dit «elle a été une inspiration pour moi, elle a toujours su que je répondais à un appel» a eu de l'ambition pour ses enfants. Elle avait étudié l'allemand et son père le français, les enfants parleront donc trois langues à la maison.


«Cela m'a ouvert des horizons et c'est pour cela que je suis en Algérie...». En tout cas c'est parce qu'il parle français et connaît l'hébreu que le secrétaire des missions méthodistes lui propose, à la fin de ses études de théologie, de partir en Algérie, un pays dont il ignore tout. Il refuse, mais l'homme est tenace : «Il avait raison.»


Yale et Harvard pour connaître l'islam et la culture et la langue arabes, quatorze mois à l'université de Grenoble pour améliorer leur français et Hugh et sa femme sont à Alger en 1963, puis en Kabylie à 1000 m d'altitude, dans une station missionnaire méthodiste fondée au début du XXe siècle. Là, il faudra apprendre le kabyle!


- «Je suis un montagnard des Appalaches et les Kabyles aussi sont des montagnards, je me sentais chez moi. Ensuite, la période a été difficile pour tous les gens d'Église considérés comme des espions voulant déstabiliser le pays au profit d'une puissance étrangère...» 


Le bilan de ces douze ans? «J'ai tissé des liens qui demeurent très forts. Aussi, quand on m'a demandé de descendre à Alger, j'y suis allé presque à contrecoeur, je n'avais jamais habité la ville. Mais il n'y avait pas de candidat francophone réformé au poste de pasteur et j'avais été jugé assez francophone!»

Là aussi, Hugh Johnson parle souvent de liens tissés avec les gens du quartier, de la ville. Des liens durables. «Les gens sont fantastiques!». Il n'est jamais à court d'histoires émouvantes, de rencontres surprenantes pour le démontrer. Tel ce commissaire de police, alors que les moines sont prisonniers des islamistes, qui lui dit:


- «Ma prière, sans doute la même que la vôtre, est que les moines de Tibhirine soient sains et saufs. Et qui ajoute: Je n'arrive pas à comprendre qu'ils soient restés alors qu'on les avaient déjà menacés de mort. Et vous, vous restez ici alors que nous Algériens nous cherchons par tous les moyens à partir.»


Et Johnson de lui répondre:


- «Nous restons pour poser une alternative à la violence, par amour de l'Algérie et des Algériens. C'est notre contribution à l'avenir de ce pays».


- «Je crois que c'est la bonne réponse», a dit le commissaire. Ces liens invisibles se révèlent parfois. Ainsi, en 1991, au premier jour de la Guerre du Golfe, des manifestations de soutien à l'Irak avaient eu lieu toute la journée et le soir du haut parleur de la mosquée, à 100 mètres du presbytère, Hugh Johnson entend le prédicateur reprendre la déclaration de Saddam Hussein:

- «Cette guerre est entre Arabes et Occident, entre musulmans et chrétiens.»

et ajouter:

- «Allons leur faire la guerre!»


J'ai entendu la foule en furie sortir et manifester en hurlant devant chez nous. 450 jeunes gens, essayaient d'enfoncer les portes et d'arracher la croix du temple. La police les a très vite refoulés, appelée par les voisins, mais ils sont revenus plusieurs fois durant la nuit. Le lendemain, j'ai trouvé dans ma boite aux lettres une feuille pliée et fermée. Lorsque je l'ai ouverte, une pluie de pétales de rose en est tombée. Il y avait aussi une carte émouvante:


- «Nous sommes désolés pour ce qui vous est arrivé hier soir. Après tout ce que nous avons vécu ensemble, vous faites partie de nous-mêmes» et les signatures d'une centaine de voisins! J'ai pleuré de joie.


Pendant plusieurs semaines, les manifestations ont continué devant le temple, mais toujours de l'autre côté de la rue. Intrigué, Hugh a finalement compris que les haltérophiles du club voisin avaient pris en charge la protection de l'église ! Le vicaire général catholique a passé une nuit à veiller chez eux, le temps qu'ils se reposent, la secrétaire de la mosquée de Paris est venue spécialement à Alger exprimer la réprobation du recteur le cheikh Abbas... 


Enfin le ministre des Affaires religieuses est arrivé un jour, avec deux véhicules officiels bien visibles. Après une bonne heure de discussion en kabyle, il a demandé si c'était son expérience en Kabylie qui lui avait permis de ne pas réagir avec violence.


- « C'est ma foi », ai-je répondu. Puis j'ai ajouté:

- « la croix - seule croix visible à Alger - semble être la cible des manifestants, je l'enlèverai dès que les esprits seront calmés ». Le ministre est resté devant le temple à la regarder:

- « Cette croix , c'est le symbole de ta foi, il a droit de cité ici. Je t'interdis d'y toucher ». Elle est toujours là...


Quand on demande à Hugh Johnson s'il a le sentiment d'avoir réussi quelque chose du point de vue de l'évangélisation et du témoignage, il répond oui, sans hésiter. Il vit son ministère comme un témoignage vis-à-vis des musulmans qui les entourent, lui et sa femme très engagée dans le travail social. Ce témoignage «exprime l'amour de Dieu pour tous ses enfants», dit-il. Le travail de traduction de la Bible en arabe nord-africain et en kabyle auquel il a participé n'est pas étranger à la visibilité de l'Église protestante en Algérie, dont les membres sont majoritairement algériens. 


Hugh Johnson parle aussi avec enthousiasme - c'est un homme enthousiaste !- du travail oecuménique où protestants et catholiques mais aussi anglicans et adventistes collaborent:


- «Nous représentons un peu moins de 1 % de la population (33 millions d'Algériens) et la seule façon d'être chrétiens c'est de pouvoir oeuvrer et communier ensemble.»


Si les institutions (hôpitaux, écoles) ont été nationalisées dans les années 70, il reste des oeuvres sociales, reconnues et appréciées par les autorités, qui assurent là encore la visibilité des chrétiens. 


Même si certains chrétiens, dont il ne faut pas trop lui parler, croient que «la seule chose à faire en Algérie c'est d'annoncer l'Évangile par la parole»... Juste avant son départ pour la France, il a dû négocier avec le ministère des Affaires religieuses pour débloquer un arrivage de bibles.

Pourquoi? Parce qu'un groupe de chrétiens évangéliques britanniques avaient cru bon de distribuer publiquement des bibles importées clandestinement en Algérie !

Ils voient les réponses immédiates à leur prédication - les conversions et autres guérisons «miraculeuses» (certains prétendent même ressusciter les morts !), sans voir l'effet produit sur la population, ni les difficultés suscitées pour les convertis qui se retrouvent isolés, en porte-à-faux avec leur famille.


On déplore des suicides, seule issue à une souffrance insoluble. Alors que les Algériens de notre communauté vivent leur foi dans la tolérance et ont pour la plupart de très bonnes relations avec leur famille. 


Le temps des années 90 semble fini où des chrétiens menacés par les islamistes avaient dû fuir en France pour se mettre à l'abri.


«Je reste optimiste, avec une grande espérance en la maturité de ce pays et je continue à les aimer. Ils sont devenus mon peuple. Je ne me sens plus étranger depuis longtemps!»

Source: EEMNI